Chapitre 15 - Achalmy

14 minutes de lecture

An 500 après le Grand Désastre, 1e mois de l’hiver, Mont Valkovjen, Terres du Nord.



Je tendis le Saphir des Glaces vers les flammes. Elles éclipsèrent les reflets argentés de la lune et des étoiles pour les remplacer par des dorés. Les joues chauffées par le feu, je me permis un sourire. Il m’avait fallu des heures pour extirper la pierre précieuse de sa stalagmite. Au risque de finir aussi mal en point que Mars, j’avais dû prendre plusieurs pauses. Mais c’était un travail dont j’étais fier du résultat. La forme oblongue conférait au Saphir des Glaces un aspect moins ciselé que celui qui retenait ma tresse. Ma trouvaille gagnait toutefois en taille.

— T’es amoureux de cette pierre, avoue.

La remarque narquoise de Mars m’arracha un soupir. Assis de l’autre côté du feu, mon ami contemplait l’horizon d’un air lointain. Sa boutade avait jeté une étincelle amusée dans ses pupilles, mais ne masquait pas la fatigue qui lui rongeait les traits. Ses joues s’étaient creusées, ses yeux enfoncés. Ses lèvres gercées tremblotaient plus par habitude que nécessité.

— J’admire le fruit de mes efforts, c’est tout.

Mars roula des yeux en grommelant. Depuis deux semaines que Silja nous avait quittés, nous n’avions pas grand-chose à faire. Nos jeux d’esprit, de cartes et nos défis ne nous divertissaient plus. C’était vrai, je passais des heures à apprécier la finesse et le camaïeu de bleus de mon Saphir des Glaces. Il fallait reconnaître que nous avions du temps à perdre.

Nous n’avions pas progressé aussi rapidement que prévu. Deux jours après avoir quitté la caverne dans laquelle j’avais trouvé mon Saphir, nous avions été interrompus par une tempête de neige. L’hiver était complètement descendu de la montagne pour s’abattre avec rudesse sur ses flancs. Éboulis, avalanches, animaux fuyants et vent glacé avaient limité nos déplacements. Quand des bourrasques furieuses s’étaient mises à ébranler les montagnes, Mars et moi avions jugé opportun de nous abriter.

Nous étions restés une semaine coincés dans la grotte, à nous nourrir chichement et à dormir dos contre dos pour lutter contre les courants d’air gelés qui chuintaient jusqu’à nous. Le froid et la faim constants m’étaient familiers, mais Mars en avait pris un coup. Ses réserves d’énergie s’étaient amenuisées au fil des jours et les feux qu’il nous fournissait s’étaient fait plus faibles.

Quand, enfin, les bourrasques s’étaient calmées, Mars et moi étions plus découragés que jamais. Nous n’avions toujours pas d’indices concernant Eon et nos vivres s’étaient drastiquement réduits à cause de l’isolement forcé. Inquiet à l’idée de poursuivre notre route sans de quoi nous nourrir, j’avais imposé à Mars deux autres jours de repos pour chasser.

Depuis, une demi-décade s’était écoulée. Nous avions progressé plus loin, plus haut, pour n’avoir toujours aucune piste d’un Dieu exilé. Pour être honnête, je n’avais pas non plus la moindre idée du genre de pistes que pouvait laisser une divinité en mal d’existence.


Exténué, Mars ne tarda pas à s’allonger près du feu pour la nuit. J’observais mon Saphir des Glaces encore quelques secondes avant de le ranger dans une bourse en peau. Comme le sommeil ma gagnait, je rejoignis mon propre couchage et laissai les crépitements me bercer.

Le sommeil ne vint pas. Ou peut-être qu’il vint. J’eus brutalement chaud puis soudainement froid. Mes joues encore tiédies par les flammes furent cinglées par une bourrasque enneigée. Ma tresse me fouetta le visage tandis que mes vêtements claquaient furieusement.

J’ouvris les yeux puis les clignai. J’étais dehors, debout, dans le noir. Non, pas complètement. La lune et les étoiles luisaient derrière des amas de nuages sombres poussés par le vent. Je serrai les bras sur ma poitrine. Mon manteau était dans la grotte. Tourner sur moi-même m’apprit que je me trouvais au bord d’un précipice au gouffre insondable dans l’obscurité. Les courants sifflaient en hululements inquiétants. Sonné, je fis quelques pas. Pour me rendre compte que je portais seulement mes chaussettes.

Repartez.

Je dressai le nez, yeux écarquillés. Avais-je rêvé ? Étais-je en train de rêver ?

Je tâtonnai les emplacements habituels de mes fourreaux pour n’y trouver que du vide. Kan et Eon reposaient à mes côtés lorsque je dormais. Pourquoi étais-je sorti sans eux ? Quelle urgence m’avait tiré du lit et précipité à l’extérieur en vêtements de nuit ?

Repartez.

Quelque chose m’aspira. Ou me projeta. J’inspirai une grande goulée d’air, crispai les muscles des jambes, agrippai le vide avec mes mains. Rien ne se produisit. J’étais aveuglé, assourdi, désemparé.

On me colla une gifle. Je réintégrai mon corps, haletai comme un chien assoiffé puis me calmai. Mars était penché au-dessus de moi, les yeux agrandis d’effroi.

— Al ! s’exclama-t-il en agrippant mon épaule. Ça va ?

Je hochai la tête tant bien que mal, observai les environs. Nous étions toujours dans la grotte. Le feu ne s’était pas encore éteint.

— Tu t’es mis à faire des bruits bizarres, m’informa Mars en m’aidant à me redresser.

Il me tendait une gourde. Je l’acceptai sans rechigner, soulageai ma gorge piquante puis me passai un peu d’eau sur le visage. J’avais encore la sensation de la neige sur mes cils et du froid dans mes orteils.

— Et puis tu as arrêté de respirer, ajouta mon ami d’une voix rendue crispée par l’inquiétude. Ou, plutôt, tu respirais bruyamment, mais sans avaler d’air.

Je restai silencieux. Mâchoires serrées, j’observai mes paumes. Elles étaient rougies. J’avais essayé d’agripper mes sabres dans mon cauchemar. Peut-être les avais-je frottées contre le sol. Un froid m’envahit la poitrine. J’avais soudain un doute. Je rejetai ma couverture en arrière. Mes chaussettes étaient mouillées.

Comme si j’avais marché dans la neige avec.


Je gardai pour moi l’étrange rêve de la nuit précédente. Je ne voulais pas que Mars s’imaginât que je perdais la tête. En dehors de mes chaussettes mouillées, je n’avais aucune preuve d’une éventuelle balade nocturne inconsciente.

Après un frugal petit-déjeuner composé d’une infusion de feuilles séchées et d’un quignon de pain rassis, nous reprîmes la route. Un brouillard dense s’était enroulé autour du Mont Valkovjen et masquait la pâle lumière du soleil. Mars fit grise mine, mais il sortit de la grotte en hissant son sac sur ses épaules. Il tenait encore debout. Pour combien de temps ?

Je me rendais compte de sa faiblesse. De son exténuation.

— Il aurait dû rentrer avec Silja, grommelai-je dans ma barbe.

— Tu as dit quelque chose ?

Je secouai la tête sans oser le regarder dans les yeux. Je me rappelais bien le savon qu’il m’avait passé lorsque j’avais suggéré qu’il raccompagnât ma tante jusqu’au village Valkov. En même temps, je ne pouvais pas ignorer ses yeux hagards et sa silhouette fébrile.

Mâchoire serrée, je me détournai de mon ami pour observer le brouillard qui nous entourait.

— Je vais essayer de dissiper un peu tout ça, annonçai-je en levant les mains.

Je tournai les paumes vers l’extérieur, comme si la brume était faite de murs solides que je pouvais repousser. Mars émit un sifflement appréciateur quand l’atmosphère s’éclaircit autour de nous dans un périmètre de quelques mètres.

— Je pense pas pouvoir tenir toute la journée, le prévins-je avec une grimace. Surtout avec le rationnement qu’on s’impose.

— C’est déjà bien si tu peux tenir quelques heures, me rassura Mars en s’approchant de moi.

Après un hochement de tête commun, nous attaquâmes la route. À vrai dire, il n’y avait pas de piste toute tracée, pas ici. Grâce au temps passé avec Silja, Mars et moi détections mieux les voies à emprunter et les pièges à éviter. Nous restions prudents et attentifs à l’environnement. Le froid qui griffait notre peau et figeait nos vêtements n’était pas l’unique danger. Des congères pouvaient se désagréger au-dessus de nos têtes, les avalanches guettaient depuis les sommets, les précipices étaient masqués par un voile blanc.

Nous progressâmes lentement et difficilement jusqu’à atteindre un plateau giflé par le vent. Combien d’heures s’étaient écoulées ? Assez pour que les fonctions mon corps se fussent transformées en automatismes : inspirer, pas, expirer, pas, bras, pas, souffle, clignement des yeux. Je levai le nez, observai les alentours. Les bourrasques poussaient la brume en contrebas et laissaient place à la pointe du Mont Valkovjen. Le plus haut sommet d’Oneiris, la légende de mon peuple. Son pic abrupt et cruel de blancheur laissa un vide dans ma poitrine.

Que faisais-je ici ?


Le silence m’entoura. Les yeux toujours rivés au sommet de la montagne, je tombai à genoux. Mon corps ne fonctionnait plus qu’à coups de souffles et d’entêtement. Mes lèvres craquelées gouttèrent à l’air humide, électrique. S’ils n’avaient pas été si engourdis, mes doigts auraient sûrement cherché les manches de mes sabres.

Humain.

Je fermai les yeux, serrai les dents. La pression sur mon crâne s’intensifiait. La présence m’était familière sans vraiment l’être.

Humain, je t’avais dit de partir.

Quelqu’un trouva la force de s’esclaffer au fond de moi. Ma langue frémit de douleur quand l’air gelé rencontra mon rire. À quand remontait mon dernier repas ? Ma gourde était-elle remplie ?

Un nouveau rire. J’étais Élémentaliste de l’eau, je n’avais pas besoin de gourde remplie.

Il est bientôt trop tard pour toi. Déjà ton compagnon…

Mon compagnon…

Je tournai la tête, ne vis rien que du vide, du gris, de la brume. Le blanc, la neige, la lumière. Pas de vie. Pas ici.

Je ne sais pas quelle folie vous a poussés jusqu’ici. Les derniers Nordistes à avoir grimpés aussi haut voulaient prouver quelque chose. Toi, tu ne veux rien prouver.

Oh que si. Je voulais prouver ça.

Eon.


Mes bras se refermèrent sur ma poitrine, j’enfonçai la tête dans les épaules, me recroquevillai dans la neige. J’allai au fond de moi, dans mes tripes, dans mon essence. Dans les résidus qu’Aion, Dieu déchu, avait parsemé en perdant son entité des siècles plus tôt. Dans le sang semi-divin qui gonflait mes veines.

Et j’éclatai. Je hurlai à la montagne, au Dieu, aux Dieux.

Les brumes qui s’accrochaient au flanc de la montagne disparurent, comme intimidées. La neige frémit sur le plateau, se tassa, s’écarta. L’air s’effrita, se condensa, retint son souffle.

Les avalanches grondèrent, Eon frissonna.

Enfant d’Aion.

Je rouvris les yeux. Le sang me coulait du nez, de la bouche. Gouttait dans la neige. Je ne pus retenir ma bile quand mes intestins en vrac me plièrent en deux.

Un rire simple s’enfuit de mes lèvres. Ha-ha-ha.

Eon était là.

— Montre-toi.

Mon ordre était impérieux. J’avais fait trembler la montagne, frémir Eon.

Il ne se montra pas.

Il m’attira à lui.

Je me retrouvai à genoux sur un sol aussi froid qu’inégal. De nouvelles gouttelettes de sang parsemèrent la roche quand je me redressai de surprise. Le plateau enneigé, désolé, avait disparu. Je me trouvais dans une cavité rocheuse profonde de deux mètres à peine. Jambes tremblantes, je me relevai et tournai sur moi-même. Une brise froide couplée d’une luminosité brûlante me fit plisser les paupières. La grotte donnait sur un promontoire enneigé. Une silhouette se tenait au bord.

Eon.


Il était nu, d’un blanc plus blanc que neige. Fin, grand – plus grand qu’Aion, plus grand que Calamity. Un corps sans attributs génitaux qui déboussola mes repères humains. Des hanches, des épaules saillantes, dont les arêtes semblaient interminables. Un cou gracile, un menton carré, un visage long et…

L’infini.

Eon disparut.

Je sombrai en avant, m’étalai le long du sol rocheux, m’étouffai avec ma vision. L’infini.

Les champs, les collines, le désert, les rivières, les montagnes, les forêts, la mer, l’océan, le ciel et les étoiles, plus loin, encore plus loin, et…

Une pression légère sur mon crâne. Tout disparut.

Il est rarement bon pour un Humain de croiser le regard d’un Dieu.

Eon semblait se tenir dans mon dos. Ou devant moi ? Aucune importance, il était partout.

Je croassai, geignis, grognai. Le sang s’était mis à me couler des yeux. Je voyais trouble, respirais mal. L’air, mes oreilles bourdonnantes. J’avais encore gagné en altitude. À quatre pattes, essoufflé, je dressai le cou pour observer le promontoire. Il faisait jour, le soleil resplendissait dans le ciel dégagé. Pourtant, je savais. C’était le promontoire de cette nuit. Je n’avais pas rêvé. Eon m’avait attiré à lui pendant mon sommeil. Pour me mettre en garde.

Avec lenteur, je me levai. Tournai les talons. Déglutis.

Eon se tenait face à moi, assis en tailleur. Son crâne chauve était lisse, trop lisse pour être naturel. Par égard pour ma conscience déjà bien meurtrie, il garda les paupières closes. Il n’avait ni cils ni sourcils. Juste ses deux yeux d’infini, un nez taillé pour la fonctionnalité, deux lèvres sculptées pour la conformité.

Eon me faisait un honneur en donnant forme à son esprit. Il aurait très bien pu se contenter de me parler, de me repousser. Il souhaitait donc discuter.

Enfant d’Aion.

— Je suis pas son enfant.

Ma voix était désagréable, rêche. Je portai les mains en coupe à ma bouche, avalai de grandes lampées d’eau. Cet appel supplémentaire de pouvoir raviva mon saignement de nez. J’avais le ventre si noué que je ne sentais même plus les dégâts occasionnés par mon utilisation trop importante des éléments.

Oh, bien sûr que tu l’es. Chaque Élémentaliste est un enfant d’Aion. C’est encore plus ton cas, le sang de Sereanda coule en toi.

— Je sais déjà, grognai-je en retour, passablement irrité. Je suis pas là pour retracer ma généalogie.

L’avantage d’un Dieu exilé depuis cinq cents ans, c’était qu’il ne s’offusquait pas de l’irritation nerveuse d’un jeune Humain. Je ravalai ma colère, inspirai un bon coup malgré le sang qui s’accumulait dans ma gorge et déclarai :

— Je suis ici pour vous ramener à Oneiris.

C’est impossible.

— Si. Aion, Lefk et Galadriel attendent votre retour.

Le corps temporaire d’Eon n’était pas fait pour exprimer des émotions. Son visage ne cilla d’ailleurs pas lorsqu’il reprit :

Comment est-ce possible ?

— On a combattu et vaincu Calamity. Vous vous rappelez ? l’humain qui a trahi Aion et lui a volé en partie son essence ? Aion a récupéré l’intégralité de ses pouvoirs, mais il a pas pu redevenir un Dieu.

Eon hocha du menton comme si c’était une évidence.

Il faut que nous soyons tous là pour le ramener. Lefk, Galadriel et… ma sœur, Kan.

Je grimaçai. Cette partie ne dépendait pas de moi.

— Kan… Kan est de retour.

Je n’en savais rien. Je ne pouvais qu’espérer, croire en Alice et Soraya. Bluffer.

Je ne peux pas revenir à Oneiris sans elle, m’apprit Eon d’un ton qui ne souffrait d’aucune réplique. Nous sommes jumeaux, complémentaires. Comme Lefk et Galadriel. Si je reviens seul, le monde sera déséquilibré.

— Je comprends, soufflai-je en essuyant une coulée de sang au-dessus de ma lèvre. Mais vous devez me croire. Kan est de retour. Elle a besoin de vous. Vous devez vous assurer qu’elle est là, qu’elle… va bien.

J’ignorais si une Déesse exilée depuis cinq siècles pouvait bien aller. Dans tous les cas, j’avais besoin qu’Eon vérifiât pour moi si Alice avait réussi sa propre quête. Je devais mettre fin à tout ça. Avant de devenir cinglé pour de bon.

— Vérifiez par vous-mêmes, je vous en prie.

Les épaules d’Eon descendirent légèrement.

Je prends le risque de m’exposer à la fourberie humaine si je descends sur Oneiris.

Une grimace involontaire me plissa le visage. Si Alice et Soraya n’avaient pas encore accompli leur quête, je risquais la fureur divine. En même temps, je n’avais guère d’autres choix. Ma vie était déjà dans la balance à l’instant où j’avais rouvert les yeux sous le ciel du Noyau, des mois plus tôt.

Quelles preuves peux-tu m’apporter ?

Je restai un instant silencieux, le cœur écrabouillé d’angoisse pure. Un Dieu me demandait des preuves. Je ravalai le rire incrédule qui démangeait mes gencives.

— Mes amies… Alice Tharros et Soraya Samay sont parties à la recherche de Kan, à Mor Avi. Elles pourront vous confirmer que Kan est là.

Désolé, Alice, si c’est pas le cas.

Eon se leva, avec des mouvements sans aucune grâce ni sauvagerie.

Je ne peux pas me rendre à Mor Avi. C’est… hors de mon existence. Vos amies sont-elles là-bas ?

— Peut-être qu’elles sont rentrées. Elles devraient être dans l’Ouest si c’est le cas.

La tête d’Eon était tournée vers moi, mais avec ses paupières fermées, difficile de dire s’il me regardait. Il s’écoula quelques secondes pendant lesquelles mon sang continua de couler et le vent de souffler. Le monde tournait encore. Il tournait toujours.

Je vais vérifier vos dires, enfant d’Aion. Si vous m’avez menti…

Le Dieu de l’Espace ne prit pas la peine de terminer sa phrase avant de disparaître. Que ce fût lui qui me tuât dans un élan de colère ou Lefk qui vînt reprendre mon âme, ça ne changerait pas grand-chose. J’étais condamné à mourir de la main d’un Dieu si la quête échouait.

Le départ d’Eon me laissa seul dans la cavité rocheuse. Le goût de fer dans ma gorge était de plus en plus prégnant. Des larmes de sang dévalaient mes joues. Je les essuyai tant bien que mal, les doigts engourdis. Mon corps avait laissé place à mon esprit le temps de discuter avec Eon. Petit à petit, il se rappelait à moi.

La faim écrasante, le manque d’air, la migraine au fond de mon crâne. Paupières plissées, je m’efforçai de respirer profondément. J’allais devoir me reposer un moment après tout ça. J’avais trop tiré sur la corde et mon corps me le faisait déjà payer.

Puis l’évidence vint. Elle fleurit dans mon cerveau avec une simplicité qui me déconcerta quelques secondes.

Mars n’était plus là.


Je bondis hors de la caverne. Mes jambes faibles me firent déraper, mais je me redressai aussitôt. Je le cherchai des yeux furieusement, honteusement, désespérément. Quand l’avais-je perdu ? Ou, plutôt, à partir de quand n’avais-je plus été assez attentif ? À quel moment l’avais-je abandonné derrière moi, embourbé dans mon désir d’avancer ?

Mars.

Le promontoire surplombait un gouffre bien trop profond. Si j’avais été capable de maîtriser les vents, je me serais laissé tomber. Si j’avais pu sculpter la roche, je me serais créer un escalier… Un escalier, oui ! Comme ma tante en avait façonné un lors de nos sessions d’entraînement au village.

J’apposai la main sur la paroi rocheuse, me concentrai. La première marche de glace se forma, luisante, imparfaite, mais bien assez utile. J’en créai une deuxième avant d’avancer plus. Un liquide chaud me coulait dans le cou. Troisième, quatrième. Mes muscles frémissaient. Cinquième, sixième, septième, huitième. Mes tripes ne nouèrent, formèrent un nœud douloureux. Je devais avancer.

L’escalier se formait et se détruisait en même temp. Je dérapais sur la glace, parvenais toujours à me rattraper. La brume s’enroula autour de moi alors que je redescendais vers le plateau. Concentré sur les marches qui apparaissaient sous mes pieds, je ne pris pas la peine de chasser le brouillard. Aveuglé, mortifié, je dévalai les escaliers à toute allure.

Puis une marche manqua. Je glissai, sombrai. Me raccrochai in extremis à la dernière marche que j’avais façonnée. J’étais vide. Le sang gelait sur mon visage, dans mon cou. L’eau avait déserté mes sens. Mes doigts n’avaient plus une miette de force.

Je lâchai.

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