Bonbon au citron (Intermède sous Tiersen 2)

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  Je dois écrire encore un peu. Repousser le sommeil, coûte que coûte. Tordre le cou à la facilité.

  Rien n'est facile. Tout est danse verbeuse qui ne croit pas en elle-même ; je joue aux blablas érudits, à la prétention du génie, mais je n'en éprouve aucune culpabilité. L'enjeu est ailleurs, dans les surfaces bien plus profondes. Je suis le visionnaire illusioniste de ma vanité géniale, et c'est brillant comme la noirceur de l'échec. Aucune gravité, aucune corruption, juste une salsa des ratés signée de mon nom. Je pourrais faire bien des choses depuis cet espace, des choses meilleures, mais cette danse n'est pas condamnable puisqu'elle excite des danseurs inconnus. Bientôt germeront des seigneurs aléatoires, et leurs terres se grefferont à mon île. Le moment n'est simplement pas venu. Il ne s'agit ici que d'étirer le temps en monologuant avec ma solitude. Je ne suis pas vraiment en ma compagnie ; on ne connaît sa compagnie que lorsqu'elle est celle de quelqu'un d'autre, et alors elle est vraiment ce que nous sommes. De fait, tous ces mots ne sont le moi de personne, sinon celui de l'absence d'autrui, et si j'ai quelque part une beauté, elle est la beauté des autres. Riche de ce savoir, je m'accouple par les mots avec les grâces paradoxales de mon discours inutile. Je m'érige un château comme un bébé qui a trop de briques.

  Et le temps s'étire ainsi, substantifiant l'inanité avec un panache feint. Je ne peux me jeter la pierre. C'est une passade. C'est une jonglerie de ma plume. J'ai peur, parfois, de ne plus pouvoir sortir de ma parole, de ne plus savoir donner corps à l'imaginaire. Je suis un blablateur ; j'étais un rêveur. J'ai perdu le code des images intérieures. Le temps se cherche à présent dans d'autres étirements, il excite mon désir d'autres choses. Lui, elle, eux, cet endroit ou celui-ci : un rêve possible m'arrache les mots pour en écrire l'histoire à l'envers. Ma gorge commence à se vider, mes mains rêvent de métamorphoses. Mon ciel fabrique des images à toucher dans les hauteurs que je n'atteins pas, mais le temps étire son élan et d'ici déjà je commence à disparaître ; je suis un bonbon au citron qui fond dans le texte. Je crois que je cherche ma limonade.

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