Chapitre 13

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Layla

Nous arrivons à Paris en milieu d'après-midi. J'ai à peine survolé mes dossiers et courriers divers reçus durant la semaine. Rien de bien urgent et Lisa m'a de toute façon préparé un compte-rendu détaillé. Je décide de ne le lire que demain matin, lorsque Serge me conduira au siège.

Il m'aide à décharger mes affaires et comme toujours sourit avec un certain attendrissement à me voir ramener mes provisions. Puis il repart chez lui. Je commence par mettre au réfrigérateur tout le frais, fromages, charcuteries.

Nadine est passée dans la semaine, elle a fait le ménage en grand, des lessives. Je trouve un lit frais et propre, une panière à linge vide, tous mes vêtements portés avant mon départ repassés et soigneusement rangés. Elle a préparé deux portions de repas, pour mon dimanche et mon lundi soir, mais les a placées au congélateur. Je lui avais donné congé pour la fin de semaine, elle pouvait bien en profiter et ce n'était vraiment pas nécessaire qu'elle vienne samedi. Il est encore tôt et je n'ai pas faim. Nous avons déjeuné en route, dans un restaurant repéré par Serge. Les restaurants d'autoroute ne sont pas terribles et il préfère sortir, faire quelques kilomètres pour rejoindre un village ou une petite ville où il sait pouvoir trouver bien mieux. Il a ses adresses et vérifie toujours avant de partir si les établissements sont ouverts.

Une fois que tout est rangé, je m'installe dans le canapé. J'ai pris grand soin, depuis que j'ai franchi le seuil de l'appartement, de ne pas regarder les murs et les photos : cela me ferait trop mal au cœur. Je me saisis cependant de mon téléphone portable, pour envoyer un message à mes parents et les rassurer sur mon voyage. Une petite enveloppe clignotante m'avertit que j'ai un message en attente. J'ouvre : c'est Alexis qui m'a écrit.

Fébrile, le cœur battant plus vite que je ne le voudrais, j'en prends connaissance. Il est tout simple :

"Coucou Layla, as-tu fait bon voyage ? Es-tu bien arrivée ? Je t'embrasse. Alexis."

Il m'embrasse. Ah ça, il peut, oui ! Oh mon Dieu... Je ferme les yeux, pour me souvenir de notre premier baiser, sur la terrasse. J'en avais trop envie. Je n'ai pas pu résister. Et je crois que j'ai bien fait de forcer un peu le destin. Alexis me paraît parfois hésitant, un peu comme un funambule, à ne trop savoir s'il peut s'engager sur un fil ou pas. Non par crainte de tomber ou d'être incapable d'arriver à franchir la distance, plus parce qu'il se demande si ce chemin-là vaut la peine d'être arpenté.

Malgré nos échanges et la confiance qui s'est instaurée petit à petit, au fil des jours, du moins il me le semble, je ne suis pas parvenue à en apprendre plus que ce qu'il a bien voulu me confier. Je n'ai pas insisté d'ailleurs, mais à plusieurs reprises, j'avais pensé qu'il en viendrait spontanément à me parler de lui. Et notamment lorsque j'évoquais des souvenirs d'enfance ou d'adolescence. Il n'avait pas renchéri à évoquer les siens.

Je rouvre les yeux, son regard flotte encore dans mes souvenirs et son message clignote toujours sur mon écran, attendant d'être classé ou que j'y réponde. Je réfléchis, puis écris :

"Coucou Alexis, je viens d'arriver, il y a une bonne demi-heure. Les provisions sont au frais. Nous avons bien roulé. Et ta journée ? Je t'embrasse aussi. Layla."

Il me répond presque aussitôt, à croire qu'il avait le téléphone à la main ou sous les yeux, et j'en souris, comme si j'étais encore une adolescente vivant ses premiers émois :

"Ca va. Il fait beau. J'ai rejoint les champions. On est sept, alors je fais l'arbitre pour le moment. Mais je crois que Vincent va bientôt nous laisser, je le remplacerai. Demain j'irai peut-être sur le plateau du Coiron, dont tu m'as parlé. Pour comparer les deux plateaux."

Je réponds :

"Méfie-toi des champions, ils vont chercher à tricher ! Bonne idée de balade pour demain. Vas-y sur la journée, ça te fait un peu de route."

**

Je passe une soirée tranquille, je me couche tôt, le voyage est toujours un peu fatigant. Et il me faut être en forme pour demain. Mon lit me paraît pourtant trop grand, trop vide, trop froid. Alexis me manque déjà...

Nous n'avons pas échangé d'autres messages de la soirée. Il était en pleine partie de pétanque et je connais nos champions : s'ils l'avaient vu scotché à son téléphone, ils se seraient moqués de lui. Gentiment, certes, mais tout de même. Et comme nous avons passé plusieurs journées ensemble cette semaine, j'en connais qui vont vite sauter aux conclusions. Et qui les ont peut-être déjà entérinées. Je n'y accorde pas tant d'importance, c'est le jeu du quotidien dans les petits villages. Tout le monde est au courant de tout. L'envers du décor, c'est qu'on peut se dire que les gens sont curieux, voire indiscrets. Le bon côté, c'est qu'on s'inquiète dès que l'un rompt ses habitudes, et notamment les gens qui sont seuls, âgés ou malades. Parfois, on évite ainsi des drames.

Au matin, je me glisse à nouveau dans la peau de la cheffe d'entreprise. Même rituel du petit déjeuner, des préparatifs. Même pensée rapide pour mon volcan et mon village. Et s'y ajoute une pour Alexis.

Et cela fera désormais partie de mon quotidien.

Alexis

Le départ de Layla me plonge dans une quasi déprime. Mes repères ont à nouveau changé. J'ai sincèrement eu très envie de me refermer sur moi-même, le dimanche, puis je me suis forcé à rejoindre les joueurs de boules. Finalement, ça m'a fait du bien d'être avec eux, de me concentrer sur les parties, de ne pas trop penser à Layla et à ce que nous avons vécu.

Je n'arrive pas à définir ce qui s'est passé. Coup de foudre ? Opportunité d'aventure ? Juste un instant d'harmonie ? C'est difficile à dire. Je n'arrive déjà pas à me définir moi-même, en ce moment, à savoir ce que je vais devenir, dans quel avenir professionnel je vais m'engager à l'issue de ce "break", alors qu'une relation amoureuse me soit servie sur un plateau me paraît totalement incongru. Pourtant, je ne peux pas nier que Layla est tout ce qu'il y a de plus charmante. Et pas seulement parce que c'est une très belle jeune femme. Elle est aussi une belle personne, dans sa tête et dans son cœur. Bien loin des chefs d'entreprise requins, ambitieux, prêts à écraser autant leurs concurrents que leurs salariés qui ne rentreraient pas dans le moule. Layla est humaine, soucieuse de faire tourner sa société autant que du bien-être de ses employés.

Le lundi matin, je me fends pourtant d'un petit message pour lui souhaiter une bonne journée et bon courage pour sa reprise. Elle me répond par un grand merci associé à un smiley souriant. Cela me met du baume au cœur avant de partir à la découverte du plateau du Coiron. Je me prépare un repas avec des restes qui traînent, une bouteille d'eau, ainsi que mes affaires de randonnée. Je ne sais pas si je vais marcher, mais Layla m'a assuré qu'il y avait des parcours balisés vraiment partout. Si jamais je trouve un petit à faire, pourquoi pas. Jusqu'à présent, j'ai vraiment apprécié tous ceux que j'ai parcourus, seul ou avec elle.

Je reviens sur Antraigues en fin d'après-midi et monte directement au village. Les joueurs de pétanque sont là, je les rejoins. Ils sont bien contents de me voir arriver, car ils ne sont que cinq. Pour une fois, je décline le petit verre d'après partie, arguant que j'ai des courses à faire. Ce qui est vrai. Puis je rentre au gîte.

Et là, j'hésite à envoyer un nouveau message à Layla, pour savoir comment s'est passée sa journée. A quelle heure rentre-t-elle chez elle ? Peut-être a-t-elle envie de ne pas être dérangée ? Au final, alors que je me prépare une soupe de légumes, c'est sur mon téléphone que s'affiche un message de sa part.

"Alors, le plateau du Coiron ? C'était comment ?"

Je lui réponds que j'ai aimé, que j'ai bien noté que c'était différent de ce qu'elle m'a fait découvrir vendredi. J'ai fait des petites balades, dans les différents villages, mais pas vraiment de randonnée. Le programme de demain ? Ma foi, je n'y ai pas encore réfléchi... Et elle, comment s'est passée sa journée ?

**

Je ne sais pas si c'est une bonne chose, mais nous instituons très vite un petit rituel, Layla et moi, fait de messages échangés, surtout le soir. Je lui raconte ma journée, je lui envoie même quelques photos de mes balades. Elle en est ravie et me remercie à chaque fois de lui faire parvenir ainsi un petit bout de son pays. Je m'efforce alors de faire de belles photos, de rechercher quelques points de vue originaux. Pour lui faire encore plus plaisir et même, pour la surprendre.

Elle me conseille encore tel ou tel site, telle ou telle randonnée. Je ne suis jamais déçu, et j'apprends à encore mieux connaître l'Ardèche. C'est ainsi que je découvre la région de Vallon-Pont-d'Arc et que je m'octroie même la visite de la réplique de la grotte pariétale. C'est superbe, intéressant et émouvant. Puis je passe plusieurs journées dans cette même zone, sur le site gallo-romain d'Alba, au village de Saint-Thomé, je pousse même jusqu'à la vallée du Rhône, mais je fais vite demi-tour : trop de civilisation, trop de véhicules. Un autre monde qui ne me convient pas du tout.

Et peut-être tout simplement plus du tout.

Lorsque nous nous étions rendus à Rochecolombe, Layla m'avait conseillé la visite de deux autres villages : Vogüé qu'elle m'avait montré depuis la route, et Balazuc. Je commence par le premier, un jour que c'était un peu couvert à Antraigues, mais dans la vallée, le ciel est plus dégagé. C'est un très joli village lui aussi, avec un château toujours habité flanqué de belles tours rondes. J'arpente les ruelles, désertes en cet après-midi. Puis je grimpe à flanc de falaise, par un sentier un peu escarpé et j'arrive sur un plateau aux arbres rachitiques, à la végétation de garrigue. J'ai repéré un parcours, une petite randonnée d'une heure environ. Ce n'est pas une randonnée aussi belle que les précédentes, mais j'apprécie cette marche. Je regagne ensuite le village, récupère ma voiture que j'avais stationnée près de la rivière. Le niveau d'eau est assez élevé, conséquence de la fonte des neiges. Mais sans doute que cet été, s'il ne pleut pas ou peu, cela diminuera nettement.

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