Dictature

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 Le général constata d’un ton grave :

« Une poignée de factieux s’agite et se révolte contre l’ordre établi.

— Fusillons-les, s’exclama un colonel portant un monocle.

— Non, trop risqué. Nous ne savons pas encore qui ils sont, et pour compte de qui ils agissent.

— Il faut en capturer un et le faire parler, propose un lieutenant-colonel fumant un cigare. La torture délie bien des langues.

— Non, ces hommes sont prêts à tout. Ils vous raconteront n’importe quoi. » Il se fit un court silence qu’il brisa : « Nous devons être perspicaces. Nous devons nous montrer plus rusés qu’eux, leur prouver que nous sommes ouverts au dialogue, et qu’ils n’ont aucun motif de nous en vouloir.

— Quoi ! Se scandalisa le lieutenant-colonel. Vous allez discuter avec eux ?

— Et si ça se trouve, vous irez jusqu’à leur faire des concessions, renchérit le colonel.

— Ce serait la porte ouverte à toutes les exactions. D’autres factieux se manifesteront, et puis d’autres encore.

— Et notre belle dictature sombrerait inéluctablement dans une démocratie turpide.

— Non, mon général, s’insurgèrent en chœur le gradé au monocle, et celui au cigare. Il faut la manière forte.

— La répression !

— Les jugements arbitraires !

— Il faut maintenir chez notre soldatesque l’esprit de rigueur et de discipline !

— Gare aux écarts ! »

Le général qui avait écouté tout cela sans répliquer, tapa son bureau du plat de sa main.

« Silence maintenant. Ecoutez-moi. En agissant comme vous le clamez, vous allez mettre le pays à feu et à sang. La guérilla va reprendre et nous serons bientôt chassés par ceux-là même que nous avons chassés. En deux ans de pouvoir, nous avons ramené le calme, rétabli l’ordre et la sécurité, jugulé tant bien que mal notre inflation ; nous nous sommes débarrassés de nos adversaires façon si brillante, que les autres pays du monde croient que nos prisons ne renferment aucun prisonnier politique. À une époque où toutes les caméras sont braquées sur les pays dits à dictature, nous ne pouvons pas nous permettre d’attirer l’attention sur nous. Ce serait la ruine pour notre économie qui est déjà très bancale. Non, messieurs, il faut agir de façon telle que le peuple croie que le danger n’est pas dans notre camp, mais dans celui des agitateurs. Il faut que ceux-ci comprennent alors, qu’ils se battent pour rien, sinon que pour semer le désordre. Ainsi, nous aurons tout le peuple à nos côtés, lorsque nous déciderons de mettre de l’ordre. »

Il se fit un nouveau silence. Plus long, plus fastidieux.

« Soit, lança le colonel. Vous êtes général ; donc, hiérarchiquement, mon supérieur. Je m’incline. J’obéis. »

Le lieutenant-colonel écrasa son cigare.

« Moi aussi je m’incline et j’obéis. Seulement, je veux des preuves. Je veux dans deux mois ces factieux soient, ou en prison, ou au bout de nos fusils. »

Il allait partir lorsque le général cria d’un ton ferme :

« Lieutenant-colonel, vous êtes sous mes ordres et vous n’avez pas de menaces à me faire. Quand j’ai fait mon coup d’état, vous n’étiez qu’un sous-lieutenant, alors que Marquez était déjà capitaine. Estimez-vous heureux d’être monté si vite, et faites attention à ne pas redescendre à la même allure. »

L’interpellé étouffa sa rage et laissa échapper du bout des lèvres :

« A vos ordres, mon général. »

Le chef de la junte resta assis à son bureau pensif mais détendu. Dix minutes s’écoulèrent au terme desquelles il prit un téléphone blanc situé à sa gauche, composa un numéro et plaqua le combiné contre son oreille.

« Allô ? Fit une voix à l’autre bout du fil.

— Garcia…

— Mes respects, mon général.

— Vous avez été formidables vous et vos hommes.

— On continue ?

— Bien sûr. Ne vous relâchez pas. Au revoir

— A vos ordres, mon général. Au revoir »

Le militaire allait raccrocher lorsqu’il reprit le combiné et le plaqua contre sa bouche :

« Garcia, Garcia, susurra-t-il

— Oui, mon général ?

— Votre prochaine victime…

— Qui sera-t-elle ?

— Le lieutenant-colonel Estevez, celui qui fume le cigare. »

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