Chaque cage cache quelque chose

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Arkoïe tâchait depuis près d’une lune de se frayer un chemin dans la jungle fourbe et impénétrable. En tant qu’émissaire, ces expéditions vers les villages des contrées les plus reculées étaient devenues une habitude, mais son corps vieillissant se montrait de plus en plus récalcitrant. Sa crinière crépue se clairsemait en grisonnant, ses jambes filiformes tremblaient sitôt qu’il s’agissait d’escalader une colline en portant dix jours de vivres, et sa peau, hier encore noire et brillante, se flétrissait en s’asséchant.

Épongeant une énième fois avec sa tunique la sueur qui perlait sur son front, Arkoïe décida de s’accorder une pause, attrapa son outre en bandoulière et s’assit pesamment sur une souche. A peine ses fesses eurent-elles touché le bois qu’un craquement sinistre retentit. Son regard pivota instantanément vers les cimes, juste à temps pour voir une masse imposante se précipiter vers le sol. Un horrible grincement accompagna la chute, puis Arkoïe sentit un coup de massue sur son front, une douleur aveuglante transperçant son crâne. Son cri d’effroi accompagna la nuée d’oisillons qui s’envola des nids alentour en piaillant.

Une fois le silence rétabli, l’émissaire se concentra pour ralentir le tournis qui lui brouillait l’esprit. La malchance seule avait dû lui précipiter une branche sur la tête, car personne n’avait l’air de vouloir revendiquer l’agression. Les yeux fermés pour contenir son vertige, Arkoïe porta la main au front et remarqua avec lassitude la liqueur gluante qui en dégoulinait. Dans la jungle, la moindre blessure pouvait devenir un cauchemar tant les risques de complication pullulaient. Une concoction d’écorce de tamarin empêcherait l’infection, mais il faudrait rester à l’écoute des frissons et soubresauts consécutifs au choc.

Toutefois, la situation se révéla bien pire que la simple menace d’une mort d’épuisement. Quand Arkoïe reprit ses esprits et ouvrit ses yeux embués, il lui fallut constater l’ampleur du problème : l’objet tombé du ciel était une solide cage qui l’encerclait à présent, lui interdisant de quitter la souche. Ses tentatives forcenées pour écarter les barreaux métalliques ne réussirent qu’à lui entailler les paumes et à faire grincer de nouveau la chaîne qui pendait des cimes. Sa gorge se serra d’anxiété. Un tel piège, probablement conçu pour le gros gibier, n’admettait aucune issue. Les cartes topographiques, dont sa besace abondait, ne lui seraient d’aucune utilité.

– Eh ! hurla l’émissaire, un pied sur la souche, l’autre posé sur la terre moite, espérant en dernier recours que ce piège était le signe de la proximité d’un village. Aidez-moi ! Oh !

Cette région utilisait une telle multitude de dialectes qu’il y avait peu d’espoir d’être intelligible. L’important était qu’une personne reconnaisse un cri de détresse humain et intervienne rapidement.

Alors qu’un autre beuglement se préparait dans sa poitrine, une intense piqûre au tibia lui fit faire un bond. Sa tête heurta de nouveau la paroi supérieure de la cage, déclenchant une série d’éclairs de douleur. Sur sa jambe, une procession de fourmis grimpait en mordillant à l’envi cette chair fraîche et immobile. Arkoïe retira vivement son pied du sol et épousseta avec frénésie les centaines d’insectes qui l’envahissaient. Tout autour de la souche s’élevait une fourmilière grouillante. Un flot ininterrompu d’ouvrières sillonnait entre les arbres en éradiquant toute autre trace de matière vivante. Malgré son accoutumance aux nuisibles de toute sorte qui hantaient ses missions diplomatiques, Arkoïe sentit un frisson de frayeur lui parcourir l’échine, et son cœur tambourinant se mit à retentir derrière son front, comme s’il cherchait à s’échapper par sa blessure suintante. Quel espoir restait-il pour une corps piégé dans une fourmilière ? Pire, qui aurait conçu un tel traquenard sans être habité d’intentions morbides ?

– Oh ! Eh ! Au secours !

Le désespoir montait dans son esprit aussi vite que les fourmis sur son buste. Quel gâchis de terminer une vie d’exploration et de médiation dans une impuissante solitude ! La résignation l’aida à calmer son pouls et à s’étendre doucement sur la souche. Placide, Arkoïe tendit un bras à travers les barreaux et l’étira au maximum pour tenter, du bout des doigts, d’attraper une pierre dont le tranchant, le moment venu, lui permettrait d’abréger sa soif et sa souffrance.

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