I.A : ils sont parmi nous !

4 minutes de lecture

Vendredi 25 octobre 2019

À l'heure où j'écris, mon train file à travers les vertes étendues du nord de la France. Le "nord", pas le "haut". J'aurais sans doute l'air d'une conservatrice coincée ou juste d'une casse-couilles férue de vocabulaire, en clamant que la récente dénomination "Hauts-de-France" est une honteuse aberration. Pourtant, c'est bel et bien ce que je pense.

Force est de constater que nos politiciens ne sont pas des géographes puisque, mesdames, messieurs, il me semble que dès le CE2, on vous a appris à vous repérer sur le planishère, à distinguer le Nord du Sud et l'Ouest de l'Est (avec de savantes formules comme "Où est l'est ?" ou le fameux "Orange" dont l'inplaccable logique m'a toujours échappée).

On vous a aussi, je le sais, enseigné, peut-être tardivement, que la "hauteur" géographique correspondait à l'altitude – celle des Alpes, des Pyrénées, ou même celle du Massif Central – mais jamais à une quelconque position sur la carte. On dit bien le Pôle Nord, et non le "Pôle Haut". Autrement, les pingouins feraient du tire-fesses, les glaciers culmineraient à des hauteurs faramineuses et on aurait eu besoin de plus d'un quart de siècle pour presque tous les faire fondre...

Or, je peux vous en assurer, les actuels "Hauts-de-France" sont une région particulièrement plate. Si vous apercevez le moindre sommet digne d'être qualifié de "haut" sur la ligne Lille-Paris, prévenez-moi ! Mais surtout, consultez un opticien.

Toutefois, comme l'indique le titre (visiblement superflu) de cet essai douteux que, par convenance, nous appellerons "chapitre", je n'avais aucune intention de m'étendre sur quelque considération géographique en entamant son écriture.

J'avais dans l'idée d'aborder un sujet plus préoccupant, plus grave, plus déroutant. Ou peut-être me suis-je juste vendue à une certaine tendance putaclic – ce mot seul me fait frémir d'horreur, tant il semble violer la langue française par tous les pores...

Toi qui me lis – note que j'évite soigneusement toute polémique en n'abordant pas la question de ton genre car, en m'adressant au lecteur, je risque d'être targuée de "sexiste" pour l'omission de la lectrice et, si j'inclus la lectrice, on me reprochera sans doute de ne pas citer les autres... Parfois, j'aimerais que la langue française soit aussi précise, concise et inclusive que peut l'être l'anglais.

Toi qui me lis – disais-je – sache qu'ils sont parmi nous ! Eux. Les autres. Non, pas ceux que la société ou le langage omettent. Pas ceux non plus que l'on espérait récemment libérer de la Zone 51. Non ! Je parle bien des robots. Pas nos aspirateurs, ni nos motoculteurs, ni même nos merveilleuses et vénérées cafetières. Je parle de robots qui en tout point nous ressemblent, qui comme nous sont faits de chair, parlent intelligiblement et se fondent parmi nous pour distiller leur sombre propagande...

« Et sur quoi se fonde cette révélation douteuse ? », me demanderez-vous.

Et je vous répondrai, au risque de passer pour folle : « Sur la certitude absolue que l'un de mes enseignants est l'un des leurs. »

L'individu, apparemment de sexe masculin et d'une trentaine d'années, porte un nom peu commun. Si j'étais médisante – et, soyons francs, je le suis – je dirais que ce patronyme relève davantage du modèle de fabrique. Un peu comme si l'un de vos profs s'appelait Renault Captur...

Il présente une aisance démesurée et quasi-inhumaine à parler pour ne rien dire. Sachez qu'ayant fréquenté un peu trop longtemps les bancs de l'école, j'ai eu tout le loisir de côtoyer des enseignants moins pédagogues que d'autres, mais aucun d'entre eux n'avait à ce point la faculté de débiter du néant. Le comble, c'est qu'il énonce le tout avec la monotonie morne d'un GPS Tomtom !

Alors, ce matin, après trente minutes d'exposé monocorde, l'androïde décide – probablement histoire de se mettre un peu en veille et de recharger ses batteries – de nous passer un film. Malheur ! L'installation informatique de la faculté étant ce qu'elle est, le fichier est incompatible. Le robot se retrouve bras ballants devant nous, les yeux rivés au loin, complètement vide. Il demeurre immobile. Une minute s'écoule, puis deux. Le professeur nous fait face, mais il ne bouge ni ne parle plus. Mon regard va et vient entre l'horloge digitale de mon ordinateur et le conférencier en panne. Il me semble que, d'un moment à l'autre, un hologramme ou quelque autre invention futuriste nous transmettra un message d'alerte type : "ERREUR 404", "Redémarrage système", "Mise à jour en cours : 01%", ... Enfin, vous connaissez.

Cinq véritables minutes s'écoulent. Cinq longues minutes durant lesquelles un androïde crashé demeure en plein bug devant une classe de trente étudiants. Puis, soudain, de la façon la plus improbable du monde, le simulacre humain reprend son exposé comme si de rien n'était, comme si la barre de charhement avait miraculeusement progressé. Et nous restons tous glacés par l'étrange effroi que cette scène vient de semer.

Que faut-il penser ? Ai-je seulement le droit d'en plaisanter ?

Est-ce l'omniprésence de la technologie qui fait émerger dans l'esprit de la jeunesse – dépendante, dit-on – des parallèles saugrenus ? Ou est-ce le monde, de plus en plus normé, bien-pensant, criblé de préceptes absurdes, qui nous précipite un à un dans la démence d'un profond vide intérieur ? Ne serons-nous pas bientôt tous rendus à l'état de machines ? Machines à débiter, machines à réciter, machine à taper, machines à penser des idées prémachées. La réponse, à dire vrai, me fait peur.

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