16. Pancakes

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Dimanche 02 décembreCASSIE

Une heure déjà que j’ai les yeux grands ouverts sur mon plafond, j’observe les étoiles phosphorescentes que j’y ai collées avec l’aide d’Eliott et Cole quand nous avons emménagé dans l’appartement. D’ailleurs, je crois qu’ils ne veulent plus entendre parler de ces satanées étoiles depuis. Moi, ça me fait juste rire. Enfin… d’habitude, parce que là, je les fixe, les compte, me demande si les événements de la veille sont bien réels et me souviens des exclamations d’Ashley quand j’ai crocheté son bras et que je l’ai embarqué à ma suite.

« Qu’est-ce que tu fais, putain ? Je m’éclate-là ! S’il te plaît, Stella, laisse-moi m’amuser encore un peu. Tu n’es pas cool ! Au moins, elle, elle n’a pas peur de se coller à moi. Oups, je ne me sens pas très bien. Pourquoi tu as deux nez ? Des si petits nez tout mignons que j’ai envie de croquer. Eh ! Mais tu m’attires où comme ça ? Je ne veux pas partir ! Et mon verre ? Tu en as fait quoi ? Je te préviens, je ne bouge plus d’ici tant que tu ne m’auras pas répondu, avait-il conclus en plantant ses pieds dans le sol. »

Merde, Ash, tu es vraiment un gamin quand tu bois. Je souffle en passant une main sur ma figure. Ah ! Et dire qu’il est sur notre canapé ! Qu’est-ce qu’il m’a pris, sérieux ? Je n’ai pas réfléchi, ai agi sans me poser de questions. Cette fille avait son cul et tout son corps appuyé sur lui. Je ne peux empêcher un gloussement de m’échapper quand je repense au moment où le corps d’Ashley s’est séparé de cette sangsue.

C’était épique ! La sulfureuse Anna a poussé un petit cri surpris avant d’atterrir sur le sol. Ash ne l’a même pas remarqué. Par contre, Éric qui m’avait suivi a eu du mal à en croire ses yeux. Il aurait pourtant dû se douter que je ne blaguais pas quand j’ai annoncé vouloir récupérer Ash. Et l’emmener chez moi par la même occasion. Une superbe idée encore une fois ! Magnifique…

D’ailleurs, si je me souviens bien, j’ai été dans l’obligation de faire demi-tour devant la porte de sortie à cause des supplications de Crève-cœur. Bordel ! Tout ça pour quoi ? Remonter à l’étage et prendre Rodolf ! Non, mais Rodolf ! Comment m’a-t-il dit ça pour que je cède ?

« Cassiiiiie ! Je ne veux pas laisser mon ami tout seul. Le pauvre, il est avec ses copines les bouteilles mais elles ne vont pas lui parler. Moi, je veux lui parler.

Qui ? ai-je demandé sceptique.

Beh… RODOLF ! Mon renne, mon gentil petit renne au nez rouge. Il va être si triste sans moi. S’il te plaiiiiit, on ne doit pas le laisser de côté ! Tu as promis. »

Sérieusement !

Pas croyable et pourtant ça lui ressemble. En tous cas, à ce moment précis, il m’a fait penser à l’adolescent que j’ai connu. Fragile, torturé et surtout enfantin quand il a un coup dans le nez. Donc… nous sommes remontés et sous le rire puissant du barman, nous avons pris le calendrier de l’avent avec nous. Il doit encore être sur l’îlot central de la cuisine à l’heure actuelle. Enfin, si mon cher Crève-cœur n’y a pas touché.

D’ailleurs, si je tends l’oreille, je perçois déjà des mouvements dans le couloir. Surement Eliott. C’est toujours le premier à se lever, ou presque. Et je ne crois pas me tromper si je dis que dans moins d’une seconde il va entrer dans ma chambre avec un air de comploteur. Je me redresse, m’accoude sur le dessus de la couette et écoute. D’abord les bruits de la salle de bain, puis des pas qui remontent le couloir. Un, deux…

— Tu es réveillée ?

— Trois !

— Quoi ? Non mais je rêve ! Tu m’attendais ?

— Oui. Tu veux un rapport ? Il n’est pas dans mon lit, c’est déjà un bon point, non ? demandé-je en l’invitant à s’asseoir près de moi.

— Ça, j’avais remarqué ! Il est étalé dans une posture peu confortable, sur notre canapé. Tu aurais pu le lui déplier quand même, histoire qu’il se repose convenablement.

Je ris. Non, il ne méritait pas un tel privilège. Surtout qu’il m’a cherchée ! Pourtant, j’avais prévu d’être gentille avec lui. Je l’ai traîné derrière moi, l’ai poussé dans les escaliers pour qu’il arrive à mettre un pied devant l’autre. Avant de lui ouvrir la porte et de le faire entrer le premier dans la coloc. Grave erreur soit dite en passant. D’autant plus qu’il a tenté de s’enfuir à l’instant où j’ai allumé la lumière.

« — Non ! Pas ça ! Le monde des lutins, c’est trop. Je veux partir. Laisse-moi passer ! Stella… je n’aime pas Noël ! Merde ! C’est quoi ça ? Des guirlandes ? Des lumières qui dansent partout, des paillettes, des chaussettes ! Mais non ! LAISSE-MOI PARTIR !

Arrête, tu veux.

Je ferme la porte à double tour avant de suspendre les clés et de pivoter vers le visage d’Ashley affolé. A quoi il joue ? Il déteste vraiment Noël ? À ce point ? Je penche la tête pour l’observer. Oui, apparemment. Sinon, je n’expliquerais pas les larmes qui viennent perler dans ses yeux. Merde, ce type aura ma peau. Mais je ne me démonte pas. L’aide à retirer sa veste et le pousse vers la cuisine. Un bon verre d’eau lui fera du bien. Ensuite, je l’installerai sur le sofa.

Mais il me laisse à peine le temps d’aller lui chercher un oreiller et une couette que je le retrouve planté devant mon sapin, les bras croisés et l’air renfrogné. Qu’est-ce qu’il a encore ? Je m’approche de lui, silencieuse, attendant de comprendre ce qu’il trafique. Puis alors que son corps me cache ce qui se trouve face à Ash, je le contourne et ne peut qu’hurler :

Ash ! TU TE FOUS DE MOI ! Putain… tu sais combien de temps on a mis pour accrocher ces étoiles sur le sapin ? Donne-les-moi !

Nope. Elles sont trop brillantes. J’en ai marre de la lumière. Tout ça, c’est moche ! déclare-t-il en faisant des grands gestes vers le reste de la pièce. »

Oui, il a bien mérité de dormir, plié en deux.

Je glousse sous le regard interrogateur d’Eliott mais je ne prends pas la peine de lui expliquer. Au fond, j’ai envie de garder ses éléments pour moi. Un peu comme de précieux moments que j’attendais de vivre depuis longtemps. Bien que j’aurais largement préférer que Crève-cœur ne soit pas sous l’influence de l’alcool. Mais au moins, il s’est finalement calmé et m’a laissé le pousser sur le canapé.

— Tu sais qu’il en a perdu sa chemise ? C’est toi qui en es à l’origine ?

— Quoi ? Non ! hurlé-je en rougissant malgré moi.

— Bon. Tu viens ? Je crois que tu en as presque oublié qu’on est dimanche. Tu sais ce que ça signifie, me dit mon meilleur ami en souriant tel un enfant avant de se lever et de s’enfuir hors de ma chambre.

J’ai juste le temps d’acquiescer et de jeter la couette loin de moi que déjà le corps d’Eliott s’efface derrière ma porte. Décidément, ils lisent tous en moi comme dans un livre ouvert. Je soupire, sort mes jambes du lit et me force à lever mon corps hors de ce cocon que représente mon lit. Et puis, El a raison, dimanche c’est sacré ! Pendant une minute j’hésite, me demande si Ashley est encore endormi dans le salon ou si le bruit de mes deux colocataires a fini par le faire émerger.

Courage Cass, c’est toi qui l’as ramené chez toi ! Et quelle bonne idée ! Merveilleuse. Je me regarde dans le miroir, ajuste le short nounours de mon pyjama et me décide. Après tout, il m’a déjà vu dans des tenues plus honteuses que celle-ci. Quand j’ouvre la porte d’un geste énergique, je tombe face à face avec mon frère. Il m’adresse un sourire, me claque une bise sur la joue avant de me suivre en silence vers notre séjour.

Son corps s’installe sur l’un de nos tabourets autour de l’îlot. Eliott, quant à lui, s’agite dans tous les sens, sortant tous les ingrédients nécessaires à notre petit déjeuner immanquable. Farine, œufs, lait, sucre, tout y est. Il ne manque plus que je m’active à la tâche. Mais avant cela, et sous les regards entendus de mes deux mousquetaires, je jette un coup d’œil vers notre invité surprise.

En l’observant, je me rapproche peu à peu intriguée par un détail que je n’avais pas encore remarqué. Que je n’avais encore jamais vu. J’examine d’abord sa position. Ash est sur le dos, un bras sous sa nuque, l’autre qui pend dans le vide. Sa tête est en arrière, ses yeux clos sont cachés par des mèches de ses cheveux de blés en bataille. Très vite, je m’attarde sur le bas de son corps, ses jambes sont en l’air, calées sur le dossier du canapé dans un angle peu pratique.

Pourtant il me paraît paisible, ses lèvres sont étirées dans un rictus apaisé. Puis, comme attiré par un aimant, j’ose remonter mon regard sur son ventre, ses muscles sculptés, ses tablettes de chocolat dessinées avec finesse. Je sens la chaleur envahir mon visage mais je n’arrête pas mon observation pour autant, au contraire, je redouble d’attention quand mes yeux arrivent à la hauteur de ses pectoraux. Mes sourcils se froncent alors en s’attardant sur le tatouage qui décore le côté gauche de sa poitrine.

Des traits fluides, tout en courbes qui tracent des mots. Une phrase que je ne distingue pas à cette distance. Et alors que je tente de m’approcher encore un peu, les mains de Cole m’arrêtent. Elles se posent sur mes épaules et me détournent de celui que je contemplais. Merde ! J’avais complétement oublié leur présence, à lui et Eliott. D’ailleurs, ils l’ont très vite noté puisqu’ils me ramènent à la réalité en ouvrant tous deux la bouche :

— Tu es notre professionnelle des pancakes, Cassis !

— Et puis… laisse-le dormir. Il en a besoin. Je pense, réplique Cole pour m’empêcher de râler.

— Bon. OK. Tu n’as pas oublié la vanille, j’espère ? demandé-je à El en rebroussant chemin et revenant vers la cuisine. La recette doit être parfaite !

— Tout y est ! Il ne manque plus que notre cheffe pour la cuisson.

Nous rions en cœur tous les trois. Cole nous prépare à tous, un chocolat chaud pendant qu’Eliott s’attelle dans la préparation de notre plateau de confitures et pâte à tartiner. Moi ? Je lance la cuisson : une louche à la main, une poêle sur le feu. Prête à l’attaque. Mes pensées restent quant à elles focalisées sur l’homme allongé dans mon canapé deux mètres plus loin. Me demandant sans cesse ce qui se cache dans ce tatouage que j’ai aperçu.

*

ASHLEY

Merde, ça fait mal ! Fichu étau qui me serre le crâne. Et puis pourquoi j’ai froid ? Aïe, mon cou. Sérieux, je suis où ? Je grogne, me frotte les yeux avant de tenter de les ouvrir. Une fois, deux. Non, c’est trop aveuglant. Et ça fait un mal de chien ! Purée, et dans quelle position, je suis encore ? D’ailleurs ça m’apprendra de boire autant sur un coup de tête. Je marmonne, tente de reprendre une bonne position, me contorsionne. Et…

— Merde ! Putain ! Quel est l’idiot qui m’a installé sur un lit minuscule ! hurlé-je en atterrissant sur le cul. Fais chier. Et ce bourdonnement là-haut qui ne veut pas s’arrêter…

Je grogne, chuchote, me frotte le bas du dos avant de lever la tête et de tomber sur trois visages hilares. Oh non, je rêve ! Qu’est-ce que je fous ici ? J’ai bu, j’étais dans la boîte, puis :

— Anna !

— Ouais. Bravo Crève-cœur pour ce magnifique spectacle. Heureusement que ma sœur et sa gentillesse t’ont sorti de là.

— Puis, on aurait loupé un magnifique réveil, n’est-ce pas Cassis ? ironise Eliott en pointant mon buste du doigt.

Quoi ? Non, non, non ! Elle n’a pas vu ? Elle l’a vu ? Ma chemise, vite, elle est où ? Ma tête s’agite dans tous les sens pour repérer mon vêtement. Sur la table ! Je l’attrape à toute vitesse et l’enfile sous leurs regards à la fois surpris et moqueurs. Mes gestes sont saccadés, mes doigts tremblent alors que j’essaie tant bien que mal de fermer les boutons de mon haut. Tout en espérant secrètement que Stella n’a pas eu l’occasion de lire la phrase qui est encrée sur mon torse.

Honteux d’être dans une situation que je ne contrôle pas, je n’ose plus faire un mouvement. Surtout pas quand la main de Cassie s’accroche à la mienne, attirant ainsi mon attention. Et alors que je m’attends à me faire jeter hors de leur appartement, la brunette m’aide à attacher le dernier bouton de ma chemise. Elle est précise, rapide et ne regarde même pas ses gestes. Au lieu de ça, elle plonge son océan translucide dans mes émeraudes. Elle cherche, fouille mon âme et détruit mes remparts sans mal, s’attaquant à mon cœur en un clignement de cils. Merde, alors…

— Cass ! Je crois que ça brûle ?

— Quoi ? elle cri, brise l’instant pour se ruer dans la cuisine sous le rire d’Eliott.

Cole quant à lui m’observe en coin, les sourcils froncés. C’est marrant comme ils se ressemblent sa sœur et lui. Il a comme elle, un pli qui se forme sur son front quand il est soucieux ou menaçant comme maintenant. OK, message reçu. Je marche sur des œufs et si je suis ici, c’est seulement parce que… Quoi déjà ? Oui d’abord, pourquoi je suis chez eux ? Je ne me souviens pas d’avoir demandé à ce qu’on me ramène. Au contraire, j’allais très bien, j’étais euphorique et j’avais les mains occupées.

— Juste pour information, elle t’a sorti des griffes d’une sangsue. Oh et puis, viens. Elle prépare des pancakes, m’annonce finalement le grand brun en haussant les épaules et glissant ses mains dans ses poches.

Des pancakes ? Maintenant qu’il le dit, je sens la douce odeur de la pâte. Le sucre et ce petit détail qui me faisait accourir dans la cuisine quand j’étais adolescent : la vanille. La même senteur que la peau dorée de Cassie. Enfin… celle de mes souvenirs. Elle aurait la recette de Malory ? Non, impossible ! On était encore des enfants, certes c’était notre petit pêché mignon mais de là à avoir encore la recette. Non.

D’un pas incertain, et une main sur le front pour me masser les tempes, je m’avance non sans difficultés vers leur cuisine. L’un est occupé à faire couler du chocolat dans une quatrième tasse et l’autre s’installe sur un siège en en déplaçant un second pour m’indiquer d’y prendre place. La troisième s’affaire, le visage inquiet à la réalisation de sublimes cercles moelleux et dorées. Je ne cherche pas à analyser la scène, ensemble ils forment le trio parfait.

Les trois mousquetaires, encore et toujours.

Au moment où mon cul atterrit sur le haut fauteuil, un verre d’eau et un cachet d’aspirine apparaissent devant moi. Je m’accoude à l’îlot, et d’un regard entendu vers celui qui m’a préparé ce remède, je balance le cocktail miracle dans ma bouche et l’avale. Je sais que ça ne fera pas effet tout de suite, mais au moins, ce bourdonnement incessant dans mes oreilles ne va pas tarder à s’estomper.

— Merci, dis-je en grognant à l’attention de Cole.

Il ne répond pas. D’ailleurs, personne ne parle alors que j’en suis sûr quelques instants avant tous les trois étaient en pleine conversation. Je soupire, me tire les cheveux en arrière tout en sachant pertinemment qu’ils ne ressemblent à rien et cale ma tête dans mes paumes pour examiner le moment qui s’offre à moi. Cole, lui, semble tout à coup plongé sur l’écran de son téléphone, avec un léger sourire aux coins des lèvres.

Eliott ? Il a terminé son manège et nous rejoint en distribuant les tasses. Il en pose d’ailleurs une face à moi d’un air de dire que c’est naturel. Presque normal. Mais qu’est-ce qu’il l’est vraiment avec eux ? Puis, il se contente de s’installer et de patienter en sélectionnant, joyeux, les confitures qu’il compte étaler sur ses pancakes. Sa figure est lumineuse, elle irradie de malice comme un enfant qui est impatient de goûter aux délices que lui prépare sa mère.

Stella, elle ?

Elle est radieuse. Et une fois mon attention portée sur elle, je n’arrive plus à m’en détacher. Son corps est sensuel, pulpeux. Elle est vêtue d’un fin t-shirt vert et d’un short recouvert d’une multitude d’oursons. Passant ainsi de celui qui tient un cœur à celui qui nous souhaite une « joyeux Noël ». Elle nous tourne le dos, concentrée dans la tâche qu’elle accomplie et ses cheveux ondulent jusqu’au milieu de celui-ci à chacun de ses mouvements. Ses fesses rebondies sont un plaisir pour mes yeux et mon entrejambe semble d’accord avec moi.

Dans un raclement de gorge, je me replace sur ma chaise pour reprendre contenance ayant conscience de me trouver bien entouré, les deux gardes du corps de miss Cassie de chaque côté de mon corps. D’ailleurs, ma gêne attire trop vite le regard perçant de Cole qui, je crois, comprend rapidement ce qui m’arrive. Fais chier ! Je toussote, essaie de fixer mes yeux dans le vide mais je n’y parviens pas, aimanté à la seule femme qui a su entrer dans mon cœur sans jamais en sortir.

— Tu vas te calmer tout de suite, Ash. Je suis déjà bien assez gentil comme ça, murmure Cole en se penchant vers moi.

— Fais gaffe, il vaut mieux pour toi que tu nous caresses dans le sens du poil, vient ajouter Eliott de l’autre côté, me faisant déglutir difficilement.

— Vous faites quoi, tous les trois ?

Merde ! D’un même mouvement, nous nous redressons et affirmons d’une clameur en chœurs, que tout va pour le mieux. Que les deux compères ici présents ne faisaient que s’assurer que je me sens dans mon assiette. Mais bien sûr… Tu t’es encore fourré dans de sales draps, Ash ! Une putain de situation de laquelle je n’ai même pas envie de m’enfuir. Au fond, cet appartement, cette colocation bien qu’elle soit envahie de décorations dégoulinantes de paillettes, c’est ce qui ressemble le plus à un foyer pour moi.

Cette pensée m’étonne, me prend au dépourvu. Mais je n’ai pas le temps d’y penser plus en profondeur que déjà une assiette apparaît entre mes coudes appuyer sur le comptoir. Qu’est-ce que ? Elle s’en souvient ? Une pile de cinq pancakes occupe le centre d’une coupelle en porcelaine. Un sandwich composé de ses succulents cercles moelleux, de confiture de fraises, et d’une touche de chantilly sur le dessus avec pour finir des copeaux de chocolat.

Un pincement au cœur, ma main vient serrer ma chemise à l’emplacement de mon tatouage. Cette femme sait comment me faire succomber. Elle touche mon point sensible, le tout avec un sourire magnifique sur ses douces lèvres. Cette bouche que j’embrasserais volontiers si elle m’en laissait l’occasion. Si elle me donnait la chance de me faire pardonner notre passé.

— Mama… susurré-je au bord des larmes. Comment tu…

— Je lui avais demandé son secret. J’avais tout prévu ce jour-là. Mais je n’ai… tu… Enfin. Nous n’en avons pas eu le temps.

— Je…

— Ouais. Vas-y, mange avant de gâcher notre rituel du dimanche avec vos souvenirs pathétiques.

Cole toujours la poésie pour nous remettre les pieds sur terre. D’ailleurs, ce n’est pas pour déplaire à Cassie qui rit doucement et s’installe de l’autre côté de l’îlot face à moi. Elle nous observe, passant de son frère à son meilleur ami avant de s’arrêter sur mon visage et y planter ses yeux. Merde ! Elle penche la tête, m’analyse et se concentre sur ma main encore serrée autour du tissu fluide de ma chemise. Ses paupières se plissent comme si elle tentait de lire à travers la matière et comprendre ce qui s’y cache. Mais elle abandonne dans un soupire las et se contente de hausser les épaules en plantant une fourchette dans sa composition sucrée.

— Alors pas trop secouer là-haut ? intervient Eliott quand le silence dans la pièce devient trop pesant.

Je grogne, me frotte la nuque et essaie de détendre mes nerfs tendus par la position étrange que j’ai dû adopter pour dormir. Ses simples gestes ont d’ailleurs le don de tirer à Stella un rire moqueur et de faire naître dans son regard, une lueur de malice. Malice dont je me souviens que trop bien. Intrigué, je pointe mon couvert vers elle et l’accuse sans preuve :

— Ton canapé est aussi un lit ! Putain, Stella ! Tu te fous de moi ! J’ai mal partout à cause de toi. Sérieux…

— Tu n’avais qu’à pas me chercher et jouer avec les étoiles de mon sapin, m’annonce-t-elle en tirant la langue telle une enfant.

Mais c’est qu’elle me provoque en plus !

— Ce n’est pas de ma faute ! Vous avez vu votre appart ? C’est limite si une licorne n’a pas chier sur les murs tant il y a de paillettes partout ! Et encore, je ne parle pas de ses foutues guirlandes qui clignotent sans arrêt ! Sans blague, ce n’est tout simplement pas possible de survivre à tant de fioritures ! Surtout celles de Noël ! Et puis, c’est quoi ça ?

Je m’emporte, lâche ma fourchette dans un tintement alors que je me tourne vers le mur qui se trouve entre la porte d’entrée et une autre porte au fond à gauche de leur salon. Tiens, je ne l’avais pas remarqué avant. Ce n’est quand même pas une chambre d’amis ? Si ? Je fronce les sourcils tout en continuant de fixer mon index droit sur les dernières coupables de cette mascarade.

— Des chaussettes ! Des putains de chaussettes carmin avec de la moumoute blanche ! Et quoi ? Ah oui… vos prénoms brodés avec du fil doré. Toujours plus cliché. C’est à vomir, et le pire ! C’est que je suis prêt à parier que le père-noël miniature qui se trouve sur la cheminée à un interrupteur sous les pieds lui permettant de chanter à qui veut l’entendre, ses satanés chansons aux sons de clochettes !

— Tu arrives encore à respirer après avoir cracher autant de débilités ? Non, parce que je crois que si tu as un problème avec nos décorations, tu peux aussi prendre la porte. Elle est juste là. Et puis, tu ferais bien de faire quelque chose pour ta tronche. Je ne sais pas qui est le crétin qui t’a frappé mais il t’a laissé un joli souvenir, ricane Cole en se levant, contournant notre comptoir, posant sa tasse et son assiette dans l’évier avant de s’enfuir vers le fond du couloir qui semble renfermer leurs chambres.

Le message est clair. Je l’ai reçu cinq sur cinq. Mais pour être bien certain que j’en prends toute la mesure, la main ferme d’Eliott se pose avec force sur mon épaule et il se penche à mon oreille :

— C’est elle qui t’a sorti de tes conneries hier soir alors évite d’insulter ce qu’elle aime le plus dans les fêtes de fin d’année. Et petit conseil, si tu veux vraiment te faire pardonner, tu devrais réfléchir à l’idée de lui dévoiler ce que tu dissimules près de ton cœur.

— Je…

— Arrête, Ash. Je l’ai lu.

Mais merde ! Je ne vais pas survivre à cette journée… Eliott l’a lu, il a déchiffré ce qui m’habite, et pourtant, il ne dit rien à celle qui est concernée. Ni fait même pas une allusion alors qu’à son tour il quitte la pièce, nous laissant Cassie et moi, nous regarder dans le blanc des yeux. Ce matin est de loin le plus étrange que je vis depuis des années. Ils étaient comme celui-ci avant, Ash. Joyeux, lumineux et surtout j’étais encore entouré des personnes chères à mon cœur. Des gens qui ne font plus partis de ma vie.

« — Les gosses rappliquaient ici ! Aidez-moi, plutôt que de vous chamailler encore sur qui sera le mieux placer pour choisir un film. Ash, ton père a prévu une voiture pour vous cet après-midi. Vous allez assister à un cours de dessin avec un modèle nu. Cassie, chérie, tu peux m’apporter le chocolat ? Il est sur l’étagère au fond à côté du sucre glace. Un problème, mon petit ?

De nu ? demande Stella les joues rougissantes.

Ouaip ! ne puis-je m’empêcher de crier fier de moi. Mon père dit que j’ai un don pour retranscrire les traits et détails d’un visage et voudrait que je développe mon talent à l’ensemble du corps humain. Si ce n’est pas la classe ça !

Stella ne me répond pas, elle se contente de marmonner en fronçant son petit nez tout mignon. Elle est jalouse ? Mais ce ne sont que des cours. Rien à voir avec le plaisir ou le désir de voir une femme nue. Bien que la curiosité soit là, ça reste une passion. On ne touche pas aux modèles, jamais ! C’est une règle dans le monde de l’art, on respecte les personnes qui acceptent de se dévoiler. Aucun jugement, juste des artistes qui admirent le corps dans son état naturel.

N’empêche que la réaction de Stella me fait rire. Au moment où Malory glisse nos assiettes avec nos sandwichs de pancakes face à nous, je plonge mon index dans la chantilly et… l’étale sur la joue rose de Cassie. S’en suit les reproches de Malory tandis que Stella se venge en piquant une grosse bouchée de mon plat. Mon père que nous n’avions pas remarqué, s’invite à notre petit déjeuner et d’un air entendu dépose devant la jeune fille un carnet vierge ainsi que des crayons gris.

Tu nous suis aujourd’hui, petite. Il paraît que tu es douée. »

Je souris, nostalgique quant au souvenir qui a refait surface.

— Moi aussi, ils me manquent, tu sais.

Stella.

Elle a toujours su lire dans mes pensées, mettre le doigt sur ce qui hante mes idées. Perturbé par ma mémoire, je n’ai pas remarqué qu’elle est maintenant à mes côtés. Sa main vient prendre la mienne et la serrer. Son geste agit comme un pansement, j’en oublie le bourdonnement de mes oreilles, les courbatures dû à ma nuit inconfortable, efface même la pièce qui nous entoure. Jusqu’à ce que nos regards convergent, l’un se perdant dans l’autre. Ma respiration se cale à la sienne et…

Merde !

— RODOLF !

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