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Elle observait à nouveau le tranquille va-et-vient des visiteurs. Elle était retournée dans la vaste entrée du palais impérial, cette fois non pas pour réfléchir mais avec un objectif particulier en tête. Aujourd’hui, elle allait mettre un terme à cette histoire d’assassin. Elle avait appris qu’il s’était rendu en ces lieux, justement au moment où le Lieutenant s’y trouvait. Elle en avait donc déduit qu’il comptait accomplir son contrat et s’était empressée de venir. Ivaël avait encore réussi à la surprendre : à l’instant où il avait vu passer le militaire il l’avait rejoint pour engager la conversation. Cela faisait un moment que tous deux discutaient mais elle s’était postée trop loin pour les entendre. Elle voulait éviter que le Chasseur ne la remarque. Tout en les surveillant elle cherchait à deviner comment le criminel comptait s’y prendre pour pouvoir l’arrêter. Elle savait qu’il avait confectionné un poison agissant par simple contact mais n’avait pas pu en apprendre davantage. Pour l’heure, il demeurait à distance normale de son interlocuteur sans esquisser aucun geste suspect. Il paraissait bien plus sérieux que l’autre jour, sa rayonnante humeur avait cédé la place à un masque presque froid.

Les deux hommes furent rejoints par Sergey et Pavel et tous continuèrent la conversation. Elle s’était attendue à ce que les Chasseurs partent mais était contente de disposer d’un délai supplémentaire. Quoique, ce temps était également accordé au tueur. Elle chercha à nouveau où il avait pu dissimuler son poison, sentant l’inquiétude la gagner à mesure que les secondes passaient. Si elle ne trouvait pas dans les instants à venir, elle pourrait pleurer l’un des derniers hommes qu’elle s’attendait à voir mourir. Et même ses larmes ne pourraient la sauver de sa culpabilité. Elle détaillait encore une fois la tenue de l’assassin quand elle les vit. Ses gants. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, il n’en avait jamais porté. Tous les éléments s’assemblèrent, cet accessoire et le mode de transmission du poison, et elle comprit comment il comptait procéder. À présent, elle devait agir. Mais comment ? Une idée lui traversa l’esprit mais elle la repoussa. Il devait y avoir une autre solution. Elle devait au moins neutraliser la substance sans éveiller la méfiance de sa cible. Seulement, le temps lui faisait cruellement défaut. Elle était dans une telle hâte qu’elle n’arrivait pas à imaginer d’autre moyen, son regard demeurait fixé sur ces pièces de tissu en apparence si inoffensives. Elle repensa à sa première stratégie, hésita, se dit qu’elle aurait peut-être suffisamment de temps, considéra le chef des Chasseurs qui ne se doutait de rien, et se décida. Elle prit une inspiration avant de se diriger vers le groupe, s’efforçant d’arborer un air naturel.

Le Lieutenant la vit arriver avec perplexité et fut surpris qu’elle salue son interlocuteur en premier. Elle feignit la joie et prit les mains de celui-ci dans les siennes.

« Nemanja Ivaël ! commença-t-elle. C’est bien vous ? »

Il eut un léger mouvement de recul et retira ses mains.

« Vous vous connaissez ? questionna Nikita.

- Je ne suis pas sûr… tenta l’assassin.

- Mais si, le coupa la jeune femme, nous nous étions rencontrés à cette conférence sur l’histoire navale de la Mer Intérieure.

- Vous m’étonnerez toujours, Eriko. » commenta Sergey.

Elle sourit avant de lui demander :

« Qu’êtes-vous venus faire au palais ?

- Mon frère doit se mesurer à l’administration, expliqua Pavel, alors je l’ai accompagné pour le soutenir.

- Vraiment ? Et… »

Elle s’interrompit. Une terrible douleur lui vrilla le crâne. Elle porta les mains à sa tête et se pencha pour y résister.

« Eriko ! s’inquiéta le Lieutenant. Que se passe-t-il ? »

Elle parvint à se redresser et à articuler :

« Arrêtez cet homme… c’est… l’assassin. »

Un vertige la saisit et elle se laissa tomber à genoux.

« Mon Dieu, murmura-t-elle, je ne pensais pas que ça irait si vite ! »

Le tueur ne tenta pas de s’enfuir, il savait qu’il n’avait aucune chance. Les jumeaux le conduisirent aux gardes tandis que Nikita restait auprès de la jeune femme.

« Ne touchez pas ses gants ! » eut-elle le temps de leur dire.

Le Lieutenant mit un genou à terre près d’elle et la regarda d’un air soucieux.

« Eriko, que vous arrive-t-il ? »

Elle leva vers lui un regard empli de larmes.

« Il avait empoisonné ses gants.

- Mais alors… » réalisa-t-il.

Il posa la main sur son épaule et sonda ses fonctions vitales. Sans surprise, elle le vit pâlir.

« Je crois bien qu’il est trop tard. Je pensais que j’aurais le temps de trouver un antidote mais il voulait vous tuer sur le coup. »

À ce moment Sergey et Pavel revinrent.

« Tenez les gens à distance. » leur ordonna le Lieutenant.

En effet quelques personnes s’approchaient déjà en murmurant entre elles d’un air intrigué. Après avoir jeté un regard inquiet à l’espionne les jumeaux se chargèrent de les éloigner.

« Il doit y avoir un moyen de vous sauver. » reprit Nikita.

Elle esquissa un sourire alors que des larmes roulaient sur ses joues.

« Vous avez bien changé, mais pour le meilleur. Cependant vous n’êtes pas doué pour réconforter. »

Elle frissonna. Les symptômes progressaient. Elle avait mal au cœur, la réalité s’éloignait et elle avait terriblement froid. Le remarquant, il parut hésiter puis détacha sa cape et la lui posa sur les épaules.

« J’ai peur… gémit-elle.

- Je resterai avec vous, tenta-t-il, ne vous en faites pas. Et ce n’est pas la fin, n’est-ce pas ? Vous croyez en l’au-delà, Eriko. »

Elle hocha la tête mais seuls la souffrance et le vertige se lisaient dans ses yeux. Elle se sentait désorientée, elle peinait à réaliser que dans quelques instants elle ne serait plus. À mesure que les secondes passaient ses idées devenaient plus confuses. Elle s’efforça de résister au vide qui s’emparait peu à peu d’elle et reprit d’une voix désolée :

« C’est puéril mais je m’étais dit que le jour de ma mort je tiendrai la main de quelqu’un. Mais je ne peux même pas… »

Il la considéra, déconcerté, alors qu’elle luttait contre la douleur et que sa respiration faiblissait. Déjà une ombre envahissait ses yeux bleus tandis que toute couleur quittait son visage. Avec un soupir, il passa son bras autour d’elle. Si elle fut surprise, elle n’en montra rien. Elle s’apaisa un peu et se laissa aller contre lui. Il cherchait comment la réconforter mais aucun mot ne lui venait. Étrangement, il se fit la réflexion qu’il n’avait été auprès d’aucun de ses proches lors de leur décès. Tout à coup elle eut un sursaut.

« Ne me laissez pas partir ! implora-t-elle. Je voulais… je voulais… »

Mais elle ne put achever sa phrase. Son souffle s’arrêta et elle se détendit. Nikita demeura figé un instant, sans pouvoir détacher son regard de ce visage marqué par les larmes. Il fit un effort pour se reprendre. Il peinait à comprendre ce qui venait de se passer, pourquoi elle avait agi ainsi. Il lui ferma les yeux et s’aperçut qu’il pleurait lui aussi.

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