8 mars

2 minutes de lecture

Ce matin, l'absurde m'a enveloppé. Puis la révolte. Enfin, plutôt l'envie de révolte. Diffuse, engourdissante et impérative, m'intimant de tout faire sauf ce que j'étais en train de. Et si, au lieu de foncer en ligne droite, je tournais au dernier moment à gauche? Si je me décidais à marcher sur ce parapet plutôt que de traîner des pieds sur ce trottoir sale, usé par les crachats de tous? Les fientes d'oiseau me repoussent moins que les chewing-gums écrasés. Ou bien seulement m'allonger dans ce minuscule rond d'herbe, au milieu du carrefour et de toutes ces voitures, et deviner derrière les nuages où est le soleil?


Pourtant je continue dans la même direction, invariablement. Comme un cheval de trait, encerclé d’œillères. Je me retourne : il n'y a personne au bout des rênes. Comment s'insurger contre le néant? Dois-je continuer à donner des coups d'épées dans l'eau, dans l'espoir d'enfin y piquer au bout un poisson? Je me débats et me met à hurler silencieusement au vide : "Montre-toi, grotesque cocher ! Dévoile ta hideur ! Soumets enfin à mon regard ton ignoble visage !" Mes cris sont de plus en plus aigus, stridents. Des gémissements de désespéré qui s'étouffent dans ma gorge. Ils ne sont plus intelligibles, deviennent des plaintes écorchées, des barrissements.


Au bout des lanières de cuir accrochées à mes lèvres écumantes, l'on finit par me répondre, une silhouette se forme : l'invisible cornac enfin apparaît. Il a mon visage et il me sourit. Je me vautre à ses genoux - mes genoux - et le supplie d'emprunter un autre trajet, de faire demi-tour, de faire une pause. Rien ne change, nous gardons le même cap et le même rythme. Soudain son visage change, puis change encore. Mes parents, ma soeur, mes amis, ma famille éloignée, tous se succèdent au poste supérieur de la calèche, et me fouettent énergiquement. Je les regarde en pleurant. Des millions de visages se succèdent désormais, des visages inconnus, moqueurs, cruels, pleins de rictus inhumains. Je ne peux plus m'enfoncer plus bas, je rampe la bouche collée à la terre. Il m'en rentre à pleine poignées. Mon estomac se remplit de sable et d'asticots. Le fouet de ces cochers anonymes finit d'arracher les derniers lambeaux de peau de mon dos. Je ne suis plus qu'un monstre sanguinolent, une bête. On me hurle d'avancer : alors je m'ébroue, cambre désespérément les reins, je lance mes dernières forces pour obéir. Les coups pleuvent, à verse. Autour de moi l'on rit en me montrant du doigt : "Alors le révolté, on n'avance plus ?". Une immonde vieillarde s’époumone, hystérique : "Ça t'apprendra à te retourner ! Crève, charogne ! Sangsue ! Affreux ! Imbécile !" en m'écrasant les mains et me crachant à la face. Mon sang excite le leur. Il bout en cercles chauds. Je n'ai plus de forces. Je m'écroule. Le sable râpe mes joues. Je ferme les yeux. Je suis mort.




Dans la rue je marche, toujours dans la même direction. Je me retourne : derrière moi il n'y a personne. Je hausse les épaules et poursuis mon chemin, c'est sûrement mieux comme ça. La révolte est vaine. le libre-arbitre n'existe pas. La résignation est reine.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Smaguy ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0