Aïnou

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Ce matin, Aïnou se lève avant le soleil. Il fait sa toilette sans traîner, s’habille et enfile ses bottes, attrape son arc et son carquois. Ada, son père, l’attend déjà dehors. Aïnou embrasse sa mère et le rejoint. Il est heureux. L’air frais sent encore la nuit, à l’est, l’aube fait mûrir l’horizon. Son père lui rend son sourire et pose une main fière sur son épaule : ce matin, il va lui apprendre à chasser.

En silence, Aïnou suit son père dans la grande prairie. Ils marchent longuement, l’oeil aux aguets. Dans leur dos, le soleil s’est levé et les hautes herbes brillent de reflets d’or. La rosée mouille ses mollets nus. Enfin, Ada s’arrête. Du doigt, il pointe quelques buissons abrités dans un creux de terrain. Aïnou place sa main au dessus de ses yeux, comme il a appris, et devine quelques paires de grandes oreilles. Son père ne se presse pas, ils sont contre le vent, il lui explique comment en saisir le sens, l'importantce de la patience et aussi de quelle manière placer ses genoux. Il guide son œil et sa main et Aïnou tend l’arc de toutes ses forces. Il décoche et la flèche s’envole, rapide comme le faucon qui plonge sur sa proie. Elle frôle sa cible de peu mais les lièvres apeurés ont plongé dans leurs terriers, tout est à recommencer. Aïnou est déçu mais son père le rassure, on ne devient pas un grand chasseur dès la première flèche.

Ada à tôt fait de trouver un nouvel animal. Il connaît tous les terriers et les tanières de la grande prairie. Il place sa main sur le ventre de son fils, il doit apprendre à respirer, à être calme, à guetter le bon moment. Après avoir pris de grandes inspirations, les yeux fermés, Aïnou se sent prèt, cette fois son tir atteint son but. Il saute de joie et se réjouit, la fierté se lit dans les yeux de son père. Le lièvre pèse lourd sur son épaule mais il tient à le porter lui-même. C’est son trophée. Mère aussi sera fière de sa chasse, elle le cuisinera avec les herbes, celles qui piquent un peu la langue. Maintenant il est grand, il n’a plus peur de ce qui pique. Sur le chemin du retour il repense aux mots de son père. Pour être un grand chasseur, il faut s’exercer. Il décide qu’il retournera chasser tout l’après-midi pour devenir le plus grand des chasseurs.

Le soleil est haut dans le ciel quand Aïnou, le ventre plein, retourne dans la grande prairie. Il fait bien attention au vent et aux traces, bientôt il tend son arc, vise et tire. Une première proie s’écroule, puis une seconde, bientôt une troisième les rejoint. Aïnou rayonne de fierté, voilà qu'il devient un grand chasseur. Emporté par sa joie, il repère un quatrième lièvre et se prépare à le tuer, lui aussi. Un dernier avant de rentrer. Soudain, alors qu'il glisse la corde dans l’encoche de sa flèche, un renard sort d’un talus, tout près de lui. L’enfant s’arrête et observe le majestueux animal s’approcher de lui. Le renard vient s’asseoir face à lui et regarde les trois lapins qui gisent à ses pieds avant de prendre la parole.

“Que fais-tu, Aïnou ? Tu n’as pas besoin d’autant de viande, tu n’arriveras même pas à tout porter jusqu’à ton feu. Si tu tues tous les lapins, qu’est-ce que je vais manger, moi ? Le grand chasseur respecte tous les animaux de la grande prairie, ainsi va l’équilibre de la nature, ainsi nous vivons en harmonie. Je te laisse un lièvre, tu vas me donner les deux autres pour nourrir ma famille et mes petits, car cela est juste.”

Aïnou, tout penaud, accepte et regarde le renard filer en emportant son dû, lui aussi retourne vers le tipi, le lièvre sur l’épaule. Ses parents le félicitent pour sa chasse et sa mère lui montre comment préparer la viande avec les herbes qui piquent tout en lui racontant des histoires. Fatigué par sa longue journée, il file se coucher en repensant à la leçon du renard.

Le lendemain, Aïnou se réveille dès que les oiseaux se mettent à siffler. Il se débarbouille et se dépêche de s’habiller, attrape sa sagaie et son filet. Il embrasse sa mère et rejoint son père qui l’attend. Le ciel s’éclaircit doucement et la nature brille de rosée comme si les étoiles étaient tombées du ciel. Ada lui sourit et ébouriffe ses cheveux de jais. Aujourd’hui, il va lui apprendre à pêcher.

Aïnou suit son père jusqu’à la rivière. Ils la longent un moment jusqu’à ce qu’elle calme son flot et élargisse son lit. Ici il y a beaucoup de poissons, on les voit parfois glisser furtivement, comme des ombres sous la surface. Ada lui explique comment repérer les reflets, anticiper et attendre, encore attendre. Il lui montre comment lancer son filet et sa sagaie, l’angle et l’anticipation. Lorsque Aïnou se sent prèt, il retrousse sa tunique et entre dans l’eau jusqu’à mi-cuisse. Il n’y a pas trop de courant mais elle est froide, elle arrive tout droit des hautes montagnes aux cimes enneigées. D’une main sous l’eau, il dirige son filet avec lenteur, pour rabattre les poissons sans les effrayer. Il tient sa lance au dessus de l’épaule, à l'affût.

Un mouvement rapide sous l’eau, il hésite, repense à la patience, il attend. Le poisson revient, plus calme, il s’approche… Aïnou plonge sa sagaie dans l’eau sans une éclaboussure, d’un geste fluide et rapide, et la ressort juste après, une belle truite embrochée au bout. Il l’agite vers son père et court le rejoindre sur la rive. Il ne sent plus vraiment ses pieds mais son cœur bat à vive allure. Ada admire le poisson et complimente son fils pour sa patience et sa précision, nul doute qu’avec de la pratique, il sera un grand pêcheur. Aïnou veut retourner dans la rivière mais il a fait fuir tous les poissons en courant pour sortir de l’eau. Sur le chemin du retour, Aïnou décide de revenir pêcher dès cet après-midi.

Le soleil brille et scintille en mille reflets sur l’eau paisible. De grosses libellules survolent la rivière dans des éclairs bleus irisés. Aïnou remonte sa tunique sur ses hanches et entre dans l’onde glacée. Il avance en serrant les dents et se tient au milieu du cours d’eau. Il laisse son filet onduler comme un piège d’algues. De la pointe de sa lance, il attrappe un poisson, puis un autre, et ainsi de suite. À chaque fois il sort les déposer sur la berge sans bruit ni éclaboussures. Les truites et les ombles s’accumulent jusqu’à former un petit tas rutilant d’écailles. En grelottant et frictionnant ses jambes bleuies par le froid, Aïnou s’encourage. Encore un dernier et il rentrera, il faut souffrir un peu pour devenir un grand chasseur. Il s’apprête à retourner à la rivière lorsque, glissant à la surface de l’eau, une petite tête brune et moustachue s’approche de lui. La loutre se hisse sur la rive devant l’enfant étonné et observe le fruit de sa pêche de ses beaux yeux sombres.

“Que fais-tu, Aïnou ? Tu n’as pas besoin d’autant de poissons. Regarde, il y en a bien trop pour que tu puisses les ramener jusqu’à ton feu. Si tu pèches toutes les truites, qu’est-ce que je vais manger, moi ? Le pêcheur sage respecte tous les habitants de la rivière, ainsi va l’équilibre de la nature, ainsi nous vivons en harmonie. Vas, je te laisse deux poissons et je garde les autres pour nourrir ma famille et mes petits, car cela est juste.”

Un peu honteux d’avoir agi aussi égoïstement, Aïnou ramasse ses poissons et retourne au tipi familial. Ses parents, bien sûr, ne tarissent pas d’éloges, leur fils est un excellent pêcheur. L'enfant retrouve vite le sourire et aide son père à vider les poissons puis à les embrocher sur de longues baguettes de saules. Lorsqu'ils les placent sur le feu, l'odeur de leur chair grillée le fait saliver d'avance. Après le repas et la légende au coin du feu, Aïnou va vite se coucher au chaud sous ses couvertures tout en repensant à la leçon de la loutre.

Le lendemain encore, Aïnou se lève aux aurores. La toilette est expédiée, il attrappe un bol en osier tressé, embrasse son père et sort rejoindre Pohana, sa mère. Elle est là, devant le tipi, observant quelques nuages à l’est se parer d’ors et de rouges comme les érables quand l’été est fini. Elle se tourne vers son fils et lui caresse la joue en souriant. Ce matin, elle l’emmène en forêt pour lui apprendre à cueillir les herbes et les baies.

Aïnou marche près de sa mère, elle s’arrête souvent, lui montre chaque champignon et chaque fleur sauvage. Elle lui explique comment s’orienter grâce aux ombres des arbres et aux mousses, lui indique les roches et les troncs qui sortent de l’ordinaire et qui lui servent à se repérer. Elle lui apprend à laisser des traces de son passage, à l’aide de petits cailloux, de branches et de pommes de pins. Elle connaît tellement de choses, Aïnou ouvre grand ses oreilles pour n’en point perdre un mot. Pohana est fière de l’attention de son fils, elle prend bien le temps de lui montrer quelles plantes sont bonnes à manger, lesquelles soignent et lesquelles tuent. Elle sait que ça fait beaucoup de choses à retenir mais elle aura encore de nombreuses occasions de lui enseigner ce qu’elle sait. Pour l’heure elle l’emmène vers ses meilleurs lieux de cueillette.

Aïnou est ravi. Il goûte aux myrtilles, aux airelles et aux premières mûres acidulées. Sur l’arbre c’est encore meilleur. Il court d’un buisson à l’autre et très vite, son bol se remplit sous le regard attendri de sa mère, impressionnée par son efficacité et son écoute. Si il continue comme ça, il deviendra un formidable cueilleur et connaîtra la forêt par cœur. Le soleil a bien entamé sa course et il est l’heure de rentrer. Aïnou suit sa mère, son bol débordant de baies entre ses mains, du regard il inscrit le chemin dans sa mémoire, bien décidé à revenir cueillir de nouveaux fruits dès l’après-midi.

Le soleil éclabousse les mousses et les sous bois de ses longs rayons où volent les pollens. La bouche et les mains violettes, Aïnou termine de remplir le quatrième bol qu’il a emporté avec lui avant de retourner dans la forêt. Il a le ventre lourd de fruits mûrs et somnole dans l’air tiède de la fin d’après-midi. Il n’entend pas le pas lourd s’approcher en froissant les arbustes et sursaute quand l’ours apparaît et pointe son long museau vers lui. Il recule tandis que l’immense fauve vient renifler les bols garnis de fruits sombres gisants sur le sol.

“Que fais-tu, Aïnou ? Tu n’as pas besoin d’autant de fruits. Tu as vu tous ces bols, tu ne réussiras jamais à les ramener jusqu’à chez toi sans les renverser. Si tu cueilles toutes les baies, qu’est-ce que je vais manger, moi ? La forêt est comme une mère qui nourrit tous ses enfants et le bon cueilleur doit la respecter, elle et chacune des vies qu’elle abrite, ainsi va l’équilibre de la nature, ainsi nous vivons en harmonie. Tu peux garder un bol plein mais renverse les autres au sol que je puisse nourrir ma famille et mes petits, car cela est juste.”

Impressionné, Aïnou obéit à l’ours et étale le contenu des autres bols sur les feuilles mortes et les mousses. Il empile les récipients vides en dessous du plein et s’éloigne à reculons, en silence. L’ours mais aussi des oiseaux, rongeurs et insectes, viennent prendre leur part dans le tas de baies abandonné. Rien ne sera perdu, se dit-il avant de filer retrouver ses parents. Sa mère sourit gentiment quand il lui rend ses bols. Avant de passer à table, elle l’envoie se débarbouiller le menton et les doigts. Lorsqu’il se couche enfin, Aïnou se remémore les conseils de ses parents, mais aussi les mots du renard, de la loutre et de l’ours. Cette fois, il croit bien, il a enfin compris la leçon.

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