Perfection rampante - 1

6 minutes de lecture

Et la Vox racontait :

« La Reine est seule à posséder les clés des réserves royales – et je dis clé mais au fond personne ne sait ce qui ouvre ces réserves, on sait juste qu’elles se situent quelque part au fin haut du palais. Ce lieu, les enfants, est nimbé d’une aura de légende et seuls des Aers triés sur le volet peuvent y pénétrer. Inutile de vous dire qu’il faut être très apprécié de sa majesté pour y mettre le début d’un orteil. Inutile de vous dire, non plus, qu’il s’y trouve des trésors que nulle n’oserait-même imaginer ! Des matériaux nobles en quantité : du bois d’arbres anciens, d’essences disparues, présentant des teintes et des duretés inédites ; des métaux en tout genre, comme l’or, l’argent ou d’autres, dont les noms ont été oubliés, mais qui présentent des propriétés incroyables ; des matières exotiques, lisses et légères, mais solides comme la roche !

Mais ce n’est pas tout, petits curieux, imaginez donc tous les objets anciens qui s’y trouvent entreposés : des objets complexes, auxquels aucun perinsident n’oserait rêver ; des objets si bien manufacturés qu’ils seraient impossibles à reproduire dans notre belle Forge ; des objets presque divins – voir tout à fait divins !

Tout ça, c’est juste pour les beaux yeux – enfin, ce qu’il en reste – de notre Reine. Tous ces meubles anciens manufacturés avec soin ; ces objets usuels aux reflets dorés, mille fois plus efficace que nos piètres outils ; ces merveilles technologiques à peine imaginables ; et puis ces véhicules d’autres âges, faits pour reposer sur Terre ; mais aussi… ces armes terribles, capables de ravager des portions entières de Cité…

Quoi ? Pourquoi tout cela est réservé à la Reine, demandez vous ?

Mais enfin ! Vous n’écoutez rien de tout ce qu’on vous raconte à longueur de journée ? Parce que c’est dangereux tiens !

Toutes ces merveilles ont déjà suffisamment blessé le monde et même les humains. La Reine les garde donc sous clé – ou qu’importe ce que c’est – pour nous protéger contre… nous même ! »

Je te vois... Tu n'es qu'un fin rayon de soleil qui traverse le trou des latrines. Tu sais, je ne m'en éloigne jamais. Parfois, je passe la journée assis à proximité de cette mince ouverture, pour avoir un peu d’air et un peu de lumière. Et pour t'apercevoir, Ciel.

Dis leur que Bane Alpek Artes, les appelle. Portes ma voix vers tes frères et soeurs, je t'en conjure. J'ai à leur parler…

Ô Dieux, entendez mon humble appel. Je n’ai aucune offrande à vous donner, je n’ai aucune richesse, ni nourriture, ni rien. Sinon ces derniers vêtements.

Mais je n’ai aucun moyen pour les incendier, je ne peux donc même pas vous les offrir.

Je n’ai que mes pensées, je n’ai plus que mes prières à vous confier.

Je suis enfermé dans ce lieu de perdition, au cœur d’une cité interdite. Les sans-castes la peuplent, ils m’ont pris aux miens, m’ont arraché à ma caste. Je vous avoue que je ne comprenais pas, au début, pourquoi vous les avez laissé vivre. Mais maintenant je crois que j’ai enfin compris. Vous n’êtes pas responsables, ce sont les Ter et les Aers qui ont décidé de les garder en vie ; comme on garde en vie les araignées, en espérant qu’elles aient une quelconque utilité ou parce que les écraser paraitrait encore plus répugnant !

Je les connais maitnenant ! Je les côtoies sans cesse, elles peuplent mon antre.

Oui ! C'est aussi la leur, je sais, mais je les en prive ! Je les ai toutes saisies et pressées jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien… mais elles sont capables de réapparaitre à chaque instant, je crois qu'elles naissent de l’obscurité.

Ô Dieux, comment puis-je vous satisfaire et vous servir ? Comme ceci ? Enfermé dans cette cellule sans fenêtres ? La seule lucarne est ce minuscule trou de latrines, qui ne laisse passer qu’un fin filet d’air et quelques sons. Mais par lequel je peux te voir, Père, Ciel.

Comment vous vénérer ? privé de mon sceau et des outils de ma caste ?

Je ne peux que me coucher ici et caresser le contour des latrines, en essayant de voir les nuages qui se dessinent au travers du trou. C’est comme être en contact avec vous...

Pardonnez-moi ! Je devais ériger des monuments en vos noms !

Comprendre les mystères des anciennes constructions en vos noms !

Offrir mon être à votre vénération ! Prendre femme et gonfler les rangs du Peuple en vos noms !

Mais ces monstres m’en ont privé ! Ils m’ont pris, alors que je voulais révéler la vérité aux miensl Celle que vous connaissez déjà : que les sans-castes peuplent depuis longtemps nos ponts ! Infâmes infiltrés.

Cette horrible vérité qui vous a fait dépêcher le punisseur, l’inversé ! Oui, je l’ai bien compris, vous voyez !

Il a interrompu la cérémonie pour vous ! Je sais que c’est vrai !

Pour empêcher ces menteurs, ces dissimulateurs de se confondre avec nous. Se faire passer pour d’honnêtes citoyens !

Mais alors pourquoi le Réalien, pourquoi l’homme le plus puissant du reinaume ? Dites-moi ! Quel était donc son crime ?

Je sais que vous n’avez aucun compte à me rendre ! Ô Dieux, pardonnez mon insistance… Mais cette énigme me torture depuis la cérémonie et ne me quitte plus !

Il me semble que si le mystère était résolu, cela m’apporterait enfin la paix et que toute mon épreuve aurait enfin du sens.

Je pense, ô Dieux, que le réconfort de savoir sauverait mon incarnat de la détresse que vit mon carnat dans ces lieux maudits.

Oui ! Je souffre ici, j’ai froid ! J’ai faim ! Tout me fait mal, tout me met au supplice chez eux ! Autant de les voir m’apporter leur nourriture insipide que les entendre parler avec cet accent horrible ! Ils sont comme des animaux, mais pourvus de langage, ils grognent leurs mots, les aboies à mon visage. Comment avez-vous pu laisser vivre des êtres pareils ?

Ah ! Ils viennent.

Voyez la porte claquer derrière l’ombre de cet homme. Nous vous méprenez pas, il a bien un visage mais il est invisible, caché par la lueur ténébreuse de sa torche. Je dois être fort, je dois lutter, dieux. Ne leur parle pas, ne leur parle pas.

« — Raconte tes rêves ! »

Entendez sa voix grotesque ! Je ne lui réponds pas mais mes yeux parlent, ils disent : Plutôt crever, tu n’auras rien de moi, monstre ! Même pas un souffle !

« Ah, tu l’prends comme ça, l’encasté ? T’as toujours pas compris ? Eh bien, pas de bouffe pour toi, alors !

Qu’il la garde, son horreur en bol, rien qu’à la voir j’en vomirais.

Plutôt crever de faim ! leur nourriture est aussi impie qu’eux. Dieux, vous ne me verrez plus manger ces résidus !

« Fais ton dégouté… Mais tu finiras par m'implorer pour manger ce qu’on te donne ! Tu verras ! »

Vous avez vu ? Il m'a donné un coup de pied dans les jambes !

J’te donnerai pas le plaisir de m’entendre crier, sale sans-caste ! Casse-toi !

Voilà, il s'en va, il n'a pas le cran d'aller plus loin.

C’est ça, fous moi la paix ! Laisse-moi crever de faim, si c’est ce que tu espères. Je serai libre ! Mais je sais que ça ira. Manger n’a pas d’importance ! N’est-ce pas l‘Illum Asan qui avait jeûné pendant près de seize alignements avant de devenir un arbre ? Non ! Une forêt !

Dieux ! Prêtez-moi la force de jeûner aussi… De refuser les déchets provenant d’autres déchets. D’éloigner de moi leurs impuretés.

Oui ! Faites de moi un Illum !

Alors, je serai puissant ! Capable à mains nues de dégoncer les portes ; de soulever mes ennemis par la force de ma volonté et les jeter dans ta gorge, Vide – Mais te nourriras-tu de pareilles carcasses ? – ensuite je m’élancerai, inversé – te foulant, Terre – vengeur et déterminé. Je précipiterai, un à un, ces rampants infâmes jusqu’à ce que cette zone entière soit dépeuplée. Non ! Mieux ! Avec votre force, je décrocherai cette portion gangrenée de notre monde, cette pourriture de Terre, et l’arracherai du sol.

Ciel, tu en feras ce que tu voudras ! Mais surtout, exile les loin.

S’il existe un extérieur à toi, un fond ; ce monde dont j’ai rêvé, caché par les nuages ; alors précipite ce paysage pourri sur ses reliefs !

Ensuite, je n’aurai plus qu’à traverser le plafond du monde – redevenu sol – et rentrer à la Cité, en marchant, longeant les pylônes tout en profitant de la clarté du soleil chauffant mon crâne plutôt que mes pieds. Je rirai franchement. Une simple marche, une longue route, certes, mais plus aucun danger. Je serai comme votre agent, l'inversé, souriant devant la facilité de la vie.

Les miens me recevraient avec surprise et joie, ils m’aimeraient. D’autres, encore, me vénéreraient.

J'en profiterai pour faire le bien de tous. Je me vois d'ici, oeuvrer pour la sauvegarde des citoyens, usant de ce point de vue unique, à l'aplomb du monde.

Et nul ne m’oublierait ou ne m’abandonnerait, jamais !

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