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J'attendis tranquillement qu'Arthur se décide à continuer. J'étais assez perplexe.

— Je sais qui tu es, dit-il finalement. Je n'étais qu'un gamin mais je m'en souviens.

— Que veux-tu dire ?

— Tu ne sais donc vraiment rien de cette branche de ta famille ?

— Non… Ils sont morts bien avant ma naissance. Et mon père ne m'a jamais rien dit à propos d'eux.

— Ton grand-père faisait partie du Conseil des Anciens d’Aidan. Et il était en bonne voie pour être le successeur au poste de Doyen. Mais tout s'est arrêté la nuit de l'incendie… Marcus est mort, ses enfants aussi.

— Et il ne resta plus que Monique et mon père.

— Oui, en effet. La Fondation les a rapidement mis à l'abri. Ils ont testé le bébé mais il n’avait pas de pouvoirs, contrairement à ses frère et sœurs. Alors ils ont attendu. Ils l'ont regardé grandir, étudier, rencontrer son épouse… Un jour, elle est tombée enceinte. À la naissance des enfants, tout a dérapé.

— Des enfants ? Non, tu dois faire erreur. Je suis fille unique.

— Pas d’erreur possible. Deux fillettes ont vu le jour en même temps. L’une possédait le gène, l’autre non. Le bébé appartenait à la Fondation, comme tous les enfants nés de parents dans l’organisation.

Je me rappelai des mots de Shadi.

— Alors Lys…

— Lys est ta sœur, oui. J’ai eu un doute dès le moment où je vous ai vues ensemble. Tu n’as fait que le confirmer aujourd’hui.

Je le regardai, bouche bée. Toute ma vie, mes parents m’avaient non seulement caché l’existence des sorciers, mais aussi celle d’une jumelle ! Et au moment où je la retrouvais enfin, je choisissais de l’ignorer et de partir pour un autre monde…

On disait que les strys reconnaissaient les cœurs purs. Je ne savais pas ce qu’elles avaient bien pu voir en moi. Je regrettai immédiatement mon attitude égoïste. Toutes ces années, je n’avais pensé qu’à moi, sans même prendre en considération les sentiments de ceux que je laissais derrière.

— Que s’est-il passé ensuite ? demandai-je.

— Ils ont continué à vous observer pendant quelques années, afin d'être certains que tu ne développais de pouvoirs particuliers.

J'essayai de me rappeler les premières années de ma vie. Il y avait en effet quelque chose que j'avais essayé d'occulter. Une chose qui avait refait surface dans mon esprit à peine arrivée au sein du monastère.

— J'avais peur des hommes dans l'ombre. Mais ma mère ne me croyait pas. Elle me disait que je devais arrêter de raconter des bêtises.

— Ce n'étaient pas des bêtises. Il est vrai que les membres de la Fondation n'étaient pas très discrets. Ils attendaient quelque chose, une réaction. Mais, au fil des années, il était devenu évident que tes parents ne te laisseraient pas partir. Et puis, tu semblais être une enfant comme les autres. Ils ont espacé de plus en plus leurs visites, jusqu'à ne plus s'intéresser à ta famille. Mais il semble que la Confrérie ait eu plus de chance…

Je le regardai avec colère. Je pouvais difficilement voir son visage dans la nuit nuageuse.

— Tu n'as rien à reprocher à Jake ! Il m'a sortie d'une très mauvaise passe. Sans lui, je ne sais pas où je serais aujourd'hui…

Une grosse goutte d'eau s'écrasa sur ma tête. D'autres suivirent. Je levai les yeux pour découvrir de sombres nuages noirs courir dans le ciel. Le bateau se mit à tanguer plus fort.

— Rentrons avant d'être complètement trempés !

Il attrapa mon bras pour m'aider à maintenir mon équilibre. A l'intérieur, les marins ne semblaient pas se soucier du fait qu'une tempête approchait.

La nuit devint plus sombre. Les nuages passèrent du gris au noir et le vent se renforça. La mer se creusa et le navire craqua.

J'étais dans mon hamac, j’oscillais entre veille et sommeil, inconsciente de la houle qui s'abattait sur la coque du bateau. Un coup de tonnerre assourdissant me réveilla en sursaut. Je me levai en hâte, et me précipitai sur l'escalier. Où était Ian ?

Les vents s'étaient transformés en terrible tempête et la mer était déchaînée. Des éclairs illuminaient le ciel toutes les secondes, le bruit assourdissant qui les suivait recouvrait celui de la pluie battante.

Le garçon se tenait sur le pas de la porte, face aux rafales furieuses.

— Arrête ça ! Cria-t-il, les mains sur les oreilles.

Je le repoussai en bas sans un mot, et claquai le battant derrière moi, aveugle sous les trombes d'eau qui balayaient le pont.

Le bateau oscillait fort, les voiles arrachées volaient comme des étendards et l'équipage luttait pour les rattraper. Le second criait, courrait sur le pont, sans parvenir à ramener un peu d'ordre sur le navire.

Je me rendis soudain compte que ces voiles nous étaient nécessaires. Sans elles et l'énergie qu'elles fournissaient, nous étions condamnés à errer au milieu de cette immensité d'eau ! Nous étions perdus dans la tempête et je le savais. Je tournai sur moi-même, en équilibre instable.

Je voulus aider les marins à rattraper le tissu sombre mais une vague immense se glissa à ce moment-là sous le navire et tout l'équipage le ressentit, s'arrêtant net dans leurs mouvements. Tout d'un coup, la proue se retrouva en l'air.

Les marins s'accrochèrent à ce qu'ils purent. J'attrapai le bord de la rampe contre laquelle je me tenais. Le bateau cessa de se balancer. Le temps semblait suspendu. La proue pointait toujours en l'air. Je crus pendant un instant que nous étions hors de danger et puis l'avant du voilier s'inclina vers le bas, accélérant à chaque seconde.

Et la vague déferla sur le pont.

Je fus submergée par une masse d'eau salée. Je sentis mes mains glisser. L'eau se retira aussi vite qu'elle était arrivée.

Une seconde vague s'éleva au-dessus du navire. Elle menaçait de s'écraser sur nous à tout moment. Je la regardai avec horreur.

Quelqu'un ouvrit la porte derrière moi et me tira brusquement à l'intérieur.

— Mais tu es folle ! s'écria Arthur. Ne reste pas dehors !

J'entendis la masse d'eau cogner contre le bois et je frissonnai dans ses bras, trempée.

La tempête se déchaîna pendant des heures. Assise dans la cale avec Ian et Arthur, je sursautais à chaque coup de tonnerre. J'étais persuadée que le bateau n'allait pas tenir le coup. Mais, contre toute attente, le capitaine réussit à nous maintenir à flot.

Le lendemain matin, le ciel était d'un bleu limpide. C'était comme si rien ne s'était passé. Sauf que le vent avait arraché l'un des mâts et déchiré une grande partie des voiles qui n'avaient pas été rabattues à temps.

Les marins erraient sur le pont, hagards et épuisés. Le capitaine et son second examinaient les dégâts d'un air sinistre.

— Mauvaise nouvelle, me dit l'homme. Nous avons perdu soixante pourcents du rendement. Mais la tempête nous a rapprochés de notre destination. Le voyage ne nous prendra que deux jours de plus.

— Tout le monde va bien ? demandai-je.

— Oui, nous n'avons heureusement pas de blessés ! Mais les réparations vont nécessiter beaucoup de crédits-temps. Ce tissu solaire est l'un des composés les plus difficiles à fabriquer de l'archipel…

— Eileen, regarde ! m'interpella Ian.

Je plissai les yeux pour mieux distinguer la créature qui suivait le bateau à la trace. C'était une sorte de méduse géante qui dérivait lentement dans l'air. De couleur rouge vif, ses tentacules traînaient derrière elle et dessinaient une trace sanglante contre le bleu du ciel. Je remarquai un deuxième spécimen un peu plus loin. Ce monde était bien étrange : ces êtres qui auraient dû vivre dans l'eau nageaient dans l'air, exactement comme les strys. Je me demandai à nouveau quelle pouvait bien être la force qui leur permettait de le faire.

Evie regardait elle aussi l'horizon avec une moue de dégoût. Je m'approchai lentement de la jeune fille.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Des fossoyeurs, cracha-t-elle.

— Pourquoi cela ? Ces méduses ne m'ont pas l'air tellement dangereuses.

— Seules, non. Mais une fois en groupe… Elles ne sortent qu'après les grandes tempêtes pour trouver leur repas dans l'océan.

— Leur nourriture ? Tu veux dire…

— Oui, exactement. Les marins qui ont eu le malheur de passer par-dessus bord ! Leurs tentacules sont recouverts d'une substance qui paralyse leur proie.

Je frissonnai. Échapper à la mer pour se faire manger par ces charognards… Ce n'était pas une très agréable façon de finir ses jours…

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