Chapitre 4 – Le départ de la dernière chance

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Ce matin-là, quand Ian se leva, il était déjà tout excité à l’idée de repartir là-haut, vers les étoiles. Son petit chat remarqua ce changement de comportement chez son maître, ces derniers temps tout sauf extrêmement joyeux. Ian, qui ne se souciait alors guère de son chat, commençait à préparer ses affaires. Derpy, qui était jaloux du comportement de son maître, en profita pour se vautrer sur la valise de celui-ci. Ian bougonna à l’attention de son chat qui était, pour le coup, extrêmement lourd vis-à-vis de son maître. Ian passa plus de temps que prévu à préparer ses affaires, vu que son chat passait la plupart de son temps à réclamer câlins et caresses. Finalement, après avoir réussi à grand peine à faire sa valise, et surtout, à faire entrer un Derpy réticent dans sa cage de transport, il se mit en route pour le spatioport, en route, enfin, vers de nouvelles aventures.

Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la ville, un ami cher à Ian préparait lui aussi son paquetage. Il était impatient de pouvoir lui annoncer la nouvelle. Son frère, quant à lui, l’observait d’un œil inquiet. Qui sait, si les choses sur Terre empiraient, le reverrait-il ? Thomas avait été séparé trop longtemps de son frère lorsque celui-ci avait entamé sa carrière à l’Union Aéro-Spatiale, et il craignait, de ce fait, de ne plus jamais le revoir.

Les deux frères restèrent de marbre pendant quelques secondes, se jaugeant comme si ils allaient se battre l’un contre l’autre, mais Tod fut le plus rapide. Lorsque son frère le prit dans ses bras, Thomas fut étonné par la rapidité du geste exécuté par son frère.

"- Reviens-moi vite, grand frère, dit Thomas, retenant ses larmes.
- T’inquiète, c’est moi, répondit alors Tod."

Les deux frères mirent fin à l’étreinte, et Thomas accompagna alors son frère à la station de métro aérien. Après une dernière accolade fraternelle et quelques mots échangés, Tod s’engouffra dans la station.

Station dans laquelle un métro était déjà à quai. Et dans celui-ci, se trouvait déjà Ian. Trop absorbé par sa musique pour remarquer le monde autour de lui, il ne remarqua pas, de ce fait, son meilleur ami entrer à l’autre bout de la voiture. La rame se remit quelques dizaines de secondes plus tard en route. Ian choisit aussitôt un morceau assez particulier : House of The Rising Sun, du groupe Frijid Pink. Ce morceau était particulier pour lui. C’était le tout premier morceau qu’avait diffusé Tod lorsqu’il ouvrit son bar, il y a déjà presque deux ans de cela. Ce qui faillit lui faire avoir une larme à l’œil en repensant à cette soirée d’inauguration mémorable, où Tod avait subi l’une des défaites les plus humiliantes que son meilleur ami lui eut infligé sur Counter-Strike.

Quand bien même lorsqu’il y repensait, sur les 20 minutes que durait une partie classique, Ian n’avait pas arrêté de s’acharner sur son meilleur ami, le faisant presque ragequit* la partie. Ian se débrouillait tellement bien à ce jeu qu’il était polyvalent ; tantôt sniper, tantôt mitrailleur, maniant aussi bien le fusil d’assaut que le fusil à pompe, il était très bon à ce jeu, au point d’avoir un très bon niveau dans les parties en ligne. Il avait même, quelques semaines après son licenciement, presque remporté un tournoi national, en finissant dans les trois premiers du classement. La dotation remportée lors de ce tournoi lui avait alors permis, à lui-même et à Tod, de finaliser les travaux du bar.

Sa playlist changea pour une reprise de Senbonzakura par le groupe japonais Wagakki Band. Un groupe qu’il avait pu voir en concert lors d’une convention. Un groupe hors du temps, qui proposait des versions traditionnelles de chansons parfois empruntées à la culture pop japonaise contemporaine. C’est ce qu’il aimait chez eux, le mélange des styles.

Une fois encore, la voix synthétique coupa court à ses rêveries.

"Secteur 1, Orion" annonça la voix désincarnée.

Ian sortit de la rame, sans toutefois remarquer son meilleur ami, qui lui, avait déjà filé. Il resta quelques secondes sur le quai, observant le grand bâtiment juste devant lui. L’immensité de cette structure, d’où partait actuellement de petits vaisseaux de commerce, lui faisait rappeler sa première mission. Il prenait plaisir à admirer la vue qui s’offrait à lui. Mais avant de sortir de la station, Ian prit une grande inspiration, et sélectionna un dernier morceau, As If The World Wasn’t Ending, de Sonata Artica. Plutôt ironique, le titre de cette chanson, pensa Ian, sur le coup. La situation sur Terre empire de plus en plus, et le commun des mortels agit comme si le monde tournait comme si tout allait mieux.

Et pendant qu’il laissait divaguer son esprit, à l’intérieur du spatioport, Meyers était en visioconférence cryptée avec les mêmes interlocuteurs que la dernière fois. A la vue de son visage, le général-en-chef semblait passablement agacé. Il s’adressa aux protagonistes, non sans une pointe de colère dans sa voix :

"- Bon Dieu, mais que voulez-vous de plus ?" s’indigna Meyers, visiblement agacé par cette réunion impromptue. "On ne va pas les surveiller à mort, non ?"

Le général avait, visiblement, autre chose à faire que de perdre du temps avec des personnes aussi malhonnêtes. Un des membres lui répondit :

"Que vous surveillez vraiment les faits et gestes de Walker et de son équipage. Vous savez les enjeux que cela représente, non ?"
Son ton était froid, sec, cassant, celui d’un magnat de l’entreprise. Ses propos agacèrent visiblement davantage le général, qui répliqua derechef, coupant de fait son interlocuteur :

"N’essayez pas de jouer les bons samaritains pour vous racheter une conduite, Benamran, vos multiples manquements à la sécurité commis par votre entreprise ont déjà provoqué des catastrophes inimaginables, et vous voudriez, en plus, vous assurer de racheter une bonne conduite si cette mission aboutit ? Ne me faites pas rire… On devrait vous faire croupir dans l’une des stations spatiales de détention terriennes pour votre crime contre la Terre, et vous voudriez, en plus, que je me plie à chacune de vos exigences ? On parle du destin de notre espèce, de la planète, et vous, vous me parlez de profits ! Vous me dégoûtez vraiment, Benamran. Je ne sais pas ce qui m’empêcherait de vous faire enfermer, sur-le-champ !"

L’intéressé, nommé Benamran, après quelques secondes de silence, lui répondit, non sans une pointe de sarcasme :

"Ce qui vous empêche d’appliquer des poursuites à mon encontre, Meyers, est que je finance en grande partie cette opération." Il ponctua sa phrase d'un rictus. Pas de financements, pas de mission."

Il esquissa un sourire narquois à la limite du sadisme, puis reprit :
"Tenez-vous en à nos directives, Meyers, et tout ira bien."

La visioconférence prit soudainement fin. Meyers tapa du poing sur la table. C’en était trop. D’un côté il avait à cœur de défendre l’humanité et de ne pas la laisser périr, de l’autre, il devait se taper les personnes responsables de sa potentielle extinction. Visiblement, une épée de Damoclès s’abattait sur lui…

Pendant ce temps, Ian avait été accueilli par une secrétaire au ton un peu froid, avant d’être redirigé vers le quai d’embarquement 1. C’était sur ce quai que devait attendre Meyers, ainsi que les membres de son nouvel équipage. Après avoir confié un Derpy particulièrement stressé à l’idée de quitter son maître quelque instants, ainsi que ses effets personnels au service "bagagerie", il se dirigea, non sans un peu de musique, vers le quai. Il alla chercher sur son baladeur un morceau de metal symphonique, Planet Hell, du groupe finlandais Nightwish. Poussant le volume à fond, il s’imaginait encore une fois au cœur d’une bataille spatiale… jusqu’à ce que, en plein milieu de la musique, une voix froide et autoritaire le rappelle à la réalité :

"- Walker, Ian Walker ?"

C’était le général en chef, qui, au détour d’un couloir, avait aperçu Ian. Celui-ci s’empressa de baisser le volume de son baladeur et de lui répondre :

"- Général Meyers ? Vous n’allez pas l’air d’aller bien." lui répondit Ian. Celui-ci répliqua :
"- Trois fois rien, Walker, disons que certains partenaires me mettent un peu la pression.
- Je comprends, général", rétorqua Ian.

Après un court silence, le général-en-chef enchaîna :

"Je vous ai mis les meilleurs éléments de l’Unité Aéro-Spatiale sur cette mission pour optimiser nos chances de réussite. Si l’on échoue, Dieu seul sait ce qu’il adviendra de l’humanité…"

La voix du général se faisait lourde, presque pesante, comme si il devait supporter ce lourd fardeau que d’envoyer des hommes et des femmes à la recherche d’une planète qui n’est, après tout, peut-être pas viable pour l’humanité…

Les deux hommes firent face à une lourde porte en métal. Celle-ci s’ouvrit pour laisser place à un vaisseau d’une taille assez modeste, et huit membres d’équipage, dont l’un d’eux avait une silhouette familière. Trop familière pour Ian, qui s’exclama d’une voix enjouée :

"- C’est pas vrai… C’est toi, Tod ?" cria presque Ian, d’un ton visiblement marqué par la surprise.

"- Eh ouais mon pote, c’est bien moi !" répondit l’intéressé.

Les deux acolytes se prirent dans les bras quelques secondes avant de rompre l’étreinte. Meyers, visiblement enjoué de ces retrouvailles, prit la parole :

"Je vois que vous connaissez M. Mavrine, qui sera votre second à bord de l’Orion", annonça le général.

Ian ne put s'empêcher de sourire. Le général continua :
"Permettez-moi de vous présenter vos autres membres d’équipage…"

"Attendez... Parce que vous me confiez l’Orion, en plus ?" coupa Ian, visiblement enjoué par la nouvelle. Le général-en-chef lui répondit :
"A mesures exceptionnelles, moyens exceptionnels".

Le général se tourna à présent vers un homme mince, aux cheveux noirs coupés très courts, habillé avec un tee-shirt d’un groupe de metal, et un jean sombre. Ian l’observa. Il venait de sortir de promotion, celui-là, pensa-t-il.

"Voici Nolan Plaegis, votre nouveau machiniste", continua Meyers. "Il sera habilité à résoudre tous les problèmes mécaniques que l’Orion pourra traverser", acheva le général.

Ian lui adressa un "Enchanté" auquel Plaegis lui répondit par un simple hochement de tête qui se traduisait par "De même".
Meyers continua les présentations. Le grand brun ténébreux aux yeux bleus se présenta comme Tyrion, navigateur de bord. Impossible de savoir pour l’instant si Tyrion est son pseudonyme ou son vrai prénom, pensa Ian.
Il y eut également Thomas Anderson, un blond aux yeux marron, qui était interprète. Ian l’avait cotoyé à l’Académie. Un type surdoué, qui ne prenait pas les gens de haut, capable de parler une vingtaine de dialectes et langues extra-terrestres, mais aussi les huit langues vivantes terriennes encore pratiquées. Au moins quelqu’un de très utile, divagua Ian.

A ceci s’ajoutait une infirmière, nommée Mara, une jeune femme au physique qui ne laissait pas indifférent, qui allait bientôt sur ses 30 ans, estima Ian ; un cuisinier, nommé Mark, blond aux yeux verts, meilleur ouvrier de France, Jake et Dola, artilleur et soldat, le biologiste réputé de l’U.A.S, Bruce Benaman, et enfin…

"IANINOUCHEEEEEEEEEEEEEEEEEEET !"

La personne responsable de ce surnom était un petit bout de femme de 25 ans à peine, faisant 1 mètre 45 les bras levés, brune et de type planche à pain. Lorsqu’Ian identifia la source de ce cri, il poussa un grand soupir. Si il y avait une seule personne qu'il ne voulait plus voir dans ce hangar, c’était bien Miranda Bates.

"Général, je ne crois pas qu’elle soit…"
"Elle s’est proposée comme volontaire. Je me suis dit que ça fera toujours quelqu’un en plus.", ajouta le général. "Et puis elle a témoigné en votre faveur lors du procès contre votre ancien second"

Ian finit par abdiquer en haussant les épaules. Miranda et Ian s’étaient côtoyés lors de différentes missions spatiales, et Miranda était ce qu’on pouvait définir par "catastrophe ambulante". A chaque fois qu’un pépin survenait, on retrouvait mystérieusementa Miranda dans les parages. Ian espérait sincèrement qu’elle n’allait pas causer plus de problèmes qu’elle en eût déjà causés par le passé.

"Voilà votre équipage, commandant Walker. C’est tout pour le moment. Un briefing d’avant départ aura lieu ce soir à 19 heures. Votre présence à tous y est obligatoire. Puis demain matin à 10h, vous partirez comme convenu." déclara le général aux membres d’équipage. "Vous pouvez disposer" ajouta-t-il.

Si l’impatience avait une échelle, celle d’Ian exploserait à coup sûr. Lui qui n’avait plus goûté au vide spatial depuis près de deux ans, allait pouvoir à nouveau avoir la tête (littéralement) parmi les étoiles.

Après avoir passé une heure à arpenter les différents couloirs, il trouva finalement un pont inutilisé. Par chance, celui-ci se trouvait tout en haut du bâtiment, d’où Ian profiterait d’une excellente vue. Ouvrant les portes du pont, la tentaculaire ville se dessinait devant ses yeux. De là où il était, il pouvait apercevoir les grandes avenues, les haut buildings, et, d’habitude cachés par la hauteur des gratte-ciels, la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe. Il s’assit au bord de l’ouverture béante, sortant son baladeur et son casque, quand une voix interrompit son geste :

"Magnifique vue, non ?"
Le général Meyers se tenait derrière lui. Ian lui répondit :
"Elle est excellente, mon général."
Meyers sourit en entendant Ian. Il s’assit à côté de son protégé.
"J’aime bien des fois venir ici. Ce pont sert surtout pour les vaisseaux diplomatiques, donc il est rarement utilisé."

Le général paraissait fatigué, comme si mettre cette mission sur pied était digne d’un des douze travaux d’Hercule.
"Je vous aime bien Walker, c’est pour cette raison que j’ai pensé à vous plutôt qu’un autre. Vous êtes droit, vous avez toujours su mener à bien une mission, même si elle était presque impossible."
Ian répliqua :
"Merci général, ça me touche ce que vous me dites, mais là, c’est plus du presque impossible, c’est carrément vers une utopie que vous m’envoyez."

Meyers acquiesça en laissant échapper un petit rire :
"Je le sais bien, mais qui ne tente rien n’a rien. Qui sait, on risque de tous crever parce que cette foutue planète que vous trouverez ne pourra pas nous accueillir. Mais au moins, on aura essayé."
Il se leva et Ian fit de même. Le général balança une carte d’accès à Ian, qui la rattrapa derechef.
"Vous qui aimez les étoiles, vous pourrez vous amuser en allant à l’observatoire qui se trouve sur le toit, ce soir. Il est inutilisé depuis l’année dernière, parce qu’il a été remplacé par un autre à l’autre bout de la ville. Mais ses équipements sont encore en excellent état. Bon seeing, commandant Walker", ajouta t'il avec un clin d'oeil.

Il quitta la pièce en laissant Ian seul à sa contemplation.

Le briefing ne dura pas plus d’une heure, Meyers expliquant juste l’évolution de la situation à Ian. De nouveaux avant-postes terriens avaient été établis, des comptoirs et des ambassades étaient ouverts sur différentes planètes. Meyers présenta la planète cible, au nom de code UDFj39546284. Classée comme exoplanète potentielle, elle avait une composition de l’air semblable à la Terre, tout ce qu’il fallait pour que de la vie apparaisse. Le seul problème est qu’on ne savait pas si une forme de vie complexe s’était formée sur cette planète. D’où la présence d’un biologiste et d'un scientifique parmi les différents membres de l'équipage.

Après un repas assez copieux, Ian se rendait à l’observatoire, quand Tod l’interpella :
" -Tu vas où mon pote ?
- A l’observatoire", répondit Ian.
"Je peux venir avec toi ?"

Ils prirent donc un ascenseur vers le toit. Lorsqu’ils y accédèrent, l’immensité de la ville se profilait devant eux. Elle était encore plus belle de nuit.

Cette nuit-là, Ian et Tod firent de belles observations, et parmi elles, la planète vers laquelle ils allaient se diriger. Il n'y avait plus qu’à espérer que ce soit la bonne.

  • *Ragequit : contraction de rage et de quit (quitter). Terme utilisé pour désigner le fait de quitter de rage un jeu en pleine partie, le plus souvent lorsque l’on perd.

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