Désennuage - Planète partie 2

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Ça gigotait un peu dans le vase. Etais-je censée les arroser, ces coquelicots, les nourrir, ou simplement les laisser se débrouiller ? Je fouillai dans les tiroirs brisés du secrétaire. Des graines, du cyanure, quelques bourgeons d'engrenages... Rien de mirobolant. Zut de zut, mais qu'est-ce que ça peut bien grignoter, des coquelicots ?

Découragée, je m'installai face à mes impromptus invités.

  • Bonjour.

Les pétales s'agitèrent.

  • Vous savez pas parler ?

Encore des bruissements. Leurs robes de velours étaient sacrément élégantes. Je ne ressemblais à rien, moi, à côté... dans ma chemise élimée.

  • Excusez mon peu de tact... C'est que c'est pas commun les coqu'licots par ici, 'voyez ?

Comprenant qu'ils ne me répondraient pas (vexés), je me détournai. À quoi bon s'acharner. J'avais mieux à faire que de courir après des mots ou des amitiés : caresser mon cactus de compagnie ou trouver un moyen de décrocher ces foutus ballons jaunes de mes doigts enroués. Grand-ma avait beau marmonner tout le temps "Il faut laisser le temps au temps" ou "Ça s'en ira quand ça s'en ira", je les haïssais plus encore que ce que je pensais pouvoir humainement ressentir.

  • Tu iras racler les nuages avant que la nuit tombe, me chuchota Grand-ma à l'oreille alors que je traversais le couloir à reculons.
  • Mais ! protestai-je, en équilibre sur mes oreilles trouées d'or. Il n'y a rien à désennuager aujourd'hui... rien de rien ! Le ciel est tout jaune.
  • Je suis certaine que tu peux en trouver cachés dans des petits recoins. Les avions doivent avoir la vue la plus dégagée possible. Tu sais ce qu'on dit : trop de nuages, pas de passage.
  • Et si je ne voulais pas qu'ils passent, justement ?

Grand-ma me détailla du regard en sifflant, le sourire goguenard aux coins des sourcils. Elle savait bien que d'un, j'appréciais voir des planneurs atterrir d'un autre monde malgré tous mes monologues se targuant du contraire ; et que de deux, je ne lui désobéissais jamais. Aussi, excepté le désennuage quotidien, il n'y avait pas beaucoup de règles à respecter chez Grand-ma. Numéroter les escargots de l'aquarium, tenir compagnie à Citrouille - le cactus domestique -, jouer de la trompette et connaître les seize millions quatre-vingt-six mille et une recettes de poisons compilées dans le Petit Livre Familial.

  • Soit.

Ce soir serait comme tous les soirs, Grand-ma me retrouverait, à minuit, les baguettes à la main et les cheveux emmêlés aux fleurs de cognassier, à rêver de la prochaine Rose ou d'un Petit Prince qui s'échouerait aux environs de l'aérodrome.

  • On a des invités.
  • Qui les a déposés ?
  • Aucune idée, ils ne sont pas très bavards. Plutôt snobinards, je dirais même.
  • Je m'occuperai d'eux dans ce cas.
  • Ça vaut mieux. Je ne les aime pas.

La tête de Grand-ma tourna sur elle-même. La vieille dame n'était pas girouette, pas comme Petit Sablé - qui n'était plus si petit puisqu'il avait poussé jusqu'à me dépasser le jour de nos seize ans - mais on n'en était pas loin. Elle allait tenter de me convaincre du contraire.

Je m'en fus lâchement. Les nuages m'attendaient.

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