Chapitre 1

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- Nom, Prénom?

- Schreiber, Paul.

Le militaire leva les yeux vers le sexagénaire qui venait de lui donner son nom. Il était d'une bonne taille, ses cheveux gris étaient propres et taillés courts. Il avait un ventre rond mais semblait en forme malgré son âge avancé, et son visage marqué ne présentait aucun signe évident d'une quelconque maladie.

- Nationalité?

- Américaine.

Le militaire leva une fois de plus les yeux de sa fiche et fit se lever un sourcil noir de questions. Sans attendre de retour, Paul tendit une carte aux couleurs ternies.

- Naturalisé en 2122.

Son nom et son accent mal gommé trahissaient ses origines germaniques. Pourtant, il n'avait pas laissé transparaître de tension dans sa voix.

- Catalogue des qualifications et des expériences professionnelles s'il vous plaît.

La recrue n'avait pas terminé d'écrire la ligne précédente que Paul avait déjà lourdement posé un dossier d'une vingtaine de centimètres de hauteur sur la table en fer bon marché qu'on avait installée dans une tente du campement de l'Arche.

Une autre homme en treillis, plus âgé, sortit d'un pan de la tente et fit signe à Paul de le suivre. Ils traversèrent la tente dans la longueur, longeant bureaux de fortune et caisses d'équipement couleur kaki. Lorsqu'ils furent sortis, l'homme chercha une plaque militaire dans la poche de sa chemise pour la présenter à une autre personne, vêtue d'une blouse blanche, et sans un mot, tous trois se dirigèrent vers un grand bâtiment pré-fabriqué.

Il était ingrat, gris, parallélépipédique et semblait être le plus gros du camp. Ils y pénétrèrent, encore une fois non sans présenter diverses cartes et plaques d'identification. L'intérieur était aussi basique et froid que l'extérieur. Les murs étaient d'un bleu terne et l'on y avait placardé des affiches informatives: que faire lors de l'embarquement sur l'Arche, que faire en cas d'incendie, que faire avant l'Exode, que faire en cas de perte de la carte d'embarquement. Sous ces affiches étaient disposés des bancs en plastique et des chaises en bois. Sur les bancs en plastique et les chaises en bois, on avait disposé des gens. Sur une chaise en bois inoccupée, on disposa Paul Schreiber.

Et on fit attendre Paul Schreiber.

Puis un autre homme en blouse blanche vint chercher Paul Schreiber. Il l'emmena dans une salle blanche où une femme en uniforme militaire tapotait sur un clavier. Une sorte de registre, se dit Paul.

Le médecin ausculta minutieusement son patient et, lorsqu'il en eût terminé, hocha la tête sans un mot vers la femme, qui appuya sur une touche du clavier. Un grand sourire, un "Merci de votre coopération", une main sur l'épaule, une porte qui s'ouvre, une autre qui se ferme, et Paul était de nouveau dehors, cette fois-ci de l'autre côté du bâtiment.

L'Arche se dressait à l'horizon, et des fourgons militaires par centaines faisaient l'aller-retour entre son ascenseur, sous son ventre, et le camp. C'était une structure impressionnante. La plus impressionnante que l'humanité avait jamais construite: elle occultait plusieurs dizaines de kilomètres de ciel en largeur, et s'élevait à plus de deux kilomètres de haut. L'effort de la majorité des nations du monde pour donner sa dernière chance à l'humanité. Un effort d'une incroyable froideur, un effort brut de métal et d'ingénierie, condensé dans un gargantuesque transporteur d'Hommes, piloté pendant leur sommeil par leur enfant le plus doué.

Le programme avait évidemment suscité des débats, mais il était idiot de se montrer borné désormais. La Terre était morte, et il fallait la quitter. La quitter, sans avoir la connaissance nécessaire pour aller où que ce soit d'autre. Sauter dans le vide une feuille à la main, et espérer que la feuille amortisse la chute. Peut-être que ce qui dérangeait le plus l'humanité aujourd'hui, c'était d'admettre sa défaite, et de devoir remettre son destin dans les mains d'une chose qu'elle a créé, sans avoir la moindre idée de ce qu'il en adviendrait.

Sa sacoche à l'épaule et ses papiers administratifs sous l'autre bras, Paul s'avança jusqu'au poste d'embarquement. Des militaires vérifièrent à nouveau toutes ses données, fouillèrent la sacoche, et l'amenèrent devant le camion 1132, lui dit-on. Il patienta en silence devant l'engin, en essayant sans succès d'initier une conversation avec ses compagnons de route ; peu semblaient maîtriser l'anglais ou l'allemand. L'Arche n'était qu'à deux kilomètres du poste, mais la route lui parut longue.

Enfin, il embarqua. L'intérieur de l'Arche n'avait rien de luxueux, mais elle n'avait rien de rustique non plus. Il n'y avait pas d'éléments ultra-futuristes comme ce à quoi les gens s'attendaient de l'intérieur d'un tel vaisseau; somme toute, les espaces communs de l'Arche ressemblaient à ceux d'un hôtel américain très correct. Les agents amenèrent les nouveaux résidents à leurs chambres respectives. Elles étaient toutes aménagées de la même manière: Vingt mètres carrés, une imitation de plancher sombre au sol, des murs peints de blanc et de gris, un lit pour deux personnes, une salle de bain personnelle, et un grand bureau de bois peint en noir. L'ensemble était assez moderne au final, et Paul s'en accommoderait très bien.

Après avoir remercié l'agent et noté l'arrangement général des quartiers habitables de l'Arche, Paul referma la porte de sa chambre et tira la chaise du bureau. Il ouvrit sa sacoche, en sortit un livre relié à la main d'une couverture en cuir bruni, un stylo à plume gravée, et des lunettes rondes aux branches fines.

Il ouvrit le livre à la première page ; elle était vierge. Il la tourna et contempla la seconde page ; elle était vierge. Il la tourna et planta son regard dans la troisième page. Il ajusta ses lunettes, fronça les sourcils, se saisit du stylo, et écrivit.

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