Chapitre 77

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Layla

- C'était un grand plaisir de faire enfin ta connaissance, Layla !

- Pour moi aussi, dis-je avec un grand sourire. Profitez bien de votre deuxième semaine de vacances, vous avez encore beaucoup de choses à voir ! Et merci de m'avoir conduite à Montélimar ce matin.

- C'était aussi simple, dit Daniel. Et ainsi, nous allons remonter tranquillement les gorges et faire peut-être une ou deux visites de grottes. On ira voir Chauvet avec Adrien et Daphné.

- Ce serait dommage qu'ils manquent cela !

- Je sais que ce n'est pas simple, mais j'espère que vous aurez l'occasion de venir nous voir en Normandie, Alexis et toi, dit encore Valérie.

- Ce serait avec joie ! Je ne connais pas du tout votre région, tout juste suis-je allée une fois au Mont-Saint-Michel quand j'étais enfant, mais j'en garde seulement un vague souvenir... Et je me doute bien que le Cotentin ne se limite pas au Mont !

- Loin de là... dit Daniel. Profite bien en tout cas de tes prochaines vacances ici !

- Merci !

- Et bon voyage ! Bon retour à Paris !

Ils me font la bise, puis je traverse la place et vais m'installer dans le petit café de la gare. Mon train est dans une bonne demi-heure, j'ai donc un peu de temps devant moi. Hier, quand nous étions sur le plateau, j'avais mentionné devoir partir tôt d'Antraigues, pour prendre le bus jusqu'à Aubenas, puis un autre pour rejoindre la gare de Montélimar. C'est là qu'ils s'étaient proposés pour me conduire, laissant les "jeunes" passer la journée de leur côté. Alexis ne pouvait pas m'accompagner puisqu'il travaille. Et je n'avais pas eu envie de repartir hier, en fin d'après-midi. Cela aurait trop coupé le week-end.

C'était un bon choix, car non seulement j'ai pu passer trois jours complets ici, faire vraiment connaissance avec la famille d'Alexis, mais nous avons aussi eu une très belle journée hier sur le plateau. La source de la Loire a encore fait des miracles, tout le monde a trouvé les paysages reposants et apaisants, dans un autre registre que ceux des alentours d'Antraigues.

**

Mon voyage retour se déroule sans souci. Serge m'attend à l'arrivée et me ramène directement à l'appartement. Je range les quelques menues provisions que j'ai ramenées (dont deux pots de myrtilles, de quoi tenir jusqu'au début août). Dans trois petites semaines, je serai de retour. Cela va passer vite. Et j'ai beaucoup de choses à faire, comme toujours à cette période de l'année, avant la coupure estivale. Sans oublier que Laurent est en vacances et que j'assume seule la direction pour trois semaines. Il me relayera en août.

Les choses avancent donc. Et dans le bon sens. Après le comité de direction, après de nombreux échanges avec mes plus proches collaborateurs, nous avons choisi l'option ardéchoise. Juste avant que je ne descende à Antraigues, le comité central d'entreprise a pris connaissance du projet. Les premières réactions, après la surprise, ont été l'intérêt, la curiosité. Rares sont les élus du personnel ayant connu la fermeture des usines ardéchoises, ayant vécu le plan social. Néanmoins, j'ai bien senti que cette annonce marquait pour tous, dans tous les esprits, une rupture : rupture avec les choix de mon père, rupture avec un certain mode de développement de l'entreprise, rupture également avec un climat général, des choix économiques globaux.

Tous les élus ont eux aussi, maintenant, l'étude entre les mains et vont pouvoir s'y pencher, afin que nous puissions acter notre choix en toute connaissance de cause en septembre. Je vois l'été arriver avec une certaine sérénité. Non seulement parce que les réactions sont favorables, mais aussi parce que le projet avance. Vite et bien.

Mes journées retrouvent donc un rythme trépidant, j'enchaîne les dossiers avec facilité et plaisir. Maïwenn et moi repassons deux après-midis ensemble pour consulter les premiers devis de réhabilitation des usines. Les prix se tiennent et me semblent corrects, au vu des résultats des travaux des deux chargés d'études. C'est tout à fait conforme à ce qu'ils nous avaient annoncé. Je reçois aussi les différents chefs de service et même des délégués syndicaux qui souhaitent parler du projet avec moi, obtenir certaines précisions. Sauf mauvaise surprise, j'ai le sentiment qu'en septembre, nous pourrons annoncer nos choix définitifs et lancer les travaux dans la foulée. Reste cependant à préciser certaines choses : rapatrier uniquement une partie de la fabrication des emballages ou la totalité ? Opter pour la fabrication des produits de luxe à Ucel ? Libérer ainsi une petite partie de la chaîne de fabrication de Libourne et la consacrer à augmenter la production de la gamme biologique sans avoir besoin de prévoir une extension ?

Ce sont des décisions lourdes de conséquences, mais après tous les échanges que je peux avoir au cours de ces semaines de juillet, j'ai aussi le sentiment de ne pas être seule pour les faire. Et lorsqu'en quittant mon bureau, en un de ces derniers jours du mois, un des délégués syndicaux parmi les plus accrocheurs et les plus revendicatifs me salue en me disant :

- Bravo, Mademoiselle, pour ce projet. C'est tellement rare des chefs d'entreprise prêts à prendre ce risque aujourd'hui. Et je dois reconnaître que c'est bien ficelé. Mais je n'en suis pas étonné de votre part...

- Merci, Monsieur Desclains. Vous m'avez entendue lors du dernier CE. J'estime que nous n'avons plus le choix et je préfère être en avance et organiser cette relocalisation dans les meilleures conditions possibles pour nous tous et pour l'entreprise, plutôt que devoir subir.

- Votre père n'aimait pas subir, non plus...

Je souris légèrement.

- Mon père avait sa vision des choses et des projets, du développement de la société aussi. J'assume ses choix, mais je fais également les miens.

- J'ai eu l'occasion de le constater plus d'une fois ! dit-il en riant légèrement. En tout cas, on vous soutiendra autant que possible. Mais en étant vigilants sur certains points, vous vous en doutez...

- Bien sûr. Et je compte aussi sur vous pour m'alerter.

- Je ne vous reverrai sans doute pas d'ici la fin du mois maintenant, Mademoiselle. Je vous souhaite de bonnes vacances.

- Merci. Pour vous aussi, Monsieur Desclains.

Et je le raccompagne jusqu'au bureau de Lisa.

En revenant dans le mien, mon regard se perd un instant entre les hauts immeubles. Encore trois jours à tenir. Dans trois jours, je serai à Antraigues. Pour trois semaines.

Alexis

La fin du séjour de ma famille se déroule au mieux. Ils continuent les visites et les promenades, profitant aussi du coin baignade avec Noa. Mon oncle m'a "remplacé" certains jours à la pétanque et a bien sympathisé lui aussi avec les "champions". J'ai pas mal de travail en cette fin juillet : entre les familles qui reviennent pour les vacances, le suivi de certains patients, et les touristes. Je vois bien changer les besoins aussi : en cette période, j'ai plus à traiter des allergies, rhumes des foins ou autres, de la petite traumatologie comme j'en voyais passer aux urgences : foulures, voire fractures qu'il faut faire traiter à l'hôpital. Je n'ai, heureusement pour moi, pas de cas aussi graves que le jeune garçon de l'été dernier. Néanmoins, les pompiers font quelques passages à Antraigues, notamment pour faire hospitaliser des personnes âgées se trouvant en déshydratation ou pour évacuer un randonneur ayant fait une sacrée chute dans le pierrier du volcan de Craux. Rien de grave, il ressort dès le lendemain, mais je le vois arriver avec béquilles et bandages. Il termine ses vacances au repos sur sa terrasse, avec un petit suivi de ma part et de celle de l'infirmière tout de même.

Après le départ de ma famille, une semaine passe avant la venue de Pauline et Aglaé. Elles vont comme l'été dernier loger chez moi, mais il arrivera sans doute que je les laisse seules au gîte, quand Layla sera là. Elles vont se côtoyer durant une semaine et ça me fait grand plaisir : nous pourrons les emmener dans d'autres endroits, Layla fera certainement découvrir de nouvelles choses à Aglaé.

Pauline a réservé leur billet de train de longue date et c'est ainsi qu'en ce dernier samedi de juillet, je redescends à Montélimar pour les récupérer. J'en profite pour partir le matin, m'arrêter au magasin de matériel médical pour refaire un stock en compresses, produits désinfectants et autres petites choses dont j'ai besoin pour le cabinet.

Aglaé est ravie de revenir en Ardèche et me saute dans les bras dès sa descente du train. Pauline a le sourire également et je suis bien heureux de la voir ainsi. Le temps fait son œuvre, plus lentement pour elle que pour d'autres personnes, mais j'espère qu'elle aura l'occasion de rencontrer quelqu'un d'autre, quelqu'un de bien, qui l'aimera autant que papa. Elle le mérite.

Sur le retour, Aglaé reconnaît aisément plusieurs endroits, parle du plateau du Coiron et soupire en voyant Antraigues sur son rocher.

- Tu sais, Alexis, le village, il m'a manqué... nous confie-t-elle alors que je m'engage sur la petite route vers le gîte. J'aurais bien aimé y revenir dans l'année, mais c'était compliqué.

- Je sais, Aglaé, dit Pauline. Maintenant qu'Alexis travaille, on verra l'année prochaine si on peut venir durant des petites vacances. S'il est d'accord, bien entendu, ajoute-t-elle en se tournant vers moi.

- Vous pouvez venir autant que vous le voulez, tu sais bien, lui dis-je. Et même si je travaille, il y a de quoi faire à Antraigues-même, en petites balades, le coin baignade si vous venez à la belle saison...

- Et le volcan ! lance Aglaé avec enthousiasme.

- Et le volcan... soupire sa mère en écho.

**

La première semaine de leur séjour se déroule tranquillement. Comme je travaille encore, elles se débrouillent toutes les deux. Elles font les courses au village le matin, je trouve la table dressée pour le repas du midi. Et l'après-midi, elles vont au coin baignade. Elles peuvent faire tout cela à pied. Un après-midi, Aglaé insiste pour faire la randonnée du volcan. Je les conduis jusqu'à la place d'Aizac, cela leur raccourcit quand même l'ascension. Pour la descente, elles pourront la faire entièrement, ce sera moins dur. Quand j'arrive le soir au gîte, Aglaé a complété sa collection de petits cailloux, ayant trouvé ce qu'on appelle une "bombe" dans le cratère du volcan. Elle présente de belles couleurs allant du rouge sombre au mauve foncé, avec une pointe de soufre sur un des côtés.

Nous ne tardons pas à passer à table. La randonnée les a fatiguées, mais de cette saine fatigue. Et elles ont terminé au coin baignade, c'était vraiment une bonne journée pour elles.

- J'ai hâte que Layla soit là, dit Aglaé en piquant dans sa salade de tomates. Je lui montrerai mes découvertes. Est-ce qu'on retournera dans la vallée de l'Ibie, Alexis ?

- On pourra. C'est une jolie vallée, bien plus tranquille que les gorges en cette saison. Et je sens que nous serons bien occupés à la recherche de fossiles... souris-je.

- Bien sûr ! me sourit-elle en retour. L'Ardèche, c'est quand même un super pays. Maman...

- Oui, ma puce ?

- Quand je serai grande, j'habiterai ici. Et toi aussi, hein ? Tu ne resteras pas toute seule à Paris...

Pauline sourit doucement. Les rêves d'Aglaé ne sont pas impossibles.

- On verra. Il y a encore le temps. Surtout si tu fais des études de géologie !

Nous échangeons un sourire tous les deux. Pauline n'aura sans doute pas les moyens de payer de longues études à sa fille, même à l'université. Mais je veillerai à ce qu'elle puisse continuer.

- Comment s'organise-t-on demain, Alexis ?

- Pas de changement particulier. Serge conduit Layla jusqu'ici. Ils vont partir tôt de Paris. Il préfère et c'est aussi la raison pour laquelle il l'amène ce vendredi et non samedi. Pour éviter le chassé-croisé juilletistes-aoûtiens. Même si on a déjà eu droit à une partie du chassé-croisé le week-end dernier. Je pense qu'ils iront directement aux Auches, qu'elle y déposera ses affaires. Il faut que je fasse un saut là-haut aussi. On ira après le repas, ça vous dit ?

- Oui ! s'exclame Aglaé. J'ai hâte de voir la maison de Layla...

- On n'y restera pas longtemps, dis-je. C'est juste histoire de faire un tour, d'aérer un peu.

- On pourra lui laisser un bouquet de fleurs ?

- Je pense qu'elle apprécierait, mais à cette heure, pour trouver des fleurs, ça ne va pas être facile...

- Alors, des branches...

- Ca, on va pouvoir.

Nous terminons rapidement le repas, puis nous montons jusqu'aux Auches. En chemin, il faut s'arrêter une ou deux fois, car Aglaé a repéré de jolies branches. Au final, Layla va se retrouver avec un improbable bouquet, un peu champêtre, un peu forestier. Et cent pour cent ardéchois.

Aglaé reste bouche bée devant la vue qu'offre la terrasse de la maison de Layla, alors que je fais un rapide petit tour. Je rebranche le réfrigérateur, passe quelques minutes dans la chambre à faire le lit. Je remets aussi le chauffe-eau en route, pour que Layla ait de l'eau chaude à son arrivée, si elle veut prendre une douche après la route.

En quittant la maison, je me dis que tout est prêt pour son arrivée.

Et pour les vacances.

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