Chapitre 122

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Layla

En ce matin du 11 novembre, nous assistons à la cérémonie de commémoration de l'Armistice, sur la place d'Antraigues, Alexis et moi. Nous ne sommes pas très nombreux à écouter François, mais c'est toujours un moment important dans la vie d'une petite commune. A l'issue de la cérémonie, nous allons prendre un verre à La Montagne, avec l'intention de remonter tranquillement aux Auches ensuite. Cet après-midi, nous envisageons de faire la randonnée du volcan.

Nous avons pris place à une table, dans le café. Les conversations vont bon train, on parle de la fin de la récolte de la châtaigne, de l'hiver qui s'avance. Véronique est venue ce matin, et nous discutons toutes les deux.

Soudain les discussions s'arrêtent. La radio qui bourdonnait en fond sonore annonce qu'un séisme vient de se produire au Teil, que la secousse a été violente, mais qu'on ignore encore s'il y a des blessés ou pire. Tout le monde se regarde, l'inquiétude grandit : Le Teil est situé non loin d'une des principales centrales nucléaires de la région, Cruas. Mais plusieurs habitants ont aussi des connaissances, voire de la famille au Teil ou dans les alentours.

Les téléphones commencent à biper, les premières informations circulent.

- Je vais passer un appel au-dehors, me dit Alexis. Je reviens.

Il sort et je le suis des yeux. Quand il revient quelques instants plus tard, il me dit :

- J'ai appelé la préfecture. Pour l'instant, ils n'ont pas besoin de moyens de secours supplémentaires. Les pompiers arrivent sur place, mais ils ont gardé mes références. Je leur ai dit que je pouvais descendre si besoin, pour seconder les équipes médicales.

Si la secousse a été ressentie dans une bonne partie de la vallée du Rhône et jusqu'à Montpellier, ici, elle a à peine fait vibrer les murs. Néanmoins, je décide de descendre après le repas aux usines, pour vérifier que tout va bien. Alors qu'Alexis nous ramène aux Auches, j'appelle les gardiens de service : ils sont au courant de la catastrophe, mais m'assurent n'avoir pas ressenti la secousse.

Nous déjeunons rapidement, tout en écoutant la radio et en surveillant l'actualité sur les réseaux sociaux. Puis nous descendons à Ucel, chacun avec notre voiture : si jamais Alexis était appelé en renfort, il vaut mieux que j'aie mon propre véhicule pour remonter à la maison. Lorsque nous arrivons à l'usine, nous trouvons Thierry, le gardien, dans la cour en train de discuter avec la directrice, entourée par trois autres personnes que j'identifie bien vite comme étant des ouvriers.

- Bonjour, Stéphanie, Messieurs.

- Mademoiselle Noury, bonjour. On est venu voir... Mais Thierry nous a dit qu'il n'y avait pas de dégâts ici.

- Vous avez ressenti la secousse chez vous ?

- Non, répond celui qui vient de parler alors que les deux autres secouent la tête à la négative.

- Bon, tant mieux. On va attendre les préconisations des autorités pour voir s'il est nécessaire de faire une inspection détaillée des installations avant de redémarrer les chaînes demain. Pour l'instant, il est trop tôt pour avoir des précisions.

- Ils s'occupent d'abord des blessés, c'est normal, intervient Stéphanie. Et il va y avoir des dégâts là-bas. Sans compter la centrale...

Ca, c'est dans tous les esprits : la crainte d'un accident industriel, voire nucléaire. Les premières informations communiquées par les autorités sont rassurantes, mais on parle déjà d'arrêter les réacteurs pour quelques jours, le temps des contrôles. Il est possible qu'en conséquence on nous demande de réduire l'activité pour limiter la consommation électrique.

Avec les ouvriers et Stéphanie, nous faisons quand même le tour des installations : chacun d'entre eux travaillait sur une partie de la chaîne et après une bonne demi-heure d'inspection, ils m'assurent que, à leur avis, tout est en ordre. Nous en profitons pour nous rendre ensemble à Labégude. Là aussi, deux ouvriers sont venus voir. Pendant que je les accompagne dans l'atelier et dans les entrepôts, Alexis se rend avec le gardien et Stéphanie dans la partie administrative. Nous ne notons rien de particulier : pas de fissure, pas d'affaires tombées au sol. Les stocks de produits n'ont pas bougé.

Au moment de nous séparer, je les salue et les remercie de s'être déplacés. Leur implication me touche. L'un me répond :

- Mademoiselle, on a à peine recommencé à faire tourner les usines. C'est pas pour qu'elles soient arrêtées aussitôt... Et puis, c'est normal de venir voir.

- Oui, bien sûr. Néanmoins, je vous remercie de votre présence et de cette première inspection.

- Comment s'organise-t-on demain ? me demande Stéphanie.

- Je vais prévenir Jean-Christophe et le reste de l'équipe de direction. Sauf information contraire de la part des autorités, je préconise que nous nous retrouvions tous demain matin avant le démarrage de la chaîne. On ne modifie pas l'organisation du travail pour le moment, mais je ferai une communication à tous en fonction des éléments dont je disposerai. S'il faut interrompre la production durant quelques jours, on le fera. Sans conséquence financière pour vous tous, bien entendu.

Ils ne disent rien, échangent un rapide regard, puis l'un prend la parole et dit :

- Merci, Mademoiselle. On vous laisse. Je suppose que vous allez être occupée cet après-midi. On vous dit à demain. On sera à pied d'œuvre et vous pourrez compter sur nous, selon ce qu'il y aura à faire. On va faire passer le mot aux autres.

- C'est moi qui vous remercie. Passez un bon après-midi et j'espère que nous ne recevrons pas de mauvaises nouvelles, surtout, qu'il n'y aura pas de victimes.

Nous remontons alors tranquillement à la maison, et je passe l'après-midi non sur le volcan, mais en communication avec toute l'équipe. La première personne que je préviens est Laurent : informé de la nouvelle, il m'a aussitôt appelée alors que j'étais sur la route. Nous sommes à peine arrivés à la maison que je lui téléphone. Je vais et viens dans la salle alors qu'Alexis est en train de remettre du bois dans la cheminée. Puis il nous prépare un café. Nous n'en avions pas pris à l'issue du repas, pour partir plus vite aux usines.

Après Laurent, c'est le tour de Jean-Christophe, le directeur à Ucel. Lui aussi m'a laissé un message et Stéphanie l'a appelé de son côté. Nous convenons de nous retrouver vers 6h30 demain matin à Labégude. Stéphanie nous y rejoindra après avoir informé l'équipe d'Ucel de ne pas faire redémarrer la chaîne. Nous prendrons alors les mesures en conséquence en fonction des décisions des autorités.

Alexis

Dès que nous avons appris la nouvelle du séisme, j'ai compris que le programme de la journée allait être modifié. Plus question de randonnée. Je me porte volontaire auprès de la préfecture pour être réquisitionné si nécessaire pour les interventions de secours, me doutant vite cependant, au fil de l'après-midi, que je ne vais pas être appelé : les dégâts matériels sont importants, mais les blessés peu nombreux, hormis une personne qui se trouve dans un état grave et qui a aussitôt été hospitalisée. Ce sont surtout les pompiers qui sont mobilisés pour faire évacuer les hameaux touchés et le personnel communal, voire des bénévoles, pour trouver des solutions d'hébergement d'urgence. Nous nous retrouvons aussi tous avec l'appréhension de la réplique qui peut être de même ampleur, de ce qu'en disent les spécialistes.

J'accompagne donc Layla aux usines, pour une première inspection. Comme elle, je suis touché que quelques ouvriers se soient spontanément déplacés. Et je peux déjà deviner que, dans leur esprit, se grave l'image de Layla en action : rapidité de réaction, assurance, prise de décision. Elle est prête à suspendre la production si les autorités l'ordonnent, que ce soit par mesure de sécurité ou pour limiter la consommation d'électricité durant quelques jours.

Layla passe l'après-midi au téléphone ou presque. Entre sa direction, un cadre réquisitionné à la préfecture qui est, pour l'heure, incapable de lui donner des précisions, elle ne chôme pas pour organiser au mieux la journée du lendemain. Elle reçoit même un appel d'un des délégués syndicaux, élu au CCE à Paris, qui vient prendre des nouvelles et l'assure de son soutien.

De mon côté, je m'occupe des appels de la famille : Liliane et Dominique ont été les premiers à nous contacter, puis ma tante nous appelle en début de soirée. Et je ne suis pas surpris d'un appel de Pauline me disant qu'Aglaé est scotchée devant la télévision, chez Julien, pour suivre les actualités. Et qu'elle écoute avec une attention particulière les spécialistes du BRGM, les géologues et sismologues qui interviennent sur les différentes chaînes.

En début de soirée, Layla a à peu près toutes les cartes en main pour le lendemain. Même s'il faudra s'adapter en fonction des préconisations des autorités. Nous dînons tôt et je l'oblige à couper les nouvelles pour passer une soirée la plus reposante possible : demain, elle va se lever de très bonne heure et elle aura une grosse journée à l'attendre.

**

Le réveil nous tire très tôt du sommeil. Je grogne à moitié, cela fait rire Layla.

- Reste au lit. Tu peux encore dormir, toi.

- Tiens-moi au courant...

- Si nécessaire oui. Allez, je file sous la douche...

Je l'entends à peine, quelques minutes plus tard, sortir de la salle de bain et monter à l'étage. Même le parfum du café ne me sort pas du sommeil. Je me réveille à nouveau à l'heure normale pour moi, c'est à dire vers 7h30. Layla est déjà partie au travail depuis une heure et demie environ.

Tout en prenant mon petit déjeuner, je jette un œil aux nouvelles sur les différents sites d'information. Le bilan ne s'est pas alourdi, fort heureusement, mais les dégâts sont très importants. Une grande partie de la commune du Teil et des hameaux alentours ont été évacués, gymnases et salles communales ont été mis à disposition pour héberger les habitants. Les élus, bénévoles et pompiers sont sur le pont pour aider aux premières urgences. Et déjà se profile la bataille avec les assurances, en espérant que le gouvernement déclare très vite l'état de catastrophe naturelle pour permettre une indemnisation et des interventions plus rapides.

Je descends plus tôt à Antraigues, passe à la mairie. Sans surprise, il y a là quelques personnes venues aux nouvelles. Après le premier choc, ce que tout le monde craint désormais, c'est la réplique. Elle ne s'est pas encore produite et on s'y attend dans les prochaines heures, voire d'ici deux jours maximum. Sans avoir idée de son ampleur : plus, moins, aussi forte que la première secousse ? Et où se produira-t-elle ? Vraisemblablement dans les environs du Teil, mais c'est assez difficile à prévoir d'après les spécialistes car la région n'était pas reconnue comme d'activité sismique importante. Et déjà des suppositions affleurent : et si c'était la faute à une ancienne carrière ? Aux cimenteries ? Je ne m'attarde pas et signale juste à François que je suis sur la liste préfectorale en cas de mobilisation de moyens sanitaires renforcés et que je suis donc susceptible de fermer le cabinet.

Avant de prendre mon premier patient, j'envoie un message à Layla pour avoir des nouvelles de son côté. Elle m'informe que la préfecture a demandé aux usines et services non essentiels de suspendre ou limiter leur activité. Elle a donc décidé de ne pas mettre en route les deux usines. Elle en est train d'organiser les choses et de prévenir ses équipes. Les ouvriers du matin se sont tous présentés et elle a renvoyé la plupart chez eux, ne gardant sur place que quelques ouvriers de maintenance. En fonction des nouvelles au fil de la journée, elle avisera pour une remise en route l'après-midi ou pas.

A chaque rendez-vous, j'entends parler du séisme. A midi, je remonte aux Auches. Layla demeure à Ucel ou Labégude. L'après-midi, je me rends à la maison de retraite, pour ma visite hebdomadaire. Là aussi, les anciens parlent du séisme. Mais je les sens dans l'ensemble plus sereins que le reste de la population : ils en ont vu d'autres, comme ils disent avec bon sens.

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