Dehors

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Deux semaines s’étaient écoulé depuis son intrusion dans le secteur mort. D’un pas soutenu, Miguel traversait les ultimes kilomètres qui le séparaient de son but. La porte du sas s‘ouvrit sur le cent quarante -cinquième et dernier de son voyage. Il traversa le premier couloir, tourna à droite, suivant le chemin découvert dans le manuel de maintenance et qu’il avait fini par mémoriser par cœur, puis entra dans l’ascenseur.

Énergie insuffisante.

Cette vieille rengaine rattrapait Miguel ces derniers jours à mesure qu’il délaissait les ateliers et accélérait le pas vers la sortie. Il prit l'escalier, les cuisses endolories par les semaines de marche incessante. Brouilleur social activé, Miguel traversait la foule anonyme de la cité. Il ne souhaitait pas être distrait. Son esprit était tourné vers une seule chose : sortir. Il finit par atteindre l'entrée du dernier couloir, désert, comme les cent quarante-cinq autres. Il aperçut au loin la dernière porte de la cité, fermée. Au-delà se trouvait l’extérieur. Plus de mur, plus d’ascenseur, plus d'atelier, simplement l’extérieur. Il s'approcha d'un pas rapide, une euphorie mêlée à une profonde angoisse s'empara de lui. Arrivé près du sas, celui-ci était ouvert côté intérieur mais la porte extérieure était close. Il distinguait parfaitement la barrière rouge couper le vestibule en son milieu. Il avait la gorge serrée et l'estomac noué. Quelques frissons lui parcoururent l'échine.

— Vais-je devoir encore me jeter contre la porte pour que tu l'ouvres ? demanda-t-il à Alan sur un ton sans équivoque.

Vous êtes libre de sortir, cependant en quittant la cité vous n'êtes plus sous ma responsabilité. Soyez conscient des risques encourus. Bien que compatible avec la vie humaine, l'extérieur n'est pas un endroit sécurisé et vous perdrez tout contact avec le réseau.

— Pourrai-je revenir ?

Une commande d'ouverture manuelle est présente sur les parois externes. Vous subirez cependant une décontamination prolongée.

Miguel pénétra dans le sas, les pieds au bord du capteur laser et se rappela sa première sortie du secteur sept et la même appréhension qu'il avait ressentie. Sacrifier une chaussure ne sera pas nécessaire cette fois. Le dos droit, la mâchoire crispée, son corps coupa la barrière lumineuse, déclenchant la fermeture de la porte. Les buses se mirent en route et s'arrtêtèrent au bout de quelques secondes. La porte ne s'ouvrit pas tout de suite. Des turbines s'allumèrent projetant un souffle sur sa nuque et il sentit ses oreilles se boucher, signe que la pression augmentait dans le sas. Finalement, la porte s'ouvrit. La pression s'égalisa et un courant d'air le poussa vers l’extérieur. Il fit alors un pas et quitta la cité.

Un air frais et sec l’accueilli. Il faisait noir. Seule la lumière du sas éclairait les abords directs. Cela ressemblait étrangement à un secteur mort, avec une odeur différente. Miguel sortit et chercha instinctivement le mur du couloir à sa droite avec peut-être un boîtier de contrôle, mais il ne trouva que le vide. La porte se referma derrière lui le laissant seul dans la pénombre. L'appréhension le laissa dans un état léthargique, simplement ponctué de quelques frissons. Ses yeux s’habituèrent peu à peu à l'obscurité et il put distinguer des formes au-dessus de lui. Cela ressemblait à un enchevêtrement compact de branches d'arbres, mais d'où il était, il ne voyait pas de tronc. Il n'y avait pas un bruit hormis une légère brise qui sifflait au travers de cet étrange plafond organique. Il releva son regard vers le ciel et put distinguer une lueur blanchâtre au zénith. Ses yeux mirent du temps à se décrocher du toit végétal relativement proche pour faire le point à l'infini et lui révéler toute la beauté de l'astre de la nuit. La Lune l'acceuillait. Elle lui sembla petite et beaucoup plus brillante que ce qu'il avait pu voir ou lire sur elle. On ne distinguait pas les cratères et les chaînes de montagnes. On voyait simplement un disque blanc vaguement tacheté illuminant la nuit.

Ses yeux se baissèrent sur un sol poussiéreux. En se retournant Miguel put voir une faible veilleuse verte à côté de la porte, probablement un bouton commandant son ouverture. Il faisait trop sombre pour s'aventurer loin des murs rassurants de la cité. Il s’assit simplement, adossé à elle, comme le ferait un enfant contre sa mère pour se rassurer et attendit les yeux fixés vers le ciel. Il resta ainsi plusieurs heures, seul, en dehors du monde.

L'aube finit par se lever. La lumière du soleil filtrait à travers ce qui semblait être des branches d'arbres, mais dans un matériau semblable à du plastique. Les ramifications pénétraient à l’intérieur de la cité à quelques mètres au-dessus de Miguel. Était-ce Thélème qui avait généré ce phénomène ou était-ce un parasite cherchant à y pénétrer ? Ce plafond recouvrait tout à perte de vue, diffusant une agréable pénombre sur la plaine désertique. Des troncs régulièrement disposés venaient soutenir cette canopée artificielle. Miguel approcha sa main de l’un d’entre eux. Une chaleur douce en émanait, accompagné d’un léger grésillement électrique.

Partout se dressaient ces mêmes colonnes supportant la structure. Miguel voulut explorer plus en avant, mais comment retrouver son chemin ? Il fit un petit tas avec des cailloux pour marquer son passage et s’éloigna. Il marcha ainsi de proche en proche peut-être des heures, balisant son trajet pour pouvoir rebrousser chemin, mais le même décor l’accompagnait toujours. La cité avait disparu depuis longtemps derrière cette forêt d’arbres artificiels. Seule la file de cairns retournant vers le point de départ trahissait son existence. Miguel entendit un grondement, comme un orage très lointain, mais pas un nuage ne se dessinait à l'horizon. Il leva les yeux et put voir une immense colonne de lumière jaillir du sol et percer le ciel. Ou peut-être venait-elle du ciel et s'écrasait-elle sur la planète ? Difficile à dire. En regardant plus loin, Miguel put voir une autre de ces colonnes, puis une autre et encore une autre. Des dizaines de ces rayons inexpliqués zébraient maintenant le ciel sans nuage.

Depuis des heures, la curiosité menait un combat perdu d’avance contre la faim et la soif. Plusieurs kilomètres séparaient encore Miguel de ces lumières. Il était plus sage de retourner à la cité. Peut-être Alan pourrait éclaircir tous ces mystères. Résigné, Miguel fit demi-tour et suivit son balisage jusqu'à son point de départ.

Il arriva à la cité en fin d'après-midi. Le soleil commençait sa lente descente sur l'horizon tandis que les colonnes de lumière illuminaient toujours le ciel. Il remarqua un détail qui lui avait échappé : à côté de la porte, contre le mur de la cité, on pouvait distinguer les restes d'inscriptions gravées à la main. Certaines étaient complètement effacées et illisibles, d'autres semblaient plus récentes. L'une retint particulièrement son attention.

« ALIENOR 2495 »

Il caressa l'inscription du bout des doigts comme une relique venant d'un passé lointain. Aliénor. Cette étrange femme qui avait bouleversée sa vie. Elle avait dit n'être jamais sortie de la cité. Pourquoi avait-elle menti ? Miguel repensa à son échange avec Alan quelques semaines plus tôt.

« En voyant, grâce à vous, que ces interdits ne sont en fait qu'illusion et qu'ils sont réellement libres de leurs actions, ils restent dans l'état où ils sont. »

Aliénor avait-elle anticipé cela ? Si elle lui avait décrit à quoi ressemblait l’extérieur, aurait-il entrepris ce voyage ? Probablement pas. Son pied buta sur quelque chose. Une pierre lisse et sphérique dépassait du sol. Il gratta autour pour la dégager et découvrit deux orbites vide et quelques dents. Un crâne humain, sans aucun doute. Son aspect fossilisé et poli par le temps lui avait enlevé son aspect horrifique pour en faire un simple témoignage du passé. Qui étais-tu ? As-tu toi aussi gravé ton nom sur ce mur avant de reposer ici ? Miguel ressentait une certaine gêne à l'idée qu'on puisse sortir un peu de matière du cycle de la cité, mais d'un autre côté il comprenait ce geste. La provocation ultime. Il prit une pierre et grava sur le mur :

« MIGUEL 2517 »

Puis il appuya sur le bouton et pénétra dans le sas.

Les buses s'allumèrent plus longtemps qu'à l'accoutumée remplissant la cabine d'une brume dense. Sans doute était-ce la décontamination prolongée mentionné par Alan. Miguel respira cette fumée purifiante durant près d'une minute avant que la ventilation ne se mette en route. Comme pour la sortie, ses oreilles se bouchèrent à cause de la pression et la porte s’ouvrit sur la cité. Un courant d'air s'engouffra dans le sas, refoulant l’atmosphère extérieure vers les grilles de ventilation.

— Home sweet home…

Légère déshydratation. Veuillez suivre le chemin indiqué vers la fontaine la plus proche.

Il soupira. Un profond sentiment de vide s'empara de lui. Il n'avait pas anticipé quoi faire après, que serait la prochaine étape. Sortir était une fin en soi. Mais là-bas, il n'y avait rien à part un impossible entremêlement de branches et ces étranges rayons de lumière.

— C'était quoi ces lumières ? demanda-t-il.

Vous avez perdu la connexion en quittant la cité. Je n'ai pas d'historique de ce que vous avez pu voir ou entendre.

— Oui, c’est vrai…

Miguel s'approcha de la fontaine et but quelques gorgées d'eau. Il continua.

— Des immenses traits de lumière qui traversaient le ciel.

L'image d'un puissant éclair pendant un orage s'affiche devant lui.

Comme ceci ?

— Non, vertical. Le ciel était clair, il n'y avait pas de nuages.

Alan fit défiler des photos de grattes-ciel, une illustration d'ascenseur spatial et d’autres suggestions. Après plusieurs tentatives, une image retint l’attention de Miguel. Elle montrait une vue aérienne d'une grande plaine, recouverte de ces mystérieuses branches qui semblaient converger vers un cratère au centre de l'image. Du cratère jaillissait une lumière aveuglante filant verticalement vers le ciel.

— Oui, c'est ça.

Une page intitulée « Soupape de régulation » s'afficha.

Afin d'ajuster la quantité d'énergie reçue par la planète, des soupapes de régulation sont disposées régulièrement à sa surface. Ces soupapes permettent d'évacuer vers l'espace le trop plein d'énergie solaire sous forme d'un flux de neutrino à haute vélocité, régulant la température de la planète. Le réseau de soupapes permet d'évacuer jusqu'à cinq cents tera watt de puissance, soit environ cinq pour cent de la production totale.

Cette page extraite de la partie Annexe - systèmes autonomes du fameux manuel de maintenance ne contenait que ce paragraphe suivi d'une photographie. L'annexe comportait aussi d'autres descriptions succinctes d’équipement semblant tous être à l’extérieur, comme le plafond de branche. Il s’agissait de capteurs solaires pseudo organique recouvrant tout le globe.

— Pourquoi n’y a-t-il pas plus de détail sur ces systèmes ? Comparé aux pâtés que j'avais l'habitude de lire dans ce manuel.

Ces systèmes sont tous situés dehors. Ils ont été conçus pour être autonomes et ne pas nécessiter d'opération humaine. Leur présence dans le manuel est à titre informatif et n'a pas pour but d'expliquer leur entretien à un opérateur.

— Mais, toutes les opérations de maintenance sont automatiques. Je n’ai croisé personne dans le secteur mort.

Miguel fut pris d'une sensation étrange. Pourquoi y avait-il un manuel de maintenance si toute la maintenance était automatique ? Il n'avait jamais entendu parler d'équipe de réparation ou de qui que ce soit ayant pénétré dans un secteur mort. Ses lumières étaient de toute façon éteintes. Il y faisait noir comme dans un four, à moins d'actionner ce boîtier de commande. D’ailleurs, pourquoi des interrupteurs ? Pourquoi une échelle pour descendre ? Les questions assaillaient Miguel bien plus vite que les réponses. Il avait mis le doigt sur quelque chose. Quelque chose qui le dérangeait, quelque chose qui, malgré toute la bonne volonté et toute l’honnêteté dont avait fait preuve Alan depuis le début de son périple, ne collait pas. Pourquoi une échelle ?

— Remontre-moi les plans du secteur !

La représentation en 3 dimensions s'afficha devant lui. Il zooma et vérifia la présence de l'échelle à quelques pas du sas. Il retourna dans le couloir d'entrée à l'endroit exact où elle était censée se trouver. Miguel pouvait distinguer la jonction entre le couloir et le module suivant qui avait failli l'écraser dans l'autre secteur, mais l'échelle était inaccessible.

— A quoi sert cette échelle ? Elle n’est accessible que lorsque le secteur est vérouillé.

L'ordinateur resta silencieux, il semblait chercher ses mots. Finalement il répondit :

Les opérations de maintenance étaient initialement conçues pour être effectuées par du personnel humain.

Miguel cherchait une justification à ce changement. Peut-être les machines avaient remplacé les hommes pour une bonne raison.

— Pourquoi ce n'est plus le cas ? Trop dangereux ? proposa-t-il.

En partie. Les opérateurs négligeaient les consignes de sécurité et n'arrivaient plus à interpréter correctement les procédures décrites dans le manuel. Elles furent simplifiées, comme toutes les données disponibles sur le réseau mais une partie critique des informations fut perdue dans le processus, rendant dangereuse voire impossible les opérations manuelles. Le système a donc été entièrement automatisé.

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