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Où es-tu, maintenant ?

Environ cinq mètres devant toi, près de la porte.

Il risqua un coup d’œil dans le couloir. Le groupe de six hommes discutait toujours devant la salle. Un conseil s’était tenu quelques minutes plus tôt et ils avaient laissé partir les autres ministres pour se retrouver. L’espion se remit à l’abri derrière le mur avant d’ajouter mentalement :

C’est toujours très perturbant de te voir disparaître. Je ne peux même pas te détecter.

En même temps si je n’effaçais pas ma présence ces messieurs se méfieraient davantage. Et être autorisé à m’occulter et me dématérialiser est très pratique.

Son frère d’armes esquissa un sourire.

Tu aurais pu devenir un assassin de talent, Desya.

Je préfère te laisser cette partie, Pavel ; l’espionnage me suffit amplement. Ah, ils s’en vont, mais pas dans ta direction, ne t’en fais pas. Je reste avec eux au cas où ils diraient quelque chose d’intéressant.

Parfait, je vous suis.

Tu auras besoin d’aide pour isoler ta cible ?

Non, ça ira, j’attendrai une occasion propice. Et je ne voudrais pas que tu manques des informations.

Comme tu veux. Bonne chance pour ton assassinat.

Ils reportèrent leur attention sur les six hommes qui s’éloignaient. Tous deux avaient été envoyés en mission ensemble avec pour tâche d’en apprendre davantage sur les plans des derniers conjurés, et Pavel devait en plus exécuter l’un d’eux. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas travaillé ainsi et reformer leur duo leur convenait tout à fait. Ils étaient dotés de qualités complémentaires et avaient la réputation d’être les deux Chasseurs les plus doués pour le renseignement. En effet, leur discrétion les prédisposait à ce genre d’opération, et tandis que Desya pouvait exploiter sa capacité spéciale pour surveiller plus facilement leurs adversaires, Pavel était particulièrement efficace pour les éliminer. Il se trouvait justement que sa cible, étant chargée de supprimer les obstacles au complot, avait commandité de nombreux assassinats dont celui qui visait le Lieutenant.

Le groupe de ministres quitta le palais accompagnés à leur insu par leurs deux adversaires. Sur le parvis les attendait leurs escortes respectives mais ils leur signifièrent de les attendre un moment. Ils se rendirent dans un parc d’une rue adjacente et une fois suffisamment éloignés de l’entrée abordèrent leur réelle discussion. L’aîné prit la parole pour résumer leur piètre situation, entre leur groupe qui s’amoindrissait de jour en jour et les manques de résultats de la part d’un certain tueur, puis en vint à leur stratégie de retour.

« Nous avions un plan, rappelait-il, que nous n’avons pas pu mettre en œuvre. Il s’agissait d’utiliser l’Impératrice pour prendre le pouvoir. Nous pourrions le reconsidérer.

- Et comment comptez-vous procéder ? l’arrêta un autre avec mauvaise volonté. Si nous n’avons rien pu faire quand nous avions plus de moyens, je ne vois aucune raison que le sort nous sourie.

- Justement, avança un troisième, ceci est notre dernière occasion. Nous devons bien admettre que notre cas est presque désespéré, mais c’est pour cela qu’il nous faut agir tant qu’il est encore temps.

- Je suis d’accord, répondit un quatrième, mais comment ? Lui ôter la vie empêcherait nos ennemis de se ressaisir, mais morte elle ne nous est d’aucune utilité.

- Un enlèvement ? suggéra un cinquième. L’Empereur est fou amoureux de cette étrangère, si nous parvenons à la placer sous notre autorité il sera à genoux devant nous. »

Quelques-uns manifestèrent leur approbation avant d’être interrompus par celui qui n’avait pas encore parlé.

« Vous oubliez un détail majeur : elle est enceinte. »

Les autres le fixèrent, ne comprenant qu’à moitié où il voulait en venir. Il soupira et reprit :

« Dans son état, le moindre choc pourrait avoir de terribles répercussions chez elle. Dans le pire des cas, nous pourrions avoir la mort du futur prince héritier sur la conscience, et un pays entier contre nous. Ce qui réduit considérablement notre champ de possibilités. »

Ses confrères échangèrent des regards perplexes puis le moins enthousiaste fit remarquer :

« Vous êtes devenu bien sensible depuis votre mariage, Gyaltsen. Devons-nous douter de votre attachement à notre cause ?

- Depuis que ma femme a fait une fausse couche, corrigea celui-ci avec un calme parfait, mais là n’est pas le sujet qui nous préoccupe. Je suggère d’examiner d’autres options. »

La discussion se poursuivit sans qu’ils ne parviennent à un résultat probant. Pavel commençait à trouver le temps long quand les ministres décidèrent de se séparer pour le moment. Alors qu’ils échangeaient leurs salutations, Desya le contacta à nouveau par la pensée :

J’ai fait ma part de mission, je rentre. Tu es sûr que tu n’as pas besoin d’aide ?

Je m’en sortirai, merci.

Tu as déjà prévu chaque détail ?

Il pouvait sentir l’amusement de son cadet.

Plus ou moins, sourit-il, bien que je laisse une petite part à l’imprévu.

Une infime, tu veux dire. Te connaissant les événements suivront exactement le cours que tu as préparé pour eux. Ah, avant que je ne parte, Sergey m’a demandé s’il fallait t’attendre pour le dîner.

Mais ce n’est que le milieu de l’après-midi. Il a de drôles de questions. D’après mon emploi du temps je devrais rentrer en début de soirée, je serai là à temps.

D’accord, je lui transmets ! À tout à l’heure !

L’aîné devina qu’il s’éloignait puisqu’il commençait à ressentir sa présence à quelques mètres près d’un groupe de personnes, de plus en plus nette à mesure que la distance augmentait. Il recentra son attention sur sa cible. Celle-ci avait attendu le départ des autres avant de quitter le parc à son tour. Il la suivit discrètement alors qu’elle rejoignait son escorte pour se rendre à son domicile. Après avoir regardé de loin le groupe entrer dans la haute bâtisse il se dirigea vers une rue adjacente. Il avait parfaitement mémorisé le plan de la maison et savait qu’il pouvait s’y introduire par une cour à l’arrière. À cette heure-ci, le garde qui s’y trouvait s’accordait une pause de deux minutes trente environ, ce qui s’avérait largement suffisant pour lui permettre de passer inaperçu. Il attendit qu’il n’y ait aucun témoin dans la rue pour franchir le mur et entra dans la demeure par l’une des portes de service. La pièce dans laquelle il se trouvait, un cellier, était vide mais il disposait de seulement quelques instants pour ouvrir le passage dérobé qui s’y trouvait. En effet, l’un des cuisiniers allait bientôt venir pour choisir le vin du dîner. Il trouva sans difficulté la porte intégrée au mur gauche par laquelle il accéda à un escalier en pierre. Quelques torches diffusaient leur lumière et une odeur ancienne imprégnait l’atmosphère. Il s’agissait du passage qu’empruntaient les domestiques pour passer d’un lieu à l’autre du logis sans se faire remarquer. Conformément à ses prévisions il ne croisa personne. En temps normal la dame de la maison prenait un thé à cette heure-ci et envoyait sa femme de chambre le préparer, mais cette dernière était malade et elle y avait renoncé par délicatesse et pour éviter de la faire trop travailler. Il avait donc choisi d’agir ce jour-là pour profiter de ces circonstances favorables.

Il parvint au dernier étage, attendit que deux serviteurs passent, puis sortit dans le couloir. D’un côté, un homme montait la garde, lui tournant le dos. Il l’endormit d’une incantation avant de partir dans l’autre direction. Il arriva devant une porte de bois peint, dernier obstacle avant sa cible. Étrangement, il pensa à son frère et décida de toquer avant d’entrer. Après y avoir été invité, il passa dans la pièce en prenant soin de refermer derrière lui. Il se trouvait à présent dans un bureau aux murs couverts de bibliothèques. À gauche, une cheminée où aucun feu ne brûlait, à droite une haute fenêtre fermée. La pièce n’était pas particulièrement petite et accueillait au fond un bureau auquel le ministre travaillait. Ce dernier leva le regard de ses documents, identifia son visiteur et pâlit. Il se leva, se composa un air neutre et prit la parole :

« Que faites-vous ici ?

- J’ai été chargé de votre assassinat. » indiqua simplement Pavel.

L’autre parut accuser le coup. Il répliqua après un temps :

« Vous avez bien de l’audace de vous présenter ainsi. Auriez-vous oublié les procédures en cas d’accusation contre un ministre ? Avez-vous seulement un mandat d’arrêt ?

- J’ai des ordres. Vous êtes parvenu à un point où les formalités sont futiles.

- Puis-je au moins savoir de quoi je suis accusé ?

- Je pense que vous n’ignorez rien de vos exactions. Mais peut-être que les termes de haute trahison vous évoqueront quelque chose.

- Puisque ceci est établi, de quel droit escomptez-vous m’exécuter sans procès ?

- Il me semble que vous n’avez pas pris autant de précautions en engageant un assassin pour éliminer le Lieutenant. De plus, vous emprisonner serait prendre des risques supplémentaires. Votre femme, par exemple, même si elle n’est pas encore au courant de votre duplicité, mettrait tout en œuvre pour vous libérer. Au vu de sa popularité à la cour, elle parviendrait au moins à vous faire gagner suffisamment de temps pour vous évader. Enfin, votre cas a déjà été discuté.

- Permettez-moi de mettre vos paroles en doute. À mes yeux… »

Le noble eut un sourire méprisant et déclara :

« Vous agissez comme un vulgaire assassin. »

Pavel haussa les épaules sans prendre la peine de répondre.

« Mettons un terme à cette situation. Je vous laisse le choix entre partir ou tenter de survivre à mes gardes.

- Vous avez la sagesse de ne pas rechercher l’affrontement direct, observa le soldat avec indifférence, mais j’ai endormi le seul garde à proximité et vous avez donné ordre de ne pas vous déranger avant trois heures. À présent cessez de délayer l’échéance. »

Le ministre comprit qu’il était piégé au sein même de sa propre maison et se raidit. Il alla prendre un sabre posé sur la cheminée et se mit en garde.

« Votre bureau est trop petit pour un duel. fit remarquer son adversaire. Et vous aggravez votre cas.

- Peu m’importe, puisque vous voulez me tuer. Mais sachez que votre venue ici ne sera pas sans conséquences. N’oubliez pas qui je suis. »

Pavel haussa un sourcil dubitatif avant de dégainer. Le noble se sentit soudain insignifiant sous son regard acier. Rien ne subsistait devant sa lame, leur différence d’origine sociale, les titres de l’un et le métier de l’autre, seule une issue, le trépas de l’un et la vie pour l’autre. Le Chasseur garda son épée dans la main droite et resta sur la défensive. Le conjuré attaqua d’un estoc. Il l’esquiva à peine et saisit la lame dans sa main gauche. L’autre n’eut pas le temps d’être surpris, son cœur fut transpercé et il s’effondra. D’un mouvement, le soldat débarrassa sa lame du sang avant de rengainer. Sans un regard pour le corps il alla s’assoir au bureau et considéra les documents qui y étaient classés. Il disposait de quelques heures pour les examiner mais ne voulait pas s’attarder. Il laissa de côté les textes relatifs au gouvernement pour consulter la pile concernant le complot. Alors qu’il prenait la lettre du dessus du sang tacha l’enveloppe. Il suspendit son geste et considéra sa main automate pensivement. Les pièces avaient été éclaboussées par endroits d’un vermeil qui assombrissait le papier. Il allait devoir la nettoyer soigneusement une fois à la maison.

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