Ils entrèrent dans la salle. Ils firent quelques pas, puis s’arrêtèrent. Non loin de la rose, un jeune homme en armure bleue les considérait avec surprise. Lui aussi s’était immobilisé, indécis. Le voyageur au bouclier l’interpela directement :

« Qui es-tu ? »

La question résonna un instant. Tous avaient conscience qu’il fallait aller directement à l’essentiel, car tout se jouait maintenant. La lueur cyan s’accrut légèrement, comme alimentée par la tension qui régnait.

« J’ai pour nom Euan, et je suis chevalier. Et vous ? »

Il paraissait plus déterminé que sur la défensive, malgré la douceur qui émanait de lui. La jeune fille répondit avec aplomb :

« Nous sommes deux aventuriers en quête de la rose de cobalt. Je me prénomme Aissia, et voici Egidio. Et il semblerait que nous devions nous départager pour cet artéfact. »

Euan posa la main sur la garde de son épée. Il parut hésiter, puis demanda :

« N’est-il pas possible de l’utiliser deux fois ? »

Aissia eut un sourire un peu condescendant.

« Tu es un pacifiste convaincu, n’est-ce pas ? Eh bien saches que la résolution de ce petit litige risque d’être plus complexe que tu ne le penses. Une fois que nous nous serons servis de la rose, Egidio et moi, elle perdra ses propriétés. Elle est ainsi, elle ne sert qu’une unique fois. »

Le chevalier considéra la fleur d’un air perplexe. Il se tourna à nouveau vers les deux autres et remarqua :

« Je pense que chaque parti considère sa quête comme plus importante, et qu’aucun n’est près à renoncer si près du but. Et que le fait que je sois arrivé peu avant vous n’est probablement pas un critère de votre point de vue, puisqu’il joue en votre défaveur. Que proposez-vous ?

- Toujours à rechercher les compromis, hein ? se moqua la jeune fille. Mon avis sur la question n’engage que moi et pourrait te déplaire. Les questions vitales se règlent les armes à la main.

- Aissia, protesta Egidio, je comprends ta hâte à résoudre la question, mais tu n’es pas en état d’affronter qui que ce soit. Je me battrais volontiers pour toi, mais si tu pouvais éviter de tout précipiter…

- J’accepte le duel. » intervint Euan.

L’autre épéiste soupira. Sa partenaire avait un don pour agacer ses interlocuteurs, quand elle était d’humeur belliqueuse. Le chevalier bleu les rejoignit.

« Très bien, dit Egidio à contre-cœur, le vainqueur remportera la rose. »

Les deux jeunes hommes se placèrent à quelque distance l’un de l’autre tandis qu’Aissia s’éloignait un peu. Egidio prit son bouclier et tous deux dégainèrent. Ils s’évaluèrent d’un rapide coup d’œil. Tous deux étaient de puissants combattants, l’un du fait de son épée à deux mains, l’autre par sa capacité à résister. Euan engagea le duel. Les lames s’entrechoquèrent, ils échangèrent quelques coups. Le chevalier bleu s’écarta, puis repassa à l’attaque. Il concentrait toute son énergie dans son arme, cherchant à briser la défense de son adversaire. De son côté, Egidio demeurait assez statique, encaissant les coups et analysant le style de son opposant. Il employa une feinte avec son épée et le repoussa de son bouclier. Euan changea de tactique. Il alternait frappes rapides et offensives vicieuses, contraignant son adversaire à redoubler de prudence. Aissia assistait au duel, attendant sa conclusion avec une assurance mêlée d’inquiétude. Elle aurait aimé se battre, et regrettait de s’être blessée juste avant. Elle devait reconnaître que l’autre épéiste ne s’en sortait pas si mal, bien qu’elle ne l’apprécie guère. Dès qu’elle l’avait vu, elle l’avait perçu comme un héros typique, à la fois noble et légèrement idéaliste. Le genre de personnage qu’elle ne supportait pas. En le regardant combattre, elle admettait qu’il était peut-être plus nuancé qu’un archétype. L’éclat dans son regard avait une intensité particulière, laissant deviner une volonté prête à aller jusqu’à la dernière extrémité pour l’emporter. En comparaison, Egidio semblait très calme, même au cœur de l’action. Cette confrontation était des plus intéressantes. L’épéiste bleu asséna une puissante frappe sur le bouclier, le fissurant. Il tenta un coup d’estoc pour le briser. La protection vola en éclats. Emportée par sa vitesse, la lame poursuivit son mouvement. Elle atteignit le combattant près du cœur. Euan retira précipitamment son épée. Il n’avait jamais voulu porter un coup fatal. L’autre épéiste demeura figé un instant.

« Egidio ! » cria Aissia.

Il s’effondra. Elle se précipita vers lui. Elle se laissa tomber à genoux et lui prit la main. Elle l’appela plusieurs fois, sans susciter de réaction. Le vainqueur les regardait, ne sachant que faire, sa lame ensanglantée toujours en main. Elle leva vers lui son regard plein de larmes.

« Tu l’as tué ! l’accusa-t-elle. Pourquoi es-tu allé jusque-là ?

- Je ne voulais pas ! protesta-t-il. Mon intention était de gagner en préservant sa vie. Jusqu’alors, je n’avais jamais éliminé d’autres hommes… »

Il baissa la tête, désemparé. Elle commença à pleurer, peinant toujours à réaliser ce qui se passait.

« Va donc prendre ton trophée, reprit-elle d’une voix sourde, et laisse-nous. »

Il ne bougea pas.

« Pourquoi vouliez-vous la rose ? demanda-t-il doucement.

- Pour lui, répondit-elle malgré elle, ce remède était notre dernier espoir. Mais tu l’as tué. À présent, il ne me reste plus rien. Ma vie n’a plus de sens… »

Il la considéra avec désarroi, sachant qu’aucun de ses mots ne pourrait l’apaiser. Finalement, il se détourna.

« Je te retrouverai, ajouta-t-elle alors qu’il s’éloignait, et tu me rendras compte de son sang. »

Il parvint au piédestal, marqua un temps d’arrêt, puis saisit délicatement la rose. Le halo qui l’entourait disparut. La fleur paraissait cependant toujours illuminée de l’intérieur. Il reprit sa marche, et quitta la salle.