Prologue

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Dix hommes et femmes encerclent un canidé noir comme le geai, qui ressemble beaucoup à un chacal sans être un chacal à proprement parler. Ils portent de grands masques représentant des têtes d'animaux, ainsi que des costumes ornés de pierreries. Ils sont bien plus que des hommes. Ils sont des dieux.

– Mes frères, vous n'avez pas le droit de me faire ça ! hurle la bête pris au piège. Je suis comme vous. Un monstre comme vous.

– Comment oses-tu nous appeler « frère » après ce que tu nous as fait ? s'écrie un dieu à tête de faucon. Tu as violé nos lois. Tu as tué et si on te laisse agir, tu tueras encore. Nous avons juré de protéger la Terre, toi tu la mets en danger de mort !

L'étrange chacal se leva sur ses pattes arrière et grogna en serrant les dents.

– Vous m'avez tous trahi ! Kuavel ! Kuavelshunt ! Que la mort la plus horrible s'abatte sur chacun de vous !

– Traîtres, nous ? s'étonne un homme maigre portant un masque de serpent. Nous avons toujours tenu parole... C'est toi, le seul traître ici ! Tu mérites amplement ton châtiment.

– Qu'allez-vous faire ? Me tuer ? Je suis immortel ! jubile l'animal démoniaque.

Une jeune femme enlève son masque. Son visage pâle, magnifique affiche une expression très sévère.

– Le temps viendra où tu mourras. Aujourd'hui, t'éliminer nous est impossible, mais en des temps futurs, quelqu'un le fera à notre place. Nul ne peut vivre éternellement... Ainsi, tu ne nous laisses pas le choix. Adieu, mon ami.

Les dieux claquent des mains tous ensemble. Le chacal qui n'en est pas vraiment un sombre dans un gouffre sans fond en poussant un cri à glacer le sang. Triste est sa destinée ; il restera des milliers d'années enfermé en attendant la mort.



***



Sous un soleil de plomb, un groupe d'hommes et de femmes épris de légendes antiques marche sans relâche sur les terres d’Égypte. La chaleur du désert les accable, après tout l'eau et la nourriture ne courent pas les rues en plein milieu du désert. Épris de légendes, certes, mais s'intéressent-ils à nos dieux masqués et à notre invraisemblable chacal ? Pas vraiment... Non, eux, ils veulent exhumer la tombe d'Imhotep lettré, scribe, architecte et médecin tellement doué qu'on lui voua un culte en ancienne Égypte.

Le 26 août 2016, après des jours et des jours d'interminables recherches, les nuages s'accumulent dangereusement à l'horizon. En quelques instants, le calme légendaire du désert laisse place à la tempête. Les grains de sable transportés par le vent entrent sans ménagement dans la bouche, les narines et les yeux des pauvres scientifiques.

Heureusement, les meneurs de l'expédition, forts de leur expérience, connaissent bien les caprices de l’Égypte. Ils sortent de longues bandes de tissu de l'intérieur de leurs sacs et les font passer à leurs jeunes collègues, leur précisant de quelle manière les enrouler autour de la tête pour qu'ils n'aient pas à les remettre en place toutes les deux minutes. Ils leur filent aussi de grosses paires de lunettes de soleil, capables de bloquer et les rais aveuglants et les grains de sable.

Cependant, alors que les scientifiques finissent de s'équiper, les bourrasques se meurent. Devant eux, là où vingt secondes auparavant se tenait un mur de sable, s'étend une magnifique oasis. Les plus croyants hurlent qu'il s'agit d'un cadeau du Ciel, les autres se contentent de crier de joie.

Ainsi, l'expédition se précipite dans un bel ensemble sur une grande mare au milieu des arbres. Ceux qui ne prennent pas la peine de remplir leur gourde plongent la tête dans l'eau en poussant de grands éclats de rires. Les autres refont leur approvisionnement en eau pour au moins une semaine, ils remplissent quantité de bonbonnes en pleurant de joie.

L'humeur est au beau fixe lorsque le cadet de l'expédition, Paul Waterson, hurle à la cantonade :

« Venez voir ce que j'ai trouvé ! C'est sensass ! »

Les autres traînent les pieds, certains que ce crétin de Paul s'est encore étonné de voir sa propre ombre. Cependant, ils se rendent vite compte que le jeu en vaut la chandelle. Sur une stèle au pied d'un palmier, trônent un canidé, un lion et deux cercles, des étoiles peut-être.

– J'ai du mal à imaginer que personne n'ait découvert ça avant... grommelle Catherine, la doyenne.

– Détrompez-vous ! répond Paul, surexcité. Il y a des marques, un peu partout. 1937, « Ray Kurst, Deutschland », pour n'en citer qu'une. Ils l'ont découvert, mais soit ils n'ont jamais réussi à la transporter, soit ils avaient d'autres chats à fouetter.

Une femme colle la tête contre le sol, comme si elle cherchait à entendre ce qui se passait en-dessous.

– Hé, toi qui fais ton malin, tonne un gars baraqué comme un boxeur professionnel. Qu'est-ce que c'est écrit, là-dessus ?

Paul plisse les yeux.

– Les quatre symboles, impossible, mais les quatre hiéroglyphes en-dessous... Ici Nav... Navalké, centre de Navilis, le royaume des altmesh, ils disent.

Le costaud lui flanque une claque dans le dos qui pourrait assommer un cheval.

– Je crois que la tombe d'Imhotep vient de me sortir de la tête, gronde-t-il, un petit sourire aux coins des lèvres. Si on déterrait ce caillou, mes amis ?

Malgré les protestations de Catherine, l'expédition se range à l'unanimité du côté de ceux qui veulent en savoir plus sur cette mystérieuse stèle. Ainsi, sortant tout leur attirail, les archéologues font leur boulot : ils déterrent les mystères du passé.

Très vite, une grande dalle voit le jour. Une plaque ronde, jaunâtre, trône en plein milieu de sa surface polie. Incapable de tenir en place, Paul prend un couteau et entreprend de la déchausser avec son couteau. Au prix de larges coupures, il parvient à ses fins. C'est alors que, sous les yeux effarés de ses collègues, Paul Waterson disparaît.


Paul, tout aussi étonné que les autres, est encore en vie. Il n'en a plus pour longtemps, avec ses deux barres protéinées qu'il tient bien au chaud dans sa poche de pantalon, surtout dans un endroit comme celui-là. Tout autour de lui, des milliers de symboles recouvrent les parois incurvées d'une caverne dont la forme fait penser à l'intérieur d'une sphère. S'il s'agit bien d'une sphère, deux ponts se croisent pile en son centre en formant une plate-forme parfaitement ronde où brille un petit objet.

Après avoir essayé à maintes reprises d'appeler ses coéquipiers, il jette de rage son téléphone par terre. Le mobile rebondit et tombe dans le vide. Paul pousse un long cri d'agonie. C'était le premier téléphone qu'il avait acheté neuf !

Paul regarde les symboles pensivement... Figuratifs comme des hiéroglyphes, très stylisés, à mi-chemin entre le runique et le cunéiforme... Il n'en a jamais vus de tels de toute sa vie ! Paul rend les armes. S'il ne pouvait déchiffrer ce récit passionnant qui s'enroule autour de lui, il arpenterait les passerelles et, foi d'égyptologue, découvrirait l'objet qui brille au milieu de la sphère.

Paul Waterson n'a pas froid aux yeux ! La passerelle qu'il emprunte, pour être très longue, est si étroite qu'on ne peut y marcher qu'un pied devant l'autre. Si cette sphère n'était pas mystérieusement éclairée de l'intérieur, Paul serait tombé dans le vide en un rien de temps. Scrupuleusement, le jeune homme rejoint la plate-forme ronde qui fait la jonction des passerelles. Un joyau scintillant d'une couleur que Paul n'avait jamais vue trône sur un socle doré.

D'ordinaire, l'égyptologue n'est guère intéressé par la géologie, mais une pierre d'une telle beauté ne peut laisser personne indifférent. Une forme, à l'intérieur, tourne à toute vitesse, comme un poisson dans un bocal trop petit.

Il aurait pu essayer de résister, se dire que dans les films, tous les pilleurs de tombe qui prenaient des objets bizarres finissaient mal, mais il décide de se laisser aller. De toute façon, s'il ne la prend pas maintenant, cette pensée ne tarderait pas à l'obséder et il finirait forcément par la ramasser. Son erreur, il l'avait faite en déchaussant la gemme jaune de la dalle de l'oasis, maintenant, il n'avait plus rien à perdre.

Ses doigts effleurent seulement la pierre que Paul projette sa main en arrière. Il regarde, dégoûté, ses doigts couverts de cloques se tordre de douleur. Sans aucun bruit, l'artefact s'ouvre en deux comme un bourgeon éclatant au printemps. Un nuage de fumée en sort, formant peu à peu un immense canidé noir. Allongé sur ses longues pattes en plein milieu du vide, il fait un peu penser à un labrador, même si en vérité il n'a rien en commun avec un labrador ni aucun autre chien. Deux grands yeux jaunes brillent d'un éclat avide au sommet d'une tête triangulaire, à la gueule et aux oreilles très pointues. Le reste de son corps, lui, est squelettique.

S'il le pouvait, Paul fuirait à toutes jambes, quitte à retraverser la périlleuse passerelle à cloche-pieds ! Mais ses muscles tétanisés refusent de fonctionner. Le jeune chercheur n'a aucune échappatoire. Le monstre de fumée rétrécit jusqu'à atteindre la taille d'une panthère dont la silhouette se solidifie en se cabrant avec férocité. Désormais, c'est un monstre en chair et en os qui fait face à notre archéologue. Sa gueule béante, fendue d'un sourire pervers, semble prête à le dévorer.

Cependant, la bête n'en fait rien. Au contraire, elle sort sa grande langue bien rose et lèche la joue du pauvre explorateur qui n'y comprend plus rien. Ouvrant et fermant la gueule, voilà qu'elle se met à parler à la manière d'un humain !

– Comment t'appelles-tu, mon petit ? dit-elle d'une voix de stentor.

– P...Paul, bégaye l'intéressé qui se fait le plus petit possible.

Nouveau coup de langue.

– Tu m'as libéré. Je t'en suis reconnaissant. Maintenant, gratte-moi là, derrière les oreilles, Paul, je te prie. Mon vieux corps me démange !

Timidement, Paul s'exécute. La bête semble prendre beaucoup de plaisir. Elle lèche de nouveau le pauvre homme, qui laisse échapper un petit rire nerveux.

– Tu vois, je ne vais pas te manger. Tu m'as l'air très sympathique... J'aurais bien aimé posséder ton corps. Hélas, je vais devoir me débrouiller autrement...

La fumée noire de tout à l'heure s'échappe de la gueule de la créature, comme s'il s'agissait d'un esprit s'en allant rejoindre le paradis.

– Attendez ! crie Paul en levant la tête. Vous allez me laisser ici, tout seul ?

– Je n'ai pas le choix, dit une voix désincarnée qui résonne dans toute la sphère. Il m'est impossible de traverser les kilomètres de roche qui nous séparent de la surface à l'intérieur d'un corps. Quel dommage, tu ne verras jamais le prestigieux empire que je m'apprête à reconstruire ! Si la vie à Navalké te plaît, remercie les dieux de ma part. Moi, je vais les remercier à ma façon pour ce qu'ils ont fait à mon peuple !

– NON ! Revenez ! Faites-moi sortir d'ici ! S'il vous plaît !

La silhouette de fumée disparaît. Deux symboles diamétralement opposés s'allument, indifférent à l'homme qui pleure à chaudes larmes sur la passerelle. Un flux d'énergie passe de l'un à l'autre, déclenchant une chose, un processus que la Terre n'est pas prête à assumer. La Mojulkia.

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