L'avis du corps médical

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J’avais aussi envisagé de me tourner vers le corps médical. Après toutes les « expériences » que j’avais menées, j’étais curieux d’en savoir un peu plus d’un point de vue scientifique. Cela comportait l’avantage de confier mes interrogations à une personne inconnue, totalement neutre, comme un psychiatre ou un neurologue.

J’avais donc fait quelques recherches autour de moi et imaginé, de longues heures durant, la manière dont je pouvais aborder un hypothétique rendez-vous et raconter mon histoire. Je ne doutais pas de mes capacités à argumenter mon propos avec nombre d’exemples et de situations vécues, mais la difficulté consistait d’abord à allumer un véritable intérêt scientifique chez mon interlocuteur, avant qu’il ne me fasse sortir de son cabinet en express.

Je m’inventais des dialogues, je jouais des variations, à la manière d’une pièce de théâtre – ce qui devint d’ailleurs mon activité professionnelle des années plus tard.

– Bonjour Docteur.

– Bonjour, Monsieur Brissot, je vous en prie, installez-vous. Que puis-je faire pour vous ?

Par timidité d’une part, et peut-être aussi par respect, j’avais exclu de m’adresser à une femme. Avec du recul, cela aurait pourtant été la façon la plus directe de faire la démonstration de ce que j’allais avancer. Toujours est-il que dans mes scénarios, le docteur était toujours un homme.

– Hé bien, voilà. Je viens vous voir pour une demande très particulière… Je sais que votre temps est précieux et je vous assure que je ne suis pas ici pour vous le faire perdre. Il se trouve que je suis atteint d’un syndrome peut-être unique en son genre… Enfin, pas littéralement un syndrome parce que je ne souffre pas vraiment, mais disons une sorte d’aptitude que j’ai décelée depuis mon plus jeune âge. Et si je viens vous voir aujourd’hui c’est en fait pour tenter de comprendre et d’en savoir plus à ce sujet, qui comporte peut-être un intérêt médical.

– Très bien. Poursuivez.

– Et je précise que c’est quelque chose que je n’ai encore jamais partagé avec personne d’où une certaine émotion...

– Oui bien sûr, je comprends. Détendez-vous, prenez votre temps, je suis à votre écoute. J’ai de nombreux patients qui ressentent ce type d’angoisse lors de nos premiers entretiens, vous savez... Vous parliez donc d’une aptitude, c’est ça ? Mais pouvez-vous la décrire, un peu plus précisément ? De quoi s’agit-il réellement ?

– Bien, je me lance…

C’est généralement là que résidait toute la difficulté : comment décrire la chose sans avoir l’air totalement ridicule ? Certes le ridicule ne tue pas, mais il peut faire vivre des situations désagréables et ce n’est pas ce que je cherchais. J’en étais finalement venu à formuler ainsi mon cas :

– Il se trouve que lorsque je regarde une femme dans les yeux, disons suffisamment longtemps, j’ai la capacité, si je le souhaite, de provoquer chez elle une « réaction ». Je ne sais pas si cela passe exclusivement par le regard ou bien s’il y a une action conjuguée de phéromones ou autre chose, mais concrètement cela se traduit chez cette femme, selon sa disposition, par un ensemble plus ou moins puissant de stimuli sexuels.

Le premier réflexe aurait sûrement été la surprise : « Pardon ? Vous pouvez répéter ? ». Mais à partir de là, malheureusement, j’imaginais souvent le praticien enlever ses lunettes et reculer sur son fauteuil, en me toisant avec la plus grande circonspection. Certains garderaient leur calme…

« Écoutez monsieur, il s’agit visiblement d’une blague et comme vous l’avez rappelé, mon temps est précieux. Je vais donc vous demander de quitter mon cabinet immédiatement, sans faire d’esclandre. Au revoir. » Le tout suivi d’un éventuel « Nancy ! », adressé à la secrétaire via l’interphone, « veuillez raccompagner monsieur Brissot à la sortie, s’il vous plaît ».

D’autres seraient plus violents…

« C’est un canular, c’est ça ? Vous vous foutez de ma gueule ? Mais je n’ai pas de temps à perdre avec des inepties pareilles, moi ! Non, mais, il faut vous faire soigner mon pauvre ! Tenez, si vous voulez je peux vous recommander un confrère qui va s’occuper de votre cas, à la police ! Allez, sortez d’ici ! ».

… Avec tout le spectre des réactions possibles entre les deux.

Certains praticiens auraient peut-être fait mine de me prendre au sérieux, tout en me cataloguant instantanément dans la catégorie des pervers mythomanes, des délinquants sexuels ou autres détraqués du phallus :

« Mais c’est tout à fait intéressant. Racontez-m’en un peu plus… Vous dites que cela a commencé durant votre enfance, c’est cela ? »

Et ceux-là auraient été les pires, insistant pour que je revienne les voir, sans croire un traitre mot de ce que je pourrais bien leur raconter.

J’envisageais tous ces cas de rejets pour me protéger, d’une certaine manière. Quand bien même j’avais fait suffisamment de fois l’expérience de ce que j’avançais, une infime partie de moi redoutait encore qu’il ne s’agisse d’une invention pernicieuse de mon cerveau. Et à ce moment-là, j’avais peur de confronter cette méfiance résiduelle à la réalité.

Et si rien ne se passait lorsqu’il s’agirait de prouver mon aptitude ? Quel embarras effroyable ! Sans parler de la psychothérapie qu’il me faudrait engager dans la foulée pour ne pas finir à l’asile.

Et si je réussissais, où cela me mènerait-il ? Il était hors de question que je devienne un animal de foire à qui l’on demanderait de multiplier les « expériences », c’est à dire concrètement, exciter des femmes sur commande, voire donner des interviews ou passer à la télé ! Horreur !

À cette époque, je me faisais sûrement beaucoup d’illusions sur l’intérêt que la société pouvait accorder à mon « don ». Aujourd’hui, dans un monde hyper sexualisé où le viagra féminin nous est présenté comme le saint Graal, ma disposition particulière ne manquerait certainement pas d’attirer les convoitises et je n’ose imaginer où cela m’emmènerait.

Mais je ne cherchais pas la célébrité ou la gloire : ma démarche était avant tout égoïste. J’avais besoin de me rassurer et de savoir qu’il y avait une explication rationnelle à mon cas.

(à suivre... prochain chapitre "Ce qu'en dirait Mathias")

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