CHAPITRE IV - deuxième partie

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Lưu Ly rompt le silence :

– Mon père n’est pas là.

– Je sais, ton oncle Cường me l’a dit...

– Tu connais bác hai ?

– Oui. C’est lui qui m’a donné votre adresse.

La maman arrive avec un plateau chargé de verres, d’une théière, de boites de boissons et d’une assiette de longanes qu’elle propose à Yann. Celui-ci choisit un verre de thé au jasmin.

Lưu Ly poursuit son interrogatoire pendant que sa mère invite le jeune homme à se servir en fruits.

– Comment tu connais bác hai ?

– Je cherchais quelqu’un pour m’emmener sur l’île de Ghềnh ; je l’ai rencontré comme ça.

– Et tu es allé nager trop loin !? dit Lưu Ly sur un ton de reproche.

– Oui… reconnaît Yann, pas encore prêt à avouer la suite. Le moine Liêm, à la pagode, m’a dit que la barque de ton père a heurté ma tête quand il s’est approché. Mais il n’a pas fait exprès, je suis sûr ; c’est à cause d’une vague. Mais heureusement que ton père était là, sinon je me serai noyé !... Et ton oncle m’a dit que ton père a eu un accident, qu’il est à l’hôpital. Est-ce que je pourrais aller lui rendre visite ?

– Je dois lui apporter à manger ce soir, alors tu peux venir avec moi, mais je dois d’abord lui parler sinon il a peut-être peur quand il te voit… Il croit toujours il t’a blessé…

– D’accord. Je fais comme tu veux.

– Alors, tu viens ici à 5 h 30 le soir.

– Très bien...

Tandis que Yann termine son thé, Lưu Ly tient sa mère au courant de leur discussion. Soudain, cette dernière est prise d’une quinte de toux. La jeune femme se lève pour la prendre par le bras et lui demande :

– Má có uống thuốc chưa ?

– Có rồi.

– Má cứ đi nghĩ nhé !

Yann se lève à son tour et s’inquiète auprès de Lưu Ly de la santé de sa mère, ayant compris qu’elle a pris des médicaments et qu’elle doit aller se reposer.

– Ma mère est malade depuis deux mois ; c’est pour ça, je suis ici au lieu de travailler chez ma tante ; c’est pour l’aider...

– Et le médecin a dit quoi ?

– C’est une maladie des poumons. C’est très long pour guérir...

– Vous êtes allés chez quel médecin ?

– À Phan Thiết...

– Tu travailles à Saigon, tu connais sûrement l’hôpital « Việt-Pháp »...

– Oui, je sais, mais c’est trop... loin.

Sur ces mots, Lưu Ly raccompagne Yann. Sur le seuil, il s’arrête.

– Lưu Ly, est-ce que tu as un peu de temps, je voudrais te parler.

– Parler quoi ?

– Beaucoup de choses... répond-il en la regardant en face. Elle a un visage fatigué qui témoigne des nuits perturbées et de la charge des soucis qui pèsent sur elle depuis quelques temps. Mais il y a toujours cet indéniable charme qui transparaît dans son regard et dans son sourire aussi lorsqu’elle le laisse échapper par les interstices de sa peine.

Après un instant de réflexion, elle répond :

– Ce soir tu viens visiter mon père. Après ça, peut-être.

– Très bien... Alors, à ce soir ! dit Yann en mettant son casque.

Juste avant qu’il ne démarre elle demande encore :

– Tu habites quel hôtel ?

– À Mũi Né, nhà nghĩ Hoa Biển.

– Hoa Biển ? s’étonne la jeune femme.

– Oui. Tu connais ?

– Je suis allé là déjà... dit-elle, sans préciser. Puis elle le salue. Il s’en va.

Arrivé au bout de la rue, il ne sait trop quelle direction prendre. Rentrer à la pension pour revenir en fin d’après-midi, ou bien rester en ville où il se peut qu’il rencontre la jeune femme et risque de lui paraître collant. Tandis qu’il roule, les pensées tournent dans sa tête. Pourquoi est-elle si distante ? Son attitude d’il y a une semaine, lorsqu’il a semblé la fuir, l’a certainement blessée. Lui aussi, par ailleurs, pourrait en vouloir à Lưu Ly qui n’a plus répondu à ses appels ! « Mais quel égoïste je fais à croire que je suis son principal centre d’intérêt ! Et puis, y a qu’à attendre ce soir, on verra bien la suite des événements ! » conclut Yann qui a finalement pris la route de Mũi Né.

De retour au village, il va acheter quelques fruits dont un durian et des desserts à base de riz gluant, puis revient à la pension, s’arrêtant en chemin pour retirer de l’argent au distributeur local.

Après le déjeuner, il s’allonge sur l’un des hamacs et ferme les yeux. Contrairement au début de la semaine, il savoure cette fois ce moment sans que de sombres pensées viennent ponctuer les vagabondages de son esprit, bien au contraire ; il lui semble qu’enfin, les évènements prennent meilleure tournure, ce qui lui donnera du courage pour affronter les difficultés à venir lorsqu’il sera de retour en France.

Il repense inévitablement à Lưu Ly mais en laissant de côté l’éblouissement passionnel pour envisager la situation de façon plus réaliste. Il se doit d’abord d’aider la famille de la jeune femme autant qu’il le peut car il parait évident qu’elle dispose de faibles moyens et ne peut pas se soigner correctement. En outre, avec les deux parents malades et Lưu Ly auprès d’eux, les revenus s’en trouvent certainement diminués de façon significative. Yann ouvre soudain les yeux. Au moment où le cheminement de sa pensée aboutit à cette constatation, il est saisi d’une frayeur : « Mais justement ! Quelles sont leurs ressources ? Comment vont-ils s’en sortir si plus aucun d’eux ne peut travailler ? se demande-t-il. Il y a bien la tante Lan et l’oncle Cường qui peuvent peut-être leur apporter de l’aide, mais tout de même !... Non ! C’est pas possible, il faut que je fasse quelque chose !... D’abord, Thìn m’a sauvé la vie, alors la façon de l’en remercier est toute trouvée ! Et ensuite, j’aime Lưu Ly...! » se dit Yann qui vient de lâcher le mot, le mot révélateur de ses émotions. En fait, à y réfléchir, il ne sait pas s’il peut déjà appeler cela de l’amour, mais ça y ressemble fortement ! Et, même si son état de santé à venir ou la réciprocité des sentiments restent incertains, ces deux raisons sont suffisantes pour qu’il agisse.

Sans tarder, Yann se rend dans sa chambre et sort une enveloppe de son sac dans laquelle il glisse quinze billets de 200.000 dôngs qu’il a retirés en fin de matinée. « Voilà déjà un début ; une fois de retour en France, je leur enverrai quelque chose chaque mois, aussi longtemps que nécessaire… et possible, décide-t-il. Avec oncle Martin comme seule famille et, vu que celui-ci n’est pas dans le besoin, autant aider les personnes qui, peut-être, vont l’agrandir ! »

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