25 mars

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On m'a dit aujourd'hui que ma théorie sur l'amour était contradictoire. C'est faux ; puisqu'elle est.


Nous sommes en Normandie, dans un hameau où le vent ne souffle sur personne d'ordinaire. Une vingtaine de jeunes ayant la vingtaine. Plus de quatre cent ans réunis pour fêter les vingt-cinq de l'un d'entre eux. C'est Paloma, que j'ai rencontrée hier soir, qui vient de me réfuter. Elle est belle, et bien plus altière que le chien qu'elle a ramené n'est minuscule. Son visage - son nez et son front surtout - est italien, tandis que son corps est une immense feuille de papier destinée aux plus belles plumes, dont je ne fais pas partie. C'est une diva lointaine, un mannequin des Abruzzes, un fantasme vaporeux, elle est par conséquent interdite.


Nous nous sommes isolés à quatre, à l'étage, dans le vain espoir d'écrire quelque chose. En bas, les cris du bière-pong en cours rompent un silence forcé et exaspèrent Sammy. Lui n'arrive pas à écrire. Soyons indulgent, c'est sa première fois. Il a l'esprit plein et la plume vide. Un mystérieux barrage l'empêche de remuer le stylo. L'éjaculation tarde à venir. Le déphasage entre les mots et une sensation qui l'étreint pourtant si fort le frappe de plein fouet, le frustre, le décourage enfin. Les questions lui déferlent de partout dans l'âme mais les réponses se tordent, de dissimulent comme autant de serpents souples et inattrapables.

Caroline lui vient en aide : c'est une charmeuse de serpents, la meilleure. D'instinct, du bout des yeux, de la bouche et du stylo bleu ciel elle plonge dans son cerveau et se saisit violemment des infâmes reptiles. Ils sortent par les narines, infinis. Pourtant elle continue à tirer. Puis les dissèque en véritable entomologiste, les réduit en poudre et enfin du creux de sa main la souffle au visage du pauvre Sammy abasourdi. Paloma écoute, impassible comme une madone de Michel-Ange. Vient mon tour. J'ai peur et je suis excité. Je parviens à contempler les serpents qui sifflaient si forts dans mon cerveau : ils sortent en hologrammes du regard de Caroline. Ils sont laids, répugnants, méprisables. J'éternue pour les dissiper. La toux est mystique, presque irréelle.

Comment décrire la sensation d'alors ? Des milliers d'écailles animées me regardent d'un oeil brillant. Au milieu luisent les deux prunelles de l'apprentie sorcière : parvient-elle à voir à l'intérieur de ma boîte crânienne ? Mes globes si opaques d'habitude deviendraient-ils fenêtres ? J'ai chaud aussi, aux joues. Le soleil les a rougi tout le jour mais c'est elle qui les fait brûler. Enfin la prophétie s'arrête : je tangue sur ma chaise, et sors du bateau ivre. En face de moi Caroline n'est plus : c'est Zelda Fitzgerald ! Elle me propose son texte, nonchalamment. Je la regarde bêtement, empêtré de buée, et parvient à bafouiller oui du bout des lèvres. OUI, pensai-je ! OUI, MILLE FOIS OUI ! Donne-le moi, j'en ferais une relique !

Je suis chamboulé, pris de tournis. Quand hier j'étais groggy dans un monde droit, me voilà droit dans une pièce en rotation. Voilà la vraie définition de l'ésotérisme. Nous descendons manger des spaghettis à la carbonara, avec tout le monde. Sammy dit qu'elles sont bonnes : j'éclate de rire. J'expérimente l'ivresse sans alcool : qu'elle est douce !

Pendant la soirée je joue au dur devant les marques d'affection/de séduction? de mon bourreau, quand au fond je n'aspire qu'à la tendresse : ma thérapie ne fait que commencer, de longues étapes restent à franchir. En allant me coucher, quelques heures plus tard, j'entends derrière une porte Paloma et Caroline se parler. J'hésite. Je n'arrive même pas à écouter : je voudrais simplement rentrer. Finalement, je passe mon chemin. Ce n'est rien : bientôt, tendre sera la nuit. Alors je pourrais enfin souffrir.


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