Chapitre 4

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Tout se passe vite. Trop vite pour son cerveau intoxiqué par l’alcool. Quelqu’un se bagarre avec son agresseur. Thomas entend les bruits de lutte plus qu’il ne voit les deux hommes se battre.

Mal en point, il se traîne jusqu’à Léo. Ce dernier est toujours inconscient, son crâne poisseux de sang. Les flics… Je dois appeler les flics… Un cri le fige sur place. Il tourne sa tête d’un coup sec. Pris de vertiges, il ferme ses yeux et jure entre ses dents serrées.

Puis, plus aucun bruit ne lui parvient. Le silence s’avère aussi effrayant que le hurlement. Thomas sursaute lorsque quelqu’un pose une main sur son épaule. La voix qui le hante depuis une semaine s’élève dans une respiration saccadée :

« Tu vas bien ? »

Alexandre le fixe, le visage à demi-caché par la capuche de son sweat. Thomas cligne des yeux, incapable de répondre. Il grimace alors que la nausée crépite dans sa gorge.

« Faut appeler une ambulance pour ton pote. Tu as un portable ? »

Thomas opine du chef. Il fouille dans l’une des poches de son manteau. Une fois récupéré, il le tend à Alexandre. Ce dernier ne lui demande pas son code, passant un appel d’urgence via l’écran de verrouillage.

L’esprit embrouillé, Thomas observe Alexandre. La main de ce dernier n’a pas quitté son épaule. Sans y réfléchir plus longtemps, Thomas l’attrape dans la sienne et ne la lâche pas. Le temps semble à la fois figé et en accéléré.

« Thomas ? Une ambulance arrive d’ici quelques minutes. J’sais pas s’il y aura des flics. »

Alexandre surveille les alentours, son regard passant d’un côté puis de l’autre de la rue. Thomas voit sa pomme d’Adam bouger quand il déglutit.

« J’peux pas rester et me faire choper… »

Il lui rend son téléphone, le range dans sa poche.

« Promis, je reste pas trop loin. »

Alexandre se lève, mais Thomas refuse qu’il parte. Il grogne avant de souffler dans un chuchotis :

« Reste…

— J’suis désolé. C’est trop risqué…

— Pars pas !

— Je reviendrai te voir, promis. »

Thomas ne bouge pas, le regard brillant de larmes. Maintenant qu’ils sont de nouveau ensemble, il ne veut pas répéter la même erreur. Alexandre s’impatiente :

« Thomas, lâche-moi. Maintenant. »

Alexandre essaye de se défaire de son emprise en douceur.

« Thomas, s’il te plaît.

— Me… nous laisse pas. J’suis… j’suis désolé.

— Moi aussi, mais on en parlera une autre fois. Je dois y aller.

— Pourquoi ? Pourquoi tu veux pas… tu veux pas… »

Alexandre soupire, le regard partagé entre Thomas et leur environnement.

« Je t’expliquerai plus tard. J’dois filer avant que les flics arrivent. »

Thomas agrippe maintenant de ses deux mains celle d’Alexandre. Il l’implore du regard. Quelque chose en lui refuse qu’ils se séparent.

« Désolé… »

Avant que Thomas ne puisse comprendre ses excuses, Alexandre s’arrache à sa poigne avec violence. Il le repousse et s’enfuit. Sa fuite est suivie d’une complainte, alors que Thomas l’appelle dans un hurlement sourd.

*

Le cœur dans sa trachée et une douleur aigüe irradiant de sa cheville à son torse enflammé, Alexandre court à en perdre la raison. Il bénit le ciel de l’avoir pousser à suivre Thomas. Il ne comprend pas cette impulsion, ce besoin presque maladif de veiller sur son ancien camarade de classe.

Mais ce soir, il remercie ce désir qui le ronge depuis une semaine, jour pour jour. Il culpabilise de ne pas être resté auprès de Thomas et de Léo – s'il a bien reconnu le rouquin. Pourtant, sa situation ne lui permet pas de risquer une confrontation avec les autorités.

Il sait que son père le recherche. Pas que lui d’ailleurs, pense-t-il avec amertume. L’incendie lui revient en mémoire. Les flammes vives dévorent tout sur leur passage et illuminent un ciel nocturne. Pas le choix, j’avais pas le choix ! se répète-t-il avec désespoir.

Finalement, il ralentit le pas et s’enfonce dans une ruelle sombre et étroite. Il récupère son souffle. Merde. Il voulait rester non loin de Thomas, mais la peur la poussait à s’éloigner. Demain, j’irai le voir demain, se jure-t-il. Il inspire un grand coup et grimace. Après avoir confirmé qu’il était seul, Alexandre soulève son sweat. Des bleues fleurissent déjà sur sa peau pale. Une coupure bénigne en tranche la blancheur en une ligne rouge.

Il a eu de la chance.

Alexandre réfléchit à l’homme qui a agressé Thomas. Je l’avais jamais vu avant… Des rumeurs courent sur des agressions. Des points concordent : la barre de fer, remplacé par un poignard après avoir assomé ses victimes, une attaque de nuit et dans un environnement isolé.

« Merde ! »

Il prie pour ne pas devenir l’une de ses cibles. Comment j’ai tenu ? Il jauge ses membres plus maigres que musclés. Même quand il jouait au handball, ses amis s’amusaient à se moquer de sa carrure chétive.

Il repense à l’adrénaline qui l’a électrisé. Avec elle, l’image de Thomas menacé par un couteau lui revient. Alexandre a eu peur autant que lui. Ce soir, ils ont évité une tragédie. Mais, la prochaine fois sera-t-il là ? Et aura-t-il assez de force ?

Plus la fin d’année s’approche, plus il lui est difficile de rassembler assez d’argent pour un sandwich. Parfois, il profite de la soupe populaire même s'il évite de s’y rendre au maximum, dans la peur que quelqu’un le reconnaisse et ne rapporte sa présence à son père.

Une association locale lui a donnée un manteau et une tente. Cependant, les températures n’ont jamais été aussi basses en près de trente ans. Certains parlent même d’un record battu la nuit précédente.

À quoi bon ? Cette question le hante une énième fois. Le regard abattu de Thomas apparaît à son esprit. La chaleur de sa main sur la sienne le brûle. Alexandre mord ses lèvres, s’interdisant d’y croire plus que de raison.

Même si Thomas lui souhaite tout le bien du monde, il ne pourra jamais l’aider. Alexandre refuse qu’il prenne ce risque. Je n’en vaux pas la peine… Les sirènes stridentes d’une ambulance le font sursauter. Il sourit, soulagé à la pensée que Thomas et Léo sont enfin entre de bonnes mains.

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