La justice des accès — 3 (V2)

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Ilbion resta quelques instants coi, avant de se reprendre. Clairement, cette femme ne luttait pas sur le même terrain. C’était la logique brute contre les grands discours. Avec elle, il fallait aller à l’essentiel.

 Ordis le sortit de ses pensées en émettant un petit soupir de mépris, clairement adressé. Il ne releva pas, en revanche ça le remit d’aplomb et il jeta un coup d’œil aux plus militants, histoire d’avoir leur appui avant de se lancer, puis chargea :

— Artes, vous connaissez la Forge comme personne. Nous sommes comme elle. Vous ne voyez ici que la corne de souface, pas celle des enterrains. Devant vous, il n’y a que les décideuses, les décideurs ; mais derrière, il y a une armée. Une armée qui assure chaque jour la circulation du peuple et la sécurité des plateformes. Une armée qui connait la Cité et son réseau comme son corps propre. Nous pouvons ouvrir ou bloquer autant de portions du Terraume que nous voulons…

— Tous les pontiers de la Cité ne sont pas avec vous, trancha Ifinée, d’un nouveau soupir. Vous n’êtes pas assez nombreux.

— Pas d’inquiétude, reprit Ilbion, s’attendant à la remarque.

— Je ne m’inquiète pas. Poursuivez.

— C’est évident… Effectivement, tous les pontiers ne sont pas avec nous, mais une bonne partie d’entre eux sont prêts à fermer les yeux sur nos actions ou sont prêts à céder leur poste à d’autres, qui nous sont acquis. Les changements d’affectation sont fréquents et sont toujours décidés par les membres ici présents. Nous pouvons donc, si nous le voulons, ne placer que les nôtres dans des secteurs-clefs de la Cité. Facilitant toute action, quelle qu’elle soit.

— Théoriquement parlant, en tout cas, ponctua Ifinée. Je comprends mieux votre intérêt à l’idée de cette alliance, car si vous maitriser tous les accès pédestres, ce sont les nôtres qui maitrisent les transports voiliers. Ainsi, laissez-moi d’emblée vous détromper, Inter. Nous ne représentons pas non plus la guilde des aérins.

— Mais vous êtes là, néanmoins, insista Ilbion, attendant la suite.

 Comme beaucoup d’autres, Iber trépignait, façon tempête couvée. Il regardait alternativement Ilbion et les gens de la délégation Artes, incrédule.

— Bon ! On vous a dit de quoi nous étions capables, et vous, alors ? Qu’est-ce que vous pouvez faire pour la cause si vous ne pouvez pas vous allier avec les aérins ?

— J’y viens, reprit l’Artes, ralentissant le rythme, en bonne provocatrice. L’empressement est de sang Inter, dit-on. Doit-on y croire ? Car ce n’est pas cet aspect qui pourra nous rassurer en ce qui concerne notre alliance potentielle. Un plan bâclé serait inacceptable et surtout voué à un échec certain. Art est notre allié, mais Temps également. Notre collaboration doit se résumer à de l’artisanat.

 Ilbion l’observa quelques instants. Elle se tenait droite, rigide, cependant cette posture ne lui était pas naturelle et semblait être le fruit d’un long apprentissage de maintien, afin d’avoir l’air plus autoritaire qu’elle ne l’était vraiment. Derrière, il y avait une mère, une mère qui avait dû se montrer inflexible. Ce qui faisait sa force, elle pouvait se permettre de prendre le Temps, car personne n’oserait la contrarier. Le genre de personnage capable de recommencer tout un discours depuis le début juste pour contrarier l’autre et imposer son propre rythme.

 Peu à peu, il cernait le style du personnage. Le plus important, dans la vie était de savoir à qui on avait affaire. Rencontrer l’autre, c’était aussi tenter de le cerner. À présent, il s’agissait d’intervenir. Son attitude insultante ne devait pas être tolérée plus longtemps. Si elle les jugeait faibles, elle les croirait non fiables.

— Préjugés de caste, Artes. Nous sommes fougueux, nous Inter, mais réfléchis dans nos actions ! Si votre domaine est l’artisanat, un processus lent et exigeant, nous avons l’apanage du soin, de l’aide, du support aux autres. Notre Art est essentiellement relationnel, mais tout aussi exigeant, il demande de penser vite et bien. Si nous allons rapidement, c’est parce que nous avons l’habitude de décider rapidement !

— C’est cela, Inter, continua Ifinée avec un petit plissement de lèvres qui manifestait, Ilbion l’espérait, la satisfaction. Je suppose que cela vous paraît suffisant. De mon côté, je consens à vous révéler l’un de nos moyens.

 Au lieu de continuer, elle installa le silence. La tension était telle que tout le monde semblait prêts à bouffer la table. Une épreuve, clairement. Ilbion joua le jeu. Elle voulait du Temps, elle en aurait.

— Il tient à une personne, reprit-elle lentement. Je vous demanderais d’abord de faire silence, ce n’est pas facile pour lui.

 Ilbion fit signe à tous de se taire, comme demandé. Sa curiosité au bord des yeux, il fixa tour à tour chaque membre de la délégation Artes.

— Muy ? fit-elle, saisissant la main de l’échalas dont la tête dépassait au-dessus de toutes les autres. Pourrais-tu t’avancer ?

 Malgré sa taille incroyable, celui qui se posta aux côtés de l’Artes présentait des traits juvéniles. Il ne devait pas excéder de beaucoup l’âge de transpasse.

— Voici Muy Rhin Artes, fit-elle non sans une certaine tendresse – si incongrue venant d’elle. Il sera l’instrument de notre mouvement.

 Ilbion fit ce qu’il peut pour ne pas paraître décontenancé. Clairement, cette femme tentait de les déstabiliser pour les tester. Il était difficile de ne pas s’y laisser prendre !

— Muy Rhin Artes, soyez, le bienvenu parmi nous. Je suis Ilbion Rhian Inter…

 Ifinée fit un geste sec.

— Ne vous ne fatiguez pas, reprit-elle. Muy ne vous répondra pas. Il est muet.

 Du haut de sa silhouette dégingandée, le garçon fixait le plafond, comme à demi présent. Son regard bleu Ciel, azur de mort, bien trop clair, bien trop étrange, inspirait à Ilbion la plus vive des inquiétudes. Pourquoi ne pas chercher le regard, pourquoi éviter la rencontre ? Pourquoi... Pourquoi regarder au-travers des gens ?

— Ne vous souciez pas de son manque de savoir-vivre, Inter, reprit Ifinée, caressant le dos de la main de Muy Rhin. Cet homme, bien qu’apparemment déconnecté, inapte à la parole, est bien conscient et attentif à tout ce qui a été dit jusqu’à présent. Il représente, à lui seul, une bonne partie de nos moyens de lutte.

— C’est une farce ? claqua Ordis, secondée par Iber lâchant un « Ils se foutent de nous » dit à voix basse.

 Toute la congrégation vibrait, clairement outrée.

— Vous sautez aux conclusions, décida Ifinée, sans pour autant paraître déçue. Encore votre empressement. Décidément, vous me faites douter de la qualité de l’alliance que vous nous proposez. Cet homme n’est pas une insulte à vos intelligences. Il est bien plus. Chers Inter aux conclusions rapides, vous avez devant vous un authentique perinsident !

 De choqués, les Inter devinrent profondément dubitatifs. Certains, à voix basse, se demandaient même ce qu’était un perinsident. Ça devenait intéressant, Ilbion ne s’attendait pas ce genre de développement. Ainsi ces drôles d’oiseaux existent vraiment ?

 L’étrange Muy Rhin semblait flotter, colonaire, au-dessus de tous, indifférent à l’ambiance tendue qu’il provoquait par sa seule présence. Rien ne laissait croire qu’il écoutait, hormis le fait qu’il avait répondu à l’appel d’Ifinée. Il se balançait de gauche à droite, comme s’il cherchait à se bercer lui-même. Sans ce mouvement, on l’aurait confondu volontiers avec une statue. Si étrange, ce corps très grand, sans fond, sans vie. Alliant mollesse et rigidité, il évoquait volontiers… — Ilbion sourit — il évoquait un gros bambou. Il faillit éclater de rire, mais parvint à se retenir.

 Ifinée, de son côté, profitait discrètement de l’effet du jeune homme sur l’assemblée. Voilà comment on installait son autorité : en surprenant. Même si tout le monde n’était pas sensible à la surprise.

— C’est ce simplet, muet et timide, qui va faire tomber les Aers, c’est ça ? maugrea Ordis. Vous vous foutez de nous ?

— Oui, répondit simplement l’Artes. C’est lui ! Muy, peux-tu montrer à tout le monde ce que tu as façonné ?

 Le garçon s’exécuta — Oui, il entend et comprend bien, comprit Ilbion, étonné —, il sortit d’une sacoche de petits objets qu’il posa méthodiquement sur la grande table.

— Tu leur fais une démonstration ? demanda-t-elle, comme on parle à un enfant.

 Muy Rhin prit l’un des petits objets — ils évoquaient des graines amorces, version mini – et le tendit vers Ilbion, sans pour autant accrocher son regard.

— Voyez, proclama Ifinée, non sans fierté. Voyez ce qu’ils sont capables de faire. Et comprenez l’erreur que commettent les Ter en nous limitant !

 Amorce pressée, le petit objet se mit à gonfler, ou plutôt se déformer, ce qui ne manqua pas de rappeler à Ilbion la croissance des plateformes, des ponts, des surports — en fait de toutes les choses qui étaient faites de corne — à partir de leur seule graine amorce. L’objet se mit à grandir, mu par la force interne qui lui conférerait bientôt sa forme finale. Pendant qu’il s’allongeait, Muy Rhin s’empara d’une des excroissances naissantes, laquelle devint une poignée. Au bout du compte, ce qu’il passait mollement d’une main à l’autre rappelait étrangement un outil traditionnel d’arpente — un lanceur, se rappela Ilbion.

 Ifinée tendit la main. Le perinsident, placide, y posa l’objet nouveau-né. Elle alla chercher dans une sacoche quelques minuscules billes blanches qu’elle glissa, une à une, dans une encoche sur le côté du lanceur.

 Tout le monde s’attendait à quelque chose. Quelque chose de décisif, d’implacable, qui mettrait tout le monde d’accord. Mais rien ne se passa. Ifinée se tenait assise à la table, sans rien dire, à contempler l’objet. Qu’est-ce qu’ils comptaient faire avec des lanceurs ? Susplanter des pylônes ? Voyager vers les confins ?

— Et ? fit Iber, agacé.

 D’un geste, rapide, efficace, elle pointa le lanceur vers Muy Rhin, comme si elle voulait lui tirer dessus. Ilbion agrippa les épaules de ses voisins directs en un réflexe de protection. Le tir fusa, discret, n’émettant pour tout son qu’un sifflement. La suite, Ilbion la supposa plus qu’il ne la perçut. Le projectile fila derrière la tête du jeune perinsident, percuta un des tonneaux d’eau placés le long du mur et s’y enfonça. Une onde de choc plus tard, le baril éclata en de grandes gerbes d’eau. Ce n’est qu’une fois aspergé que tout le monde sursauta enfin. La quasi-totalité des membres de l’assistance, trempés, s’écartèrent vivement de la table sans rien avoir compris à ce qu’il venait de se passer. Ilbion faisait également de gros efforts pour garder son calme, n’étant pas sûr d’avoir lui-même tout compris.

 Ifinée, de son côté, souriait, tandis que Muy Rhin n’affichait aucune réaction, alors qu’il venait de frôler la mort.

— Une arme… murmura Ilbion, luttant pour reprendre la parole. Une Arme ? C’est ça votre moyen révolutionnaire ?

— Cela même, dit Ifinée, en brandissant le lanceur. Regardez le résultat : aucun bruit, aucune trace, pour un projectile capable d’oblitérer un tonneau massif ; et je vous garantis que même la corne se déforme sous ce genre d’impact. Qui oserait s’attaquer à quelqu’un qui porterait une arme de ce genre ? Regardez-vous, vous êtes pétrifiés.

 Tout le monde l’était, en effet. Ça n’allait pas, vraiment pas. Il était insupportable de les voir ainsi soumis. Ordis éclata bien avant lui :

— Mais êtes complètement prise d’Ir…

 Non ! Ilbion lui serra fermement le bras, l’interrompant net.

— Impressionnant, réussit-il à articuler, malgré son malaise. Mais si les armes ancestrales ont été proscrites, ce n’est pas pour n’importe quelle raison. Nous ne voulons pas remonter du Ciel les guerres de l’ancien monde, Artes. Employer de telles armes serait un crime aux yeux des dieux !

 Les voix de ses sœurs et frères s’élevèrent, ils se réveillaient, le suivaient.

— Vous me décevez, Inter, dit calmement Ifinée. Vous nous confondez avec les alliés d’Art de l’ancien monde. Si les armes antiques ont été proscrites, c’est bien parce que les hommes avides de pouvoir ne les utilisaient que pour tuer. Ces lanceurs serviront comme appui, puisqu’ils peuvent déformer la corne assez pour briser des ancrages, mais aussi comme effet dissuasif. Je vais me répéter, mais qui oserait s’attaquer à quelqu’un qui possède un tel objet ?

 Les sœurs et frères autour de la table peinaient à reprendre leurs esprits. Même Ordis, la teigneuse, ne savait pas quoi dire. Ilbion réfléchissait à toute vitesse. Il s’attendait à tout, sauf à ça. Comment ces gens étaient-ils parvenus à fabriquer de telles armes ? La censure Ter contrôlait normalement tout ce qui sortait de la Forge. Ilbion n’aimait pas ça, mais il était difficile de faire marche arrière à présent.

— Alors qu’en dites-vous, Inter ? demanda Ifinée, se rasseyant, sûre de sa force ; sûre d’avoir le dessus.

— J’en dis : méfiance… Grande méfiance !

 Elle changea d’expression. À son tour d’être désarçonnée. Ilbion s’en félicita. Les cartes de l’Artes étaient abattues, elle était bien plus à nue qu’avant. Et surtout : ils avaient quelque chose contre elle.

— Allons bon, pourquoi ? Je vous offre votre révolution sur du métal ancien et vous émettez des doutes ? Vous vous contredisez, Inter. Muy Rhin, range-moi ce…

Si la Forge est capable de produire de tels objets – et déjà comment ? La censure ne s’applique-t-elle pas à vous ? — alors je comprends les interdits Ter ! La révolution dont je te parle doit être vectrice de dialogue, elle doit réinstaurer l’équilibre. Ça ne se fait pas en tuant des gens !

— Puisque je vous dis qu’on ne tuera personne, ce n’est qu’un moyen…

— De dissuasion ! Je sais. Mais tu penses qu’on va retrouver du dialogue en menaçant les gens ? C’est une révolution pour la paix que nous souhaitons, il ne s’agit pas de restaurer le foutu patriarcat !

 Mouvement rouge, vivats tonnants. Ilbion sentait toujours le soutien des siens. Même Ordis lui glissa qu’il avait bien parlé. Tous d’accord. Il s’agissait à présent de se sortir de là sans se mettre cette Artes cinglée à dos.

 C’est alors qu’Ifinée se leva, droite comme la rigueur.

— Nous y sommes, fit-elle, clairement déçue. La peur, les croyances en des récits insensés, l’incompréhension qui fait fuir. Les choses mêmes que vous condamniez l’instant d’avant. À tout confondre, vous fermez vos horizons, en vous baignant dans les amalgames. Si seulement vous saviez ce que la Forge peut faire. Si vous saviez à quel point elle pourrait changer nos vies. Allez-vous donc vous montrer aussi stupides que les castes que vous voulez renverser ?

— Justement ! C’est…

 Ilbion s’interrompit, brusquement attiré par un bruit incongru qui venait d’éclater au fond de la salle. Étrange, il ressemblait à… des applaudissements ? Lesquels prirent assez d’ampleur pour s’insinuer à travers le brouhaha des échanges et devenir audible par tous.

 Il y avait quelqu’un. Quelqu’un qui n’avait pas sa place ici. Un inconnu, entre-deux âges, l’œil vif, le visage long et anguleux. Il venait de germer du fond de la salle à un endroit qu’Ilbion aurait juré Vide juste avant. Sur son front, le sceau Aers. Sur sa bouche, un foutu sourire narquois. Il se posta à quelques pas de l’assemblée sans cesser de frapper dans les mains, avec une sorte d’écho distant, bizarre. Il applaudit de plus belle en voyant leur surprise.

— Qui l’a laissé entrer ? cria Iber — ou Erist, qu’importe.

— Personne, cria un autre, tout aussi affolé. J’ai verrouillé la porte !

 L’homme continuait de plus belle, indifférent aux réaction. Il balaya du regard chaque membre de l’assemblée, comme s’il voulait mémoriser précisément chaque visage. Ses applaudissements acharnés ne faisaient qu’augmenter la nervosité de tout le monde. Personne n’osait bouger. C’était tout de même un Aers !

 Il s’arrêta soudainement, laissant place à un silence horrible. Sans quitter son sourire figé, il signa la Terre.

— Citoyens, lança-t-il d’une voix étrange, à la fois proche et distante. Que Terre vous porte !

 Typiquement l’attitude et les mots d’un Aers, songea Ilbion, avec mépris. Sauf qu’ils ressemblaient à une injure dans sa bouche.

 Outre sa présence, tout semblait anormal chez ce gars. Ilbion le fixait, le détaillait, pour comprendre. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Comment était-il rentré ? Pourquoi venir seul ? Ilbion avait l’impression de voir les options défiler devant ses yeux. Aucune rassurante. Un piège des Artes ? Impossible, leur foutue arme les incriminerait immédiatement. Une descente de soldats, au hasard ? Pour quelle raison officielle ? Et, encore une fois, pourquoi un type seul ? Non, la pire semblait malheureusement la plus évidente : il y avait des traîtres parmi eux.

 Après l’avoir longuement regardé, Ordis finit par rompre le silence :

— Qui... Qui êtes-vous ?

 Il ne répondit que de son sourire narquois, examinant Ordis avec attention. Il gardait une distance respectable avec les membres de l’assemblée, comme s’ils le dégoutaient.

— Que devient le Terraume ? demanda-t-il, à la cantonade. Ainsi, le peuple se réunit, à présent… Afin de détruire l’équilibre citoyen ?

 Il s’avança vers eux. Les Inter ne pouvaient que s’écarter, creusant l’espace comme ils l’avaient toujours fait devant les gens de la haute. Mais ce n’était pas vraiment sa caste qui provoquait cela, il émanait de lui une autorité brute, presque palpable, qui forçait le respect. C’était plus fort, ça puait le pouvoir qu’on prêtait habituellement aux Aers et qu’Ilbion, pour ça part, n’avait jamais ressenti. Et ce n’était toujours pas le cas ici, contrairement à ses sœurs et frères, soumis, tremblants. Insupportables !

— Je vous conseille de reculer, Aers. Nous sommes bien plus nombreux que vous et…

— Reculer ? Déjà faire pencher la balance, sans doute ? Ce serait beau, mais peu réaliste. Oui, vous avez des idées… Et, clairement, des moyens. Mais vous n’avez pas pensé à tout !

— De quoi parlez-vous ? lâcha Ilbion, assez fort pour qu’il l’entende.

 Ilbion connaissait son visage. Il ne l’avait jamais côtoyé, mais l’avait déjà aperçu quelque part. Autour de lui, beaucoup semblaient l’avoir reconnu depuis son apparition. Et ils tremblaient, leur teint virait à la corne.

— Et bien, poursuivit-il. Vous n’avez pas considéré l’hypothèse qu’il puisse y avoir des vendus dans vos rangs… et j’ajouterais que vous n’êtes pas très prudents. Ce type de rassemblement ne passe jamais inaperçu. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à vous repérer.

 Ilbion le connaissait. Même sa voix lui disait quelque chose. Mais d’où ? Il le connaissait comme s’il l’avait déjà entendu parler. Lors de la mise œuvre d’une nouvelle susplante, ou l’accroissement du réseau ? Ou lors d’une cérémonie peut-être ?

— Qui êtes-vous ? Répondez !

— Eh bien, vous ne me reconnaissez pas ? s’amusa l’homme, le regard partant dans le vague. J’ai pourtant laissé une trace indélébile dans chaque incarna…

— Ça suffit ! se fâcha Ilbion. Vous êtes un Aers, ça m’est déjà suffisant, alors sortez ! Ou plutôt, non ! Faites-le prisonnier, vous autres !

 Mais la délégation restait figée, personne n’esquissait le moindre mouvement vers lui.

— Je ne ferais pas ça si j’étais vous.

 Il avançait, tranquille, entre les Inter qui s’écartaient docilement.

— Pontiers, attrapez cet homme ! cria Ilbion en le voyant avancer lentement.

 C’était précisément cela qu’il ne pouvait plus supporter. Cette manière Aers, cette sorte de naturelle autorité dont ils ne faisaient qu’abuser. Et pendant ce Temps, les larves pontières s’étalaient, murmurant des mots d'excuse qu’Ilbion ne voulait pas entendre. De pauvres arguments de soumis, pour mieux le rester.

— Je ne savais pas que les pontiers se rassemblaient ainsi, continua l’Aers, sans être inquiété par les nombreux Inter qui l’entouraient. Votre travail ne vous occupe donc pas assez ? Vous avez le Temps de rêver à des révolutions ?

— Sang de mort ! Vous allez cracher qui vous êtes  ! gronda Ilbion, furieux, tandis qu’Iber lui tirait le bras avec insistance. Qu'y a-t-il, merde ?

— C’est… c’est le réalien, Ilbion… C’est Fard Egan Aers… le… celui qui est mort !

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