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« Il s’est encore endormi. »

Ils regardèrent avec un attendrissement amusé le jeune homme qui sommeillait sur le canapé. Ce dernier s’y était installé à peine un quart d’heure avant pour lire et en quelques minutes l’ouvrage lui avait échappé des mains tandis qu’il fermait les yeux.

« Au moins, il a trouvé un moyen de gérer la fatigue. Je l’envie un peu, pas toi, Gavriil ?

- Peut-être que si tu ne passais pas tes soirées dehors tu serais en meilleure forme, Sergey. sourit celui-ci.

- C’est ma façon de me changer les idées, je ne compte pas y renoncer ! Je pense que c’est plutôt cette guerre qui s’éternise qui nous épuise tous.

- Aussi. Après tout, l’éternité, c’est long, surtout vers la fin. »

Sergey acquiesça d’un air docte. Gavriil alla poser un ensemble d’enveloppes sur une commode avant de prendre place dans un fauteuil en face de lui. Ils se trouvaient dans une maison près du palais qu’ils occupaient lorsqu’ils devaient rester longtemps à la capitale. Cela faisait une semaine qu’ils y étaient revenus et ils s’apprêtaient à recevoir de nouveaux ordres de mission.

« Tu sais, reprit le cadet, je suis tout de même content que nous soyons là, à accomplir différentes tâches plus ou moins dangereuses, et ce malgré la difficulté et nos plaintes parfois. La création de cette escouade nous a permis de nous rencontrer, et aujourd’hui je ne peux pas m’imaginer mener une autre vie.

- C’est vrai que sans l’idée de Nikita, nous n’en serions sûrement pas arrivés à ce point. À mon avis nous n’aurions pas tous pris des chemins radicalement différents, étant donné ce que nous faisions avant de devenir Chasseurs. Notre Lieutenant serait rapidement monté en grade, talentueux comme il est, pour finir à l’état-major avant l’âge. Quant à nous trois, – ton frère, toi et moi –, nous aurions intégré la Première Armée pour mener nous aussi une brillante carrière militaire. »

Il parut songeur un instant avant d’ajouter :

« Et Desya, que serait-il devenu ? »

Tous deux considèrent à nouveau leur benjamin assoupi. Un certain épuisement se lisait sur ses traits, mais le sommeil lui conférait un air apaisé et presque enfantin. Sergey esquissa un sourire et répondit :

« Il aurait probablement exercé le même métier que les autres hommes de son village, à savoir pêcheur. Ça aurait été l’existence la plus paisible des cinq. »

Gavriil hocha la tête en silence. Son camarade ajouta :

« Tu devrais le laisser grandir, il n’est plus l’enfant qui nous a rejoints il y a plusieurs années.

- Je sais qu’il a changé, affirma l’aîné avec sérieux, seulement je ne peux m’empêcher de repenser parfois au garçon qu’il était alors. Il n’avait que dix ans, tout de même. Cependant, je suis tout à fait conscient que du temps a passé depuis.

- Ah oui ? le taquina Sergey. Et quel âge a-t-il maintenant ?

- Vingt-et-un an, je ne suis pas amnésique quand même. »

Il eut un léger rire tandis que son cadet lui lançait un regard moqueur. Dans l’entrée, une horloge tinta, tirant le plus jeune du sommeil. Il s’assit et regarda autour de lui, légèrement désorienté. Remarquant les deux autres il leur demanda :

Quelle heure est-il ?

« Dix-sept heures, l’informa Gavriil, tu n’as pas dormi longtemps. »

Il avisa son livre par terre et le ramassa. Il s’apprêtait à parler à nouveau quand la porte de la maison s’ouvrit. Tous trois furent rejoints un instant après par Nikita et Pavel.

« Alors ? s’enquit Sergey tandis qu’ils prenaient place.

- En bref, déclara son frère, c’est à nous de retrouver les derniers membres du complot.

- Je vais vous expliquer ça plus en détail, continua leur chef, mais je voudrais d’abord faire un rapide point sur la situation. »

L’ambiance changea immédiatement dans le salon. Désormais, le sérieux et l’attente se lisaient sur tous les visages. Le Lieutenant vérifia qu’il avait bien l’attention de chacun de ses hommes avant de reprendre :

« Sur le plan militaire, qui nous concerne moins, la victoire n’est plus qu’une question de temps. Le royaume a perdu trop de terrain alors que le moral de nos armées s’améliore chaque jour. En revanche, le côté du complot est plus trouble, car les conjurés restants s’évertuent à disparaître. Nous savons avec certitude qu’ils n’ont plus les moyens de faire grand-chose, cependant nous devons rester sur nos gardes afin d’éviter un éventuel regain d’énergie de leur part. »

Alors qu’il établissait ce constat, on toqua à la porte. Les cinq hommes se consultèrent du regard et Gavriil alla ouvrir. Il revint dans le salon accompagné par une jeune femme qui ne leur était pas inconnue.

« Eriko, la salua Nikita, je ne m’attendais pas à vous voir ici.

- Bien le bonjour à vous tous, sourit celle-ci, je vous prie d’excuser mon arrivée inopinée. Je me suis permis cette visite car j’avais une information quelque peu importante à transmettre.

- Allez droit au but, s’il vous plaît. »

Le chef des Chasseurs n’avait pas parlé sur un ton particulièrement agacé, mais tous les autres pouvaient sentir une forme de tension entre elle et lui, qui avait tendance à se changer en amusement du côté de la première.

« Vous êtes la cible d’un contrat d’assassinat. »

Un silence incrédule suivit.

« Là, c’était peut-être un peu direct. » commenta Sergey.

Nikita fixait Eriko qui soutenait son regard avec assurance. Le temps parut se suspendre tandis que les Chasseurs guettaient la suite. Leur chef finit par soupirer et déclara :

« Ce que vous avancez est assez surprenant. Pouvez-vous développer ? »

La jeune femme s’exécuta de bonne grâce, racontant comment elle avait découvert le projet des derniers conjurés sans cependant en apprendre davantage sur le modus operandi de l’assassin. À la fin de son explication un nouveau silence régna, préoccupé cette fois-ci.

« Je suis surpris qu’ils n’en aient pas eu l’idée avant. » fit remarquer Pavel avec une pointe de cynisme.

Son frère lui jeta un regard perplexe avant de répondre :

« Tu as raison, mais j’aurais préféré qu’ils n’y pensent pas du tout.

- Ils vont nous compliquer la tâche. » compléta Gavriil.

Au pire, se résigna Desya, un mort de plus ou de moins dans cette histoire…

Les trois autres lui jetèrent un regard surpris.

« Depuis quand fais-tu de l’humour noir ? » s’étonna Sergey.

Pour toute réponse, il haussa les épaules. Tous les quatre reportèrent leur attention sur leur meneur. Celui-ci arborait une expression vaguement ennuyée qu’il ne cherchait pour une fois pas à dissimuler. Il se décida à prendre la parole :

« Je vous remercie de m’avoir fait part de ceci, Eriko. À dire vrai, je ne m’inquiète pas vraiment, mais il vaut toujours mieux avoir une longueur d’avance sur ses ennemis.

- De rien, sourit-elle, je n’avais pas l’intention de rester sans rien faire. Je compte d’ailleurs continuer mes recherches pour le retrouver et…

- Non. »

Elle le considéra, stupéfaite.

« Comment ça, non ? reprit-elle.

- Vous avez une autre mission, n’est-ce pas ? »

Cela sonnait plus comme une affirmation qu’une question.

« En effet, confirma-t-elle franchement, et donc ?

- Occupez-vous en plutôt que de vous mêler plus avant de mes affaires. Une fois encore, je vous sais gré de votre action, mais elle s’arrête ici. Je n’ai pas besoin d’ange gardien.

- Jolie référence, comme vous êtes spirituel ! s’exaspéra-t-elle.

- On peut en dire autant de votre humour, ironisa-t-il, à moins que cela n’ait été involontaire.

- Ça suffit. » intervint Gavriil.

Tous se tournèrent vers lui. Il se tenait toujours debout à côté de la jeune femme, ce qui lui permettait de les jauger tous les deux. Il regarda chacun des antagonistes avant de parler :

« Nikita, tu lui dois probablement la vie, alors traite-la un peu mieux. Quant à vous Eriko, il me semble que vous savez très bien comment l’exaspérer mais permettez-moi de vous donner un conseil : évitez d’en user à l’avenir. »

Le Lieutenant et l’espionne acquiescèrent, évitant de croiser le regard de l’autre. Un temps d’incertitude passa, puis la jeune femme déclara :

« Je pense qu’il est temps pour moi de me retirer. Mes hommages, Messieurs. »

Elle leur fit une révérence et, conservant un air neutre, quitta la maison.

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