Chapitre 17 - Achalmy

14 minutes de lecture

An 500 après le Grand Désastre, 1e mois de l’hiver, Château du Crépuscule, Terres de l’Ouest.

Je ne dormis pas beaucoup la nuit qui suivit les funérailles. Une fois le bûcher complètement affaissé, Alice s’était servie de ses pouvoirs pour rassembler les cendres dans une bulle d’air. Mon sabre toujours dans une main et l’autre guidant ses courants, mon amie m’avait suivi le long des remparts. La lune avait guidé nos pas jusqu’au bord de la colline, qu’un éboulement ancien avait rendu abrupt. J’avais demandé à Alice de déverser les cendres ici. Elles partiraient dans l’air, en direction des champs, des vergers et de l’océan. Elles voleraient là où elles le souhaiteraient, se séparant si nécessaire.

Libérées, les cendres avaient rapidement disparu de notre champ de vision, avalées par le vent et la nuit. J’avais dit au revoir à mon ami. Salué Mars en tradition nordiste une dernière fois. Puis nous étions partis.


L’agitation ne tarda pas à s’élever dans les couloirs. J’enfilai mes bottes, rassemblai les vêtements propres qu’un domestique avait déposés la veille et me dirigeai vers la salle des bains. À présent que j’avais récupéré en partie, je pouvais moi-même chauffer mon eau. Des bacs avaient été poussés contre le mur près d’un âtre. J’en récupérai un, pris mon temps pour en augmenter la température sans m’épuiser puis entamai ma toilette. Je ne voulais pas faire peur à Alice ou sa mère en les croisant.

Je gardai mes sabres à la main pour me rendre vers la Gran’Salle. Quelques soldats me jetèrent un regard soupçonneux, mais je devais être trop amorphe pour les inquiéter. L’antichambre était déjà bien remplie quand j’y arrivai. Une vingtaine d’Occidentaux en tenues diverses – des fermiers, des Nobles, des artistes aux accoutrements improbables – patientaient en bavardant. Étonné, je m’approchai d’un groupe de trois personnes pour en apprendre plus.

Apparemment, la nouvelle du retour miraculeux – divin disaient certains – de la princesse Alice s’était répandue dans l’Ouest. À vrai dire, au fur et à mesure des conversations, on ne disait plus princesse Alice.

Reine Alice.

Un sourire m’étira les lèvres. C’était vrai, qu’elle avait son allure de petite reine. Pas bien intimidante de prime abord, mais acharnée et solide en-dessous. J’en avais eu la preuve depuis que j’étais arrivé au Château.


Quand les portes de la Gran’Salle daignèrent s’ouvrir, le valet des doléances attendit que le calme fût revenu parmi les impatients pour déclarer :

— Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre patience et de votre sollicitude envers notre nouvelle reine. Je suis toutefois dans le regret de vous annoncer que la reine Alice ne pourra pas vous recevoir dans l’immédiat. Les doléances en sa présence ne commenceront que dans deux semaines, une fois que la succession sera assurée. (Tandis que les murmures s’élevaient dans la petite foule, le valet ajouta en gonflant sa voix :) En attendant son retour, Dame Trianna et le prince Milash prendront de leur temps pour vous écouter.

Les murmures s’éteignirent d’un coup. Puis, comme s’ils avaient été accordés sur les cordes d’un même instrument, les Occidentaux éclatèrent. Il me fallut quelques secondes pour vérifier qu’il s’agissait bien de joie et non pas de colère. Stupéfait, je dus reculer de quelques pas pour éviter une Noble qui enlaçait son époux en scandant « Reine Alice » d’une voix portante. À ses côtés, deux jeunes filles s’agrippèrent les bras pour tournoyer, le prénom de « Milash » ressortant de temps à autre entre leurs cris enthousiastes.

Assommé par les éructations, je me retirai dans le couloir. Les Occidentaux m’étonnaient encore. M’étonneraient sûrement toujours. Mais, aujourd’hui, j’avais l’impression que ça pouvait être positif. Instructif.

— Achalmy des Dillys ?

Je dressai la nuque, clignai des yeux face à la jeune femme au sourire mordant qui me faisait face. Son expression confiante n’avait pas changé, comme l’éclat doré de ses yeux.

— Soraya Samay.

Elle rit doucement avant de me tendre la main. Salut Sudiste. Je l’acceptai avant de regretter aussitôt. La bougre me broyait les os. Quand je finis par grimacer, elle ricana et me lâcha.

— C’était pour Alice, expliqua-t-elle en haussant ses épaules rondes. Tu ressembles à un fantôme des contes de mon enfance : aigri, muet et invisible. Il me semble bien que le Chasseur qui a traversé la moitié d’un continent pour sauver une princesse qui ne lui a rien demandé était un peu plus vivace. Je dois reconnaître que j’en attendais plus.

Ébahi par ses propos, je n’eus pas l’esprit de réagir à temps. Elle profita de mon silence pour enchaîner avec agacement :

— Par la barbe d’Eon, je sais bien que vous autres Nordistes n’êtes qu’une bande d’ours grossiers et…

— Eon a pas de barbe.

Soraya se tut, les yeux écarquillés. Ses lèvres charnues se pincèrent une seconde.

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Mars disait souvent ça aussi « par la barbe d’Eon ». Ça doit être un truc de Sudiste. Mais Eon a pas de barbe, il est même complètement imberbe.

— Oh.

Un silence étonnant tomba entre nous. Puis l’ombre de quelque chose naquit sur la bouche de Soraya. Sur la mienne aussi. Quand nous commençâmes à rire, ce fut discret. Puis plus vraiment.

Des domestiques finirent par se montrer, alertés par les rires qui nous faisant larmoyer, Soraya et moi. Elle les rassura entre deux hoquets, une main sur mon épaule et l’autre en pleine agitation. Ça ne m’aurait pas surpris qu’elle mît le feu aux roses d’hiver qui décoraient le couloir. Mon ventre contracté et mes joues trop sollicitées me tiraillaient, mais c’était étonnamment agréable. Je ne savais pas à quand remontait la dernière fois où un fou-rire m’avait tiré quelques larmes. Sûrement une soirée avec Mars, alors que l’alcool diluait nos pensées. Merde, il me manquait. L’idée de lui, de son rire, de sa voix, de son feu, de ses protestations me manquait.

— Merci, soufflai-je à Soraya alors qu’elle reprenait son souffle, les yeux bouffis. Et désolé.

— Je t’en prie, ours mal léché. Toutefois, ce n’est pas vraiment à moi que tu dois des excuses.

Je fermai les paupières, inspirai. Mes poumons se gonflèrent malgré la douleur dans mes côtes. Je me sentais vivant.

— Je sais. (J’observai Soraya de biais, l’air penaud.) Tu sais où elle est ?

— Aux écuries. Elle prépare notre voyage. Nous ne devons pas tarder et elle m’a chargée de te retrouver.

— Quel voyage ? marmonnai-je en fronçant les sourcils. Je… vous… on vient juste de rentrer.

Elle roula des yeux puis claqua la langue d’irritation.

— Vers le Noyau. Tu as oublié la raison pour laquelle nous avons dû tous partir et risquer nos vi…

Elle s’arrêta à temps, jura tout bas. Mars. Je la rassurai d’un petit sourire et l’incitai à reprendre.

— Aion, gronda-t-elle en menant la marche. Nous devons repartir au Noyau, nous assurer qu’Eon et Kan ont bien retrouvé les leurs. Mettre fin à cette foutue…

Soraya claqua la langue comme elle ne trouvait pas de mot adéquat. Je la laissai me guider le long du couloir. Nous ne tardâmes pas à tomber sur la porte d’entrée, d’un étonnant rouge-orangé.

— Par la même occasion, lever la menace qui te pèse dessus, imbécile, trouva-t-elle bon d’ajouter en faisant signe aux gardes de nous ouvrir.

Oh oui, avec tous les événements récents, j’en étais venu à oublier que ma vie dépendait de notre réussite. Que Galadriel, la Vie, et Lefk, la Mort, s’étaient réservés le droit de reprendre ce qui était leur.

Comme nous traversions une cour salie de boue malgré les pavés, je haussai un sourcil. Soraya ne s’était pas plaint que la terre allait abîmer ses sandales. À vrai dire, elle portait des bottes. Plus appropriées pour voyager dans l’Ouest en plein hiver. L’odeur des écuries nous signala leur emplacement quelques mètres avant leur apparition, calées contre un pan de murailles. Trois chevaux attachés à une barre de bois renâclaient, impatients de partir sur la route – ou de rentrer dans leur stable.

Des écuyers vaquaient à leurs occupations, à peine perturbés par la silhouette agile d’Alice qui voguait entre les écuries et les trois montures. Concentrée sur sa tâche, elle ne nous avait pas encore aperçus. Soraya me tapota l’épaule avec un sourire en coin.

— Je te laisse parler avec elle, je vous rejoindrai plus tard.

Elle ne manqua pas de me donner une tape sur les fesses en repartant.


Ma glotte avait l’air d’être tombée au fond de ma gorge quand j’approchai des chevaux. Alice s’était glissée au milieu de l’un d’eux pour vérifier le mors. J’attendis qu’elle eût fini sa tâche et qu’elle se retournât. La surprise agrandit brièvement ses yeux.

— Bonjour.

— Bonjour, Al. (Elle enfila le gant qu’elle avait retiré pour vérifier le harnachement.) Comment tu vas ?

— Un peu sonné.

Je reculai d’un pas pour la laisser passer. Elle ne me regardait pas, le nez levé vers le ciel gris.

— Moi aussi, souffla-t-elle d’une voix lointaine avant de m’adresser un mince sourire. Je suis contente de te revoir. Nous n’avons pas vraiment pu nous parler correctement depuis que tu es arrivé.

Avant que je pusse acquiescer, elle farfouilla dans la poche de son imposant manteau doublé de fourrure. Je ne distinguais pas grand-chose d’autre de sa tenue, mais ses chausses épaisses devaient la protéger du froid. Ses bottes d’équitation en cuir étaient elles aussi fourrées de laine et lacées jusqu’en-dessous des genoux. Son accoutrement n’avait pas grand-chose d’occidental, mais ça n’avait pas l’air de la gêner.

— Tiens, reprends cette pierre, lâcha Alice en me glissant quelque chose entre les doigts.

C’était le Saphir de ma mère. Il y eut comme une décharge électrique dans ma poitrine.

— Garde-la.

Alice fronça les sourcils, ouvrit la bouche pour répliquer.

— J’ai trouvé mon propre Saphir, expliquai-je en enfonçant la main dans ma besace. Sur le Mont Valkovjen, peu de temps avant… de tomber sur Eon.

Les yeux luisants de curiosité, Alice se pencha sur le joyau que je lui présentais. Il n’était pas aussi ciselé que celui de ma mère, mais d’une taille plus conséquente.

— Magnifique, acquiesça-t-elle en redressant le cou. Tu es un adulte à présent, si j’ai bien compris ?

En toute logique, oui, j’avais accompli la Maturité. Il ne me restait qu’à me faire tatouer le symbole qui le prouverait au reste de mes semblables. Mais je ne me sentais pas très adulte en face de la jeune femme qui avait supporté mon amertume et mon silence pendant des heures.

— Eh bien… oui. (Comme Alice observait le Saphir des Glaces entre ses doigts avec une moue dubitative, j’ajoutai :) Garde celui-ci. Ça me ferait plaisir.

Une confusion embarrassée se peignit sur ses traits.

— C’est que… tu es certain, Al ? C’est l’un des seuls souvenirs que tu as de ta mère.

— Sûr et certain. Tu le mérites. Plus que moi.

Comme une ombre recouvrait l’indigo de ses iris, je soupirai.

— C’est un pauvre gage de remerciement, Alice. Pour Mars. Et pour moi aussi.

— Très bien. Ça ne te dérange pas si je le porte en pendentif ?

— Pas du tout. (Je fronçai aussitôt les sourcils, perplexe.) Mais… les gens vont pas trouver ça bizarre ? Vous ne portez pas beaucoup de bijoux très voyants dans l’Ouest.

Un sourire mutin se dessina sur ses lèvres. Tout en caressant la pierre de ses doigts, elle haussa les épaules. Une mèche de cheveu sombre échappée de son chignon bas glissa sur sa joue rougie par le froid.

— Peu importe. Je crois que ce ne sera pas la première étrangeté de mon règne. Un tas d’autres changements arriveront.

À voir sa mâchoire douce serrée et ses grands yeux plissés, je n’en doutais pas. Un drôle de silence glissa sur nous, s’étendit à la cour puis passa les murailles. Même le vent s’était tu. Puis l’un des cheveux renâcla et Alice sortit de sa torpeur. Avec un sourire discret, elle glissa sa nouvelle possession dans sa poche et tapota la croupe de sa jument baie.

— Tu es prêt à partir ?

— Oui. (Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule. Soraya discutait avec un soldat quelques mètres plus loin.) Je vais aller chercher Sora…

Je me tus. Par les Dieux, je reconnaissais le garde. Taille imposante. Épaules imposantes. Regard imposant. Force imposante. Un frisson ne remonta la nuque, mon estomac se tordit légèrement. Malgré l’appréhension qui grandissait en moi, un sourire me fendit les lèvres.

— Neil Wilson, soufflai-je avec un goût de fer sur la bouche. Le commandant de la garde royale.

Alice me jeta un regard à la dérobée.

— Il m’a foutu une sacrée raclée cet été, quand j’étais à ta recherche.

Soraya s’esclaffa au milieu de sa discussion. Son rire se répercuta sur les murailles qui nous surplombaient. Elle échangea quelques mots de plus avec le commandant avant de nous remarquer.

— Reine Alice, lança aussitôt Neil Wilson en s’approchant d’un pas affirmé.

Mon amie lui tendit la main pour qu’il frôlât son gant de ses lèvres. Lorsqu’il redressa le cou, son regard violacé me perça la nuque. Un rictus crispé remonta sa joue, mais il se retint du moindre commentaire. Se souvenait-il au moins de moi ?

— Achalmy, soufflai-je en exécutant le salut nordiste.

— Je me rappelle de toi. Surtout de ton escapade qui a réduit notre camp en fumée.

Je ne pus retenir un sourire fugace. Mars avait joué avec le feu, ce jour-là. Soraya m’adressa un regard suspicieux quand elle nous rejoignit dans la discussion. Elle attendait sûrement que nous fûmes seuls pour m’interroger sur mon échange avec Alice. Peut-être qu’elle me grillerait les sourcils.

Comme j’avais raté une partie de la discussion, la demande que prononça Neil Wilson à sa nouvelle reine me laissa muet un instant :

— Vous en êtes certaine, ma reine ? Voyager avec deux étrangers comme seuls renforts…

Alice lui adressa un sourire qui se voulait rassurant. L’image de la jeune reine, pas plus haute que le garrot d’un grand poney, et de son commandant aussi large qu’une cheminée avait de quoi dérouter.

— Les deux étrangers en question ont déjà fait leurs preuves, commandant Wilson.

— Oui, peut-être, mais laissez-moi envoyer quelques soldats avec vous.

— Sans vouloir vous vexer, je crois qu’il vaut mieux terminer cette quête divine avec les personnes qui ont connu son début.

— Et votre mère ? Votre frère ? Ma reine, vous venez juste de rentrer, votre famille et le peuple ont besoin de vous.

Alice tenta d’amoindrir ses craintes en lui tapotant le bras. On aurait dit une souris face à un loup. Mais une souris qui balançait de fourbes petits éclairs.

— J’ai chargé Ash et ma mère de s’occuper des doléances en mon absence. Et de prévenir le peuple de l’Ouest que leur nouvelle reine s’efforcera de redorer la foi oneirianne en leurs Divinités Primordiales.

Neil Wilson soupira quand il comprit que rien ne la ferait changer d’avis. Son regard ferme et soucieux nous considéra tous les trois, la jeune reine, la Sudiste exilée et le Chasseur blessé.

— Bien. Je n’ai plus qu’à vous souhaiter bon voyage et bonne chance, dans ce cas.

Soraya acquiesça d’un air satisfait tandis qu’Alice remerciait l’homme de sa sollicitude et de sa confiance. Comme les deux jeunes femmes s’éloignaient pour les derniers préparatifs, il me retint par le bras.

— J’ai assisté de loin aux funérailles d’hier. Ton ami devait être un valeureux guerrier.

— Il était maladroit, répondis-je d’un ton engourdi. Mais, valeureux, oui. Sûrement un peu trop.

Neil Wilson me considéra en silence, avec un respect pour mon deuil. Je m’en sentis étrangement reconnaissant. Avant que je pusse le saluer pour de bon, il empoigna le manche de son épée et baissa le cou. Stupéfait, je restai quelques secondes bouche bée face à lui.

— J’aimerais que tu me pardonnes du mal que je t’ai causé il y a quelques mois. Tu as essayé de m’expliquer la vérité et je ne t’ai pas cru.

— N-Non, bredouillai-je en secouant ma main valide. Je m’excuse aussi. Je… je sais que des soldats…

— Oui, tu as tué certains de mes compagnons. Je n’oublierai jamais, Chasseur. Pour espérer te faire pardonner, je te prierais de faire attention à notre reine.

— Notre ? Je suis pas…

— Tu lui dois la vie, si je ne m’abuse. Dame Alice est en mesure de se protéger, je crois que ses voyages loin du Château lui ont beaucoup appris. Mais personne n’est infaillible. Alors, si nécessaire…

— Je sais, le coupai-je en grommelant, irrité. J’ai une dette envers elle. Une dette de vie. Je sais.

Son expression s’apaisa et un sourire d’une étonnante douceur étira ses lèvres.

— Eh bien, je te confie notre reine, alors.

Avant que je pusse lui rappeler pour de bon que, par les Dieux, je n’étais Occidental, il tourna les talons et s’éloigna. Notre reine. N’importe quoi.


Alice était déjà en selle quand je retrouvai mes deux amies. Soraya attendait appuyée contre la barre d’attache, l’air ennuyé. Ses yeux mordorés ne me quittèrent pas tandis que je m’emparais des rênes de la monture restante. C’était un hongre à la robe noir et aux balzanes blanches. Une belle bête. Alors que je m’interrogeais sur la façon dont j’allais me hisser sur son dos avec un bras invalide, un coup sur les fesses me fit sursauter. Dans mon dos, Soraya ricana. Elle avait un problème avec mon arrière-train.

— Tu veux récupérer ce sabre, Chasseur mal-léché ?

Je me retournai en fronçant les sourcils. Je n’avais pas remarqué en arrivant le fourreau à son poing. Je reconnus aussitôt l’arme.

— Non, c’est pas mon sabre. C’est celui de Mars.

— Je sais bien. Mais je te demande si tu le veux. Les guérisseurs l’avaient mis de côté.

— J’en veux pas, assénai-je avec plus de virulence que nécessaire. J’ai déjà mes propres armes…

Par réflexe, je frôlai des doigts le manche de Kan et agitai les épaules. Dans mon dos, Eon bougea dans son étui. Je me tournai vers Alice, qui avait déjà grimpé sur sa jument. Elle pencha légèrement la tête de côté en remarquant mon attention braquée sur elle.

— Tu voudrais prendre Eon pour le voyage ? Je peux pas m’en servir à cause de ma fracture.

— Cette lame est bien trop grande pour moi, souffla-t-elle avec un sourire désolé. Cependant… peut-être que l’attacher à la selle me rendra plus intimidante.

Ni une ni deux, elle s’empara du fourreau que je lui tendais pour l’accrocher près de sa jambe. La lame était définitivement trop grande pour elle, mais l’effet était au rendez-vous. Derrière nous, Soraya poussa un grognement excédé.

— Très bien, puisque personne n’en veut, je récupère le sabre.

Alice et moi jetâmes un regard ébahi à Soraya, qui se dépêtrait pour renter l’étui de l’arme dans sa ceinture de cuir. Comme nous n’émettions pas le moindre son, notre compagne nous lorgna avec une moue vexée.

— Je ne sais pas manier, je sais. (Elle haussa les épaules avec un regard de défi dans ma direction.) Le Chasseur mal-léché m’apprendra.

Apparemment, je n’avais pas le choix sur la question.


Soraya dut m’aider pour monter à cheval. Une fois ses bras ankylosés et ma fierté en miettes, nous nous mîmes en route. Une bonne semaine de voyage nous attendait. L’hiver qui s’était installé s’adoucirait à proximité des terres australes, mais nous avions un paquet de lieues à traverser avant.

Les domestiques, les soldats et la famille d’Alice nous saluèrent alors que nous franchissions les portes. C’était étrange, d’être acclamé par ces étrangers. Soraya était à son aise, lumineuse, frimeuse, et Alice avait cette contenance un peu intimidée. Je me contentai de saluer la reine et son fils, qui n’avait d’ailleurs pas grand-chose en commun avec Alice, et observai le dos de mes compagnes. Elles marchaient devant moi et riaient ensemble tandis que nous descendions le chemin de pavés qui menait au village en contrebas.

J’étais serein. Encore un peu engourdi, très hésitant, mais calme. Apaisé par la confiance de Soraya, par la complicité d’Alice. Par le respect de Neil Wilson, la considération de la famille royale.

Complété par les souvenirs de Mars, par l’affection et l’admiration qu’il avait eues pour moi.

Prêt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Co "louji" Lazulys ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0