Je n’en peux plus, soupirait Fabien, alors qu’il arpentait lourdement les couloirs du métro. Ce travail aura ma peau.

Debout, compressé contre ses semblables dans le métro; cette machine infernale qui dévorait, puis recrachait inlassablement ces corps vidés de tout espoir; Fabien songeait à sa vie, qui avait perdu la piquante saveur d’un idéal qui s’était enfui avec les âges. Il avait changé. Son corps autant que son coeur avaient suivi la disparition de son ambition, il s’était ramolli. Rien d’autre ne comptait plus que de laisser le temps passer, jusqu’à la libération finale.

Bousculé par ses voisins qui se compressaient davantage, avec l’entrée de nouveaux voyageurs dans ce train du désespoir qui circulait dans l’enfer du monde, il se sentait oppressé. Il n’avait qu’une envie, hurler, crier, se débattre et se battre pour faire exulter cette pression accumulée d’une vie sans but ni saveur.

— Pardon, s’excusa-t-il d’avoir touché l’épaule de son voisin bien trop proche, qui l’avait serré contre la vitre opaque du métro.

À quoi bon s’énerver. Nous sommes tous dans cette même galère, qui hurle sur ses rails de fer.

Une voix stridente emplit soudain le compartiment silencieux de ces êtres menés vers une destination toute tracée pour eux.

— Mesdames et messieurs, suite à un incident grave intervenu sur la ligne, ce train s’arrêtera à la station Concorde. Nous vous prions de bien vouloir descendre sur le quai et emprunter les correspondances sans délai.

Un murmure devint une légère onde de désapprobation; le grognement sourd d’une foule qui n’en pouvait plus de subir, tout le temps, et ne jamais pouvoir exprimer son agacement. Pourtant, arrivés à destination, tous descendirent en silence, et se dirigèrent d’un pas cadencé vers les correspondances ou les issues qui leur permettraient de rejoindre, le plus rapidement possible, leurs destinations.

Si je vais à pied à la station Palais Royal, je pourrai rejoindre la ligne 7 qui m’emmènera à Chatelet. Je prendrai alors le RER A et sortirai à Nation. Je finirai le trajet à pied. se disait Fabien, tout en consultant le plan de la RATP sur son smartphone.

Il habitait un petit appartement au niveau de la Porte de Vincennes. L’option qu’il avait choisie lui permettrait ainsi de rentrer chez lui, tout en faisant un peu de sport, puisqu’il n’en faisait plus qu’à de rares occasions, comme celle-ci.

En cette fin de printemps, où la chaleur animait les rues et faisait perdurer la vie, cette promenade improvisée était finalement la meilleure décision qu’avait prise Fabien. Respirer l’air, bien que pollué par le ballet des innombrables voitures qui arpentaient les artères de la ville, redonner des couleurs à son visage blafard dû à cette trop longue exposition à la lumière artificielle des écrans et des néons.

Il sentit une joie improbable l’inonder, lorsqu’il réalisa que la vie existait, dehors, et qu’elle pouvait se dérouler avec lui. Il avait le droit d’être acteur de la vie, en choisissant de ne plus s’enterrer dans le colon de la ville.

Il décida de traverser le Jardin des Tuileries, plutôt que de le longer, et il choisi finalement qu’il rejoindrait Châtelet à pied.

Il redécouvrit ce jardin, dont il avait oublié l’existence. La grandeur des allées était surplombée d’arbres immenses qui les encadraient comme un tableau vivant. Le bonheur des Parisiens se lisait ici comme l’antithèse de sa propre vie. Tout était beau, vivant, et paré de l’amour des passants qui s’enlaçaient, et qui ne prêtèrent attention aux claquements qui retentissaient au loin, jusqu’à ce que cette vague les atteigne.

Il était sous les colonnes de l’Arc de Triomphe du Carrousel, et faisait face à la pyramide du Louvre, lorsque les hurlements et les cris prirent cette forme particulière d’une panique incontrôlée qui se dispersait pour survivre.

Les attitudes se métamorphosèrent, lorsque la menace d’une horrible terreur qui venait, saisit les passants en plein coeur.

Trois hommes avaient surgi d’une puissance berline, et déversaient sur la foule des touristes, une pluie de métal qui pénétrait et déchirait les chairs.

Fabien était pétrifié devant l’horreur. Il allait fuir pour sauver sa vie; mais son regard fût attiré par une magnifique femme, dont le rubis de la robe écumait de sa bouche. Elle était gravement blessée au cou.

Les secondes furent une éternité. Il voyait les corps s’écrouler, et le silence les emporter.

Il suffisait de trois secondes sans aide pour que cette femme soit emportée par son dernier sommeil.

Fabien fut porté par une force, divine, qui lui fit braver le métal qui sifflait autour de lui. D’un réflexe, il comprima avec force l’artère de cette femme, et la couvrit d’un regard bienveillant.

— Tout va bien se passer, lui dit-il, sans conviction.

Ces trois secondes furent les plus longues, mais sa bravoure sauva cette vie, et donna un sens à celle de Fabien, qui détruisit la peur, alors qu’une patrouille Sentinelle mit rapidement fin au carnage.