Madame Garou

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- Monsieur Garou.

- Bonjour, docteur.

- Installez-vous, je vous en prie. Comment allez-vous ?

- Je vais très bien docteur, merci.

- Vous allez bien ! C’est rare, cela, un patient qui vient vous voir quand il est en parfaite santé ! Qu’est-ce qui motive ce rendez-vous ?

- Ce n’est pas pour moi que je viens. Ça concerne ma femme.

- Votre femme... Elle n’est pas là.

- Je sais bien. Elle n’aurait pas voulu venir.

- Ah ? Cette histoire m’a l’air compliquée... Essayons d'êtres efficaces. Je vous écoute.

- Merci, docteur. Je viens vous voir parce que ma femme a un souci un peu… particulier. Ce sont des désagremment qui reviennent régulièrement. Il sont comme dictés par le calendrier, vous voyez ? Ce sont les jours qui décident pour elle. Et elle, elle ne peut qu’obéir. Oui, c’est ça… elle obéit, je crois. Vous comprenez ce que je veux dire ?

- Je suis plutôt confus, monsieur Garou... Vous me parlez d’un mal qui serait cyclique ?

- Oui ! Oui, cyclique, c’est exactement le mot. Je suis quelqu’un de méthodique, certainement : c’est indispensable dans mon métier - je suis carreleur. J’ai donc noté minutieusement tout ce que je voyais s’installer si étrangement chez ma femme. Et j’ai observé comme tout revenait toujours. À l’identique.

- De quoi souffre-t-elle ?

- De quoi souffre-t-elle ! Je ne pense pas qu’elle souffre, docteur. C’est moi qui souffre dans cette histoire. Selon ma femme, il n’y a pas de problème. Selon elle, elle fait face. C’est fou pourtant comme cela peut me gâcher le quotidien tels jours du mois, et tels autres où il n’y a plus de manifestation, elle m’affirme qu’il n’y a jamais rien eu d’anormal. Et moi je commence à douter de mes perceptions. Je suis quelqu’un qui se laisse facilement emporter par son imagination.

- J’essaye de vous suivre, mais c'est assez difficle. Quels symptômes se manifestent chez madame Garou exactement ?

- J’y viens... J’y viens... seulement j’ai peur vous ne me croyiez pas. J’ai hésité à venir vous parler à vous... ou à raconter tout cela à un chamane… ou à un marabou, que sais-je... Parce c’est un peu extraordinaire, quand même. Regardez-moi, j’en ai des frissons... Et forcément, mon hypothèse à moi, qui n’y connais rien à la médecine, est assez farfelue. Pourtant, je vous assure...

- Monsieur Garou...

- D’accord. Voilà, il y a plusieurs choses. Disons, il y a plusieurs étapes qui culminent autour d’un moment : cela va en croissant, atteint un sommet puis décroit gentiment. Oui, le phénomène commence doucement ; cela débute - je l’ai remarqué car la nuit tombe tôt ces temps-ci – quand la lune est presque arrondie. Ma femme... vous la connaissez, docteur, et je pense qu’en cet instant vous vous la remémorez, ce n’est pas un personnage qu’on oublie, parce qu’elle a toujours le mot pour vous faire rire.

- C’est vrai.

- Ma femme commence généralement par se plaindre qu’elle est moins efficace dans son travail. Et je lui dis toujours : ce n'est pas grave, chérie, tu rattraperas ton retard demain. Je remarque aussi que sa posture change ; son dos est plus arrondi.

- Je note ce que vous me dites monsieur Garou, mais tout ceci me semble bien banal. Il nous arrive à tous d’être un peu fatigués sans que cela ne soit symptomatique d’une maladie. Et nous avons bientôt utilisé la moitié de notre temps de consultation. Venez-en au fait, je vous en supplie.

- J’y viens, docteur. Et cela va vous intéresser. Car après ces étrangetés, les jours passent : peut-être un ou deux jours, et je remarque d’autres changements plus inquiétants. Sa bonne humeur, habituellement communicante, s’arrache à elle, et une chose sombre semble venir la posséder. Comment vous expliquer cela ? son attitude se métamorphose. Quand je m’adresse à elle, elle me répond par des grognements sauvages. Et puis, quand elle se décide enfin à émettre des sons humains, ses discours me font penser à ceux d’une ensorcelée, tant elle me répète toujours les mêmes obsessions. Elle parle sans pause d’inquiétudes insensées. Elle est funeste et paniquée. Ce qui est tout sauf lui ressembler. Mais surtout, elle devient violente : il suffit que je lui glisse un mot et voilà que cela semble une pierre que j’aurais jetée sur son cœur : alors, elle hurle contre moi, elle s’acharne et s’accroche à ma parole comme un chien qui ne voudrait pas desserrer la mâchoire autour de son bout de viande. Pourtant je lui dis : tu es ridicule, tu t’affoles pour trois fois rien, mais non, ça ne fait que redoubler sa hargne, et elle s’énerve plus encore : parfois elle lance des objets ou casse de la vaisselle. Si elle n’avait pas été aussi frêle, je craindrais pour ma sécurité ! Tenez, regardez, là, sur mon bras : cette griffure... C’est elle qui me l’a faite ! J’avais tenté de l’immobiliser pour qu’elle cesse ce cinéma.

- Tout de même...

- Vous comprenez ? Alors vient la dernière phase, celle qui me semble la plus préoccupante et la plus particulière. Parce que, vous savez docteur, comme les femmes peuvent faire leurs hystériques quand elles s’y mettent. Et ça, je l’avais signé dans mon contrat de mariage, c’était inscrit en encre invisible mais cela m’avait été lu, en quelque sorte, et j’avais signé en connaissance de cause.

- Oui.

- Pourtant c’est autre chose que de l’hystérie. Je l’ai remarqué ; quand la lune est tout à fait arrondie : c’est là que sa transformation est la plus impressionnante. Après les grognements, les colères, après la noirceur, il vient quelque chose de pire. Ses yeux, que je connais si bien, changent.

- Ils changent ?

- La vie qui s’y réchauffait au fond s’éclipse, pour ne laisser que deux yeux froids et œdématiés. C’est habituellement à ce moment qu’elle fait de son lit son repère. Elle ne le quitte plus, comme si ses jambes s’étaient changées en autre chose... et ne pouvaient plus la porter de la même façon. Elle colonise son lit, ses couvertures sont les murs de sa grotte sauvage. Joint à cela, elle a des fringales folles : je la vois se faufiler, rôder dans la cuisine et amasser tout ce qu’elle peut attraper de sucré ou de gras pour l’entasser dans son antre comme un butin. En vingt minutes, là voilà qui a planté ses crocs dans du poulet, qu’elle a fait suivre par des bonbons, du fromage, des beignets, du pain, des céréales, un chocolat chaud, de la pizza, des gâteaux... Tout ce qu’elle trouve ! Et sans ordre. Imaginez cela. Elle dévore et se cache. Elle ne daigne plus rien faire de ses tâches habituelles. Elle va jusqu’à décommander ses rendez-vous et ses sorties les plus attendues. Elle s’exclue du contact humain. Comme si elle ne s’y reconnaissait plus.

- Et cela, selon vos dires, seulement pendant les pleines lunes ?

- Oui, ou du moins les jours qui gravitent autour de cette pleine lune.

- Continuez...

- En ce qui concerne le jour et la nuit, ils semblent pour elle inversés. Souvent, elle dort tout le jour, malgré mes tentatives pour la réveiller. Je la vois se lever dans la nuit et fixer la lune sans raison. Oui... Je vois que vous froncez les sourcils, c’est effectivement assez étrange. Mais ça n’est pas le pire : parfois, je la surprends : des sécrétions surnaturelles lui coulent des yeux, docteur, je l’ai vu plus d’une fois, tandis qu’elle renifle dans ses couvertures assez étrangement. À la dernière pleine lune, je l’ai même étendue étouffer des râles et des hurlements dans le coin de son oreiller...

- Vous me charriez...

- A ce moment là, je m’attendais carrément à lui voir pousser les poils et le museau... Puis, avec la lune qui décroit, toutes ces étrangetés s’amenuisent, s’évanouissent, et je retrouve ma femme telle que je la connais, avec sa bonne humeur légendaire. Pour le reste du mois. Jusqu’au mois suivant, où tout recommence avec la rondeur lunaire.

- Si je ne vous connaissais pas depuis si longtemps, monsieur Garou, je vous aurais soupçonné de me raconter des histoires.

- Et moi donc ! Mais alors, vous pensez comme moi, docteur. Cela ressemble...

- ... Entre vous et moi, un mal qui serait si caractéristique... Nous parlons tout de même de la transformation d’un humain... en une espèce... de... de... Ce que je peux vous affirmer, c’est qu’un changement menstruel physique et psychique aussi spectaculaire, s’il existait, aurait déjà été forcément répertorié et traité par la médecine. Nous sommes à l’air scientifique, monsieur Garou. Les scientifiques sont des personnes curieuses et consciencieuses. Cela ne me permet pas de croire que les observations que vous me rapportez sous-tendent une question médicale. Et après tout, elles sont assez subjectives. Il faut rester logique. Votre femme elle-même n’ose pas croire à un mal semblable. Je pense que vous aussi, monsieur Garou, vous vous faites des idées. De plus, Madame Garou ne semble pas y porter tant d’attention. C’est qu’elle vit bien comme cela.

- Je dois dire que ce que m’exposez fait sens... Oui… oui… certainement. Pourtant, c’est un peu bête, mais je crains parfois elle ne se transforme un jour tout à fait...

- Certes, mais il faut garder les pieds sur terre. Ne pas se monter la tête avec ces histoires fantastiques dans lesquelles nous sommes baignés. Madame Garou n’a pas... n’est pas... Enfin.

- Vous ne voyez pas de diagnostic ?

- S’il s’avère, malgré ce que je viens de dire, que vous croyez encore à ce vous me racontez, il serait préférable d’orienter votre femme, si elle le souhaite, vers un psychologue ou un psychiatre. Se comporter comme une créature de mythe est assez étrange à mon avis, et pourrait manifester d’un mal être qui la pousserait à attirer l’attention sur elle par des moyens extravagants.

- Je note cela, docteur.

- Si tel était le cas, vous auriez bien fait de venir m’en parler.

- Oui. Mais si tel n’était pas le cas, j’aurais pu tout aussi bien m’adresser au mur…

- Je regrette de ne pas pouvoir en faire plus pour vous.

- Moi aussi, mais je sais que vous faites tout ce que vous pouvez.

- N’hésitez pas à me contacter devant tout élément nouveau. Ou à reprendre rendez-vous. Je vous raccompagne jusqu’à la porte.

- Au revoir, docteur.

- Au revoir !

- Oh ! docteur ! j’ai oublié un élément qui a peut-être son importance.

- Dites ?

- Quand les choses s’améliorent pour ma femme, il m’arrive de trouver les draps tâchés de sang.

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