Une chronique qui pue des pieds !

4 minutes de lecture

Mardi 19 mai 2020

Aujourd'hui, j'ai reçu mes nouvelles chaussures. Des baskets montantes, bleues jean, avec sur le côté un damier noir et rouge. Je les aime beaucoup.

J'ai toujours aimé les baskets montantes. Pendant longtemps, je n'ai porté que des Converses. J'aimais la variété des modèles ; il me fallait toujours des jours pour m'en choisir de nouvelles. Je me souviens de ma première paires : imprimé treillis. J'en ai eu bien d'autres, toute ma longue adolescence. Le drapeau américain. Cuir noir. Effet velours, impression zèbre : celles-là faisaient forte impression ! Noires, cloutées – elles allaient avec tout. Violet pétant, unies : des vraies chaussures d'émo ; je les avais eues pour trois fois rien dans un dépôt de déstockage, mais elles étaient mal taillées, trop petites. Je les ai données à ma sœur, pour dépanner. L'hérétique les a teintes en noir !

Et puis ce fut la paire de trop : noir et gris, bardées de fermetures. Je les ai mises pour la deuxième fois lors d'un rendez-vous taciturne, une journée shopping avec celle que j'aimais alors et qui n'avait pour moi qu'un désir vacillant. Je l'ai suivie toute la journée, comme un toutou fidèle. J'avais acheté un bouquin dont l'antivol sonnait à chaque portique. Mais elle ne disait rien, et moi non plus d'ailleurs. Je n'osais pas me plaindre ni demander une pause, malgré mes pieds en sang. Je suis rentrée chez moi, mes talons en lambeaux. Et ma mère a compris que tout s'était mal déroulé. J'ai revendu les chaussures, coupables de mes échecs. Et j'en ai acheté une autre paire : des têtes de mort mexicaines. Elles ont duré longtemps, parce que je les portais peu.

Entre temps, j'avais changé d'orientation pédieuse et j'avais commencé à investir dans des Dr Martens. Mes premières, c'était des bottes noires avec des fleurs brodées. Elles faisaient des ravages. La bonne sœur de mon lycée les jalousait. J'avais déjà une autre image des bonnes soeurs depuis le film Dorothy ; j'imaginais celle-ci en punk-rockeuse, dans sa jeunesse. En tout cas, tout le monde savait que j'étais lesbienne, et elle ne me regardait pas d'un mauvais œil. Certains de mes professeurs ne se gênaient pas franchement. Le jour où elle m'a complimentée pour mes Doc', je séchais la physique pour dessiner dans la cour. J'avais le prof en horreur et un chagrin d'amour me minait le moral. Ça m'avait fait sourire de nous imaginer, la sœur et moi, avec les mêmes chaussures.

Avant le mariage de ma sœur, la dame du magasin de robes aussi avait flashé sur mes bottes. Ce jour-là, j'avais un pantalon écossais, sur une jambe seulement (l'autre était noire) et un sweat-shirt avec sur la capuche la crête jaune d'un monstre. Ça, elle ne devait pas en voir tous les jours débarquer dans sa boutique, des petites émos de dix-sept ans ! À l'époque, je faisais forte impression. J'ai séduit plus d'une fille, à grand renfort de sweats kawaii. Je détestais les prêter, mais j'y consentais par amour. Mes sentiments étaient toujours déçus.

J'ai aussi eu des bottines. En cuir gris. Effet marbre. Avec des lacets bleus. Je les adorais. Je les ai usées jusqu'à ce qu'elles n'aient plus de semelles. Je les ai même gardées, foutues, dans un casier du garage.

Ma vie sentimentale était aussi complexe qu'épanouie lorsque mes Converses têtes de mort m'ont lâchée. Je n'ai pas eu envie d'en racheter. Aucun imprimé ne me plaisait. Cette année-là, je me suis rendue compte que j'avais toujours eu mal aux pieds. Mon récent tour de marche dans Paris avait sans doute aidé à cette révélation. J'ai décidé de changer de marque.

Voilà comment je me suis retrouvée à acheter des Vans. J'avais toujours pensé que c'était des baskets pour pseudo-skaters friqués. Je n'avais jamais eu envie d'en porter. Mais j'avais mal aux pieds, et je voulais quelque chose qui maintienne ma cheville. Alors, pour ne pas mourir idiote, j'en ai commandé une paire. Les plus basiques, toutes noires, avec les coutures blanches. Étonnant, quand on sait que, petite, j'avais une passion pour les sandales multicolores. Mes préférées étaient violettes et bleues, avec des papillons ; avant d'être détrônées par les blanches à fleurs de toutes les couleurs – rose, bleu, jaune, en fait, mais c'est déjà pas mal.

J'ai eu du mal à l'admettre, mais j'ai aimé mes Vans. J'ai compris l'engouement dès que, la toute première fois que je les mises, que j'ai marché avec, que j'ai marché plus que de raison, pour la première fois de ma vie, je n'ai pas eu d'ampoules. Non, je ne suis pas en train de faire un placement de produit – quoi que, je devrais peut-être songer à proposer une monétisation de cette chronique que personne ne lira à mon fournisseur de chaussures... Chacun doit trouver chaussures à son pied, son âme-sœur podale. J'avais trouvé la mienne – et mon âme-sœur aussi, soit dit en passant.

Je les ai portées presque tous les jours pendant deux ans, jusqu'à ce que l'arrière soit complètement arraché par mes frottements de talons. Alors, j'ai pris des heures à choisir une autre paire. Des chaussures dépareillées, bariolées de couleurs qui jurent. Ma chère et tendre les détestait. Moi, j'en étais très fière. Du moins, jusqu'à ce que le bout craque, à l'occasion d'une promenade, lorsque quelqu'un m'a marché sur la pointe du pied. Je me suis consolée en m'avouant que le blanc, c'était salissant. Alors, je m'en suis retournée écumer Internet jusqu'à dénicher la nouvelle paire parfaite. Ma nouvelle paire de baskets !

Ce qui m'a étonnée, en ouvrant la boîte, ça a été de constater qu'une seule des deux chaussures avait les lacets faits. J'ai enfilé les autres, trou par trou. Et puis, quand j'ai voulu les mettre, je me suis rendue compte que les lacets que j'avais trouvés faits dans l'emballage étaient comme piégés. Enfilés de travers. Impossibles à nouer. Ça m'a rendue furax. Et comme il faisait chaud – et comme de toute façon je ne pouvais pas sortir – j'ai mis des espadrilles.

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