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Elle partit ensuite, et nous laissa seuls. Je m'attelai à la pénible tâche du remplissage du formulaire, comparant souvent mes réponses à celles de mon ami. Les renseignements demandés étaient assez étranges : nom, adresse, numéro de téléphone… Comme s'ils allaient appeler sur Terre pour vérifier si le numéro existait bien !

Je mis quand même des données exactes, même si ce n'étaient pas les miennes. Je donnai l'adresse de l'une de nos anciennes planques, ce qu'Arthur s'empressa de recopier à l'identique. On échangea les appareils pour compléter nos dates de naissance ainsi que les noms de nos parents. Pour moi, la parade était toute trouvée : Cassandra et Matteo feraient très bien l'affaire. J'ajoutai même que j'avais deux frères, David et Ren.

J'appris qu'Arthur avait à peine quatre ans de plus que moi. C'était toujours une information utile à prendre… La tâche se compliqua quand nous dûmes compléter les renseignements demandés pour Ian. Si je connaissais bien sa date de naissance, je n'avais pas la moindre idée de l'école qu'il avait fréquentée. Et encore moins s'il était en ordre de vaccination…

— Tout va bien ? me demanda mon ami en voyant que j'avais arrêté d'écrire.

— Ce n'est que maintenant que je me rends compte de tout ce que j'ai évité de faire durant ces dernières années…

Il attrapa ma tablette pour y taper quelques chiffres.

— Voilà, c'est mieux ! Ils auront du mal à le vérifier de toute façon.

La jeune fille vint récupérer nos dossiers une demi-heure plus tard. Elle nous demanda de patienter le temps qu'on nous appelle.

— Vous ne pourrez pas y aller ensemble, dit-elle. Mais le petit peut rester avec l'un d'entre vous.

Ian prit ma main. Je jetai un regard inquiet à Arthur. Ils voulaient comparer nos histoires, ça s'annonçait mal… Il me rassura d'un sourire avant de suivre la fille dans un bureau situé un peu plus loin.

Quelques minutes après, un homme âgé d'une soixantaine d'années portant une petite moustache me fit signe de le suivre dans un autre cabinet. La pièce était simplement meublée d'une table et de trois chaises. Il n'y avait aucune fenêtre mais la paroi derrière mon interlocuteur me rappelait quelque chose. C'était un miroir sans tain, comme celui du musée. Je sentis une présence humaine derrière. Quelqu'un devait donc observer tout le déroulement de l'interrogatoire.

L'homme s'assit à son bureau et nous invita à faire de même. Il attrapa une fine tablette électronique qui semblait avoir plusieurs dizaines d'années d'avance sur mon époque. Des symboles défilèrent à sa surface. Il leva le regard de ses données.

— Nous avons encodé les renseignements que vous avez fournis et tout semble correspondre à nos modèles. Pour la suite, je vais vous poser quelques questions afin de mieux vous connaître. La loi m'oblige à vous préciser que tout ce qui se dit dans cette pièce est enregistré. Cela pour assurer la sécurité de la communauté. En comprenez-vous les implications ?

— Oui.

— Bien, nous pouvons commencer alors. Votre nom ?

— Eileen, dis-je calmement.

Il regarda son écran, se concentrant sur quelque chose qu'il était le seul à voir. Je me retins de me pencher pour lire aussi ce qui y était écrit. Son visage s'illumina soudain.

— Dooh ! s'exclama-t-il. Auriez-vous par hasard un quelconque lien avec un certain Marcus Dooh ?

— Oui… C'était mon grand-père, dis-je.

Je regrettai immédiatement de lui avoir fourni cette information.

L'agent m'étudia un instant en silence. Je commençais à me sentir assez mal à l'aise quand Ian vint se blottir plus près de moi.

— Était, dites-vous ? demanda-t-il finalement d'une voix éteinte.

Je pesai rapidement le pour et le contre. Mais après tout, je ne voyais pas le danger qu'il pouvait y avoir à parler de mon grand-père. Si ça me permettait d'en apprendre plus sur lui, toute information était bonne à prendre.

— Oui. Il a perdu la vie dans un incendie, bien avant ma naissance.

— Vous m'en voyez désolé. Voyez-vous, votre grand-père était bien connu autrefois. Mais c'était avant…

— Avant quoi ? ne pus-je m'empêcher de demander.

L'homme me jeta un coup d’œil avant de froncer les sourcils. Je fis un rapide calcul et réalisai que, compte tenu du décalage temporel, si Marcus avait vécu ici, c'était il y a plus de quatre-vingts ans ! Pourquoi se souvenaient-ils encore de lui ?

— Avant qu'il ne brise toutes nos règles en acceptant de suivre une terrienne dans son monde, soupira-t-il enfin.

Il dut remarquer mon air étonné car il continua avec un sourire.

— Monique était une jeune femme solaire, toujours pleine d'entrain. Elle attirait les regards, c’est ce qu’on raconte sur elle. Mais c'est sur Marcus que le sien s'est posé. Ils formaient un couple parfait, toujours ensemble, toujours souriants. Cependant… Leur belle histoire a rapidement été gâchée par la famille de Marcus : ils n'acceptaient pas que leur fils ait pu tomber amoureux d'une Terrienne fraîchement débarquée à Lor. Ça arrive des fois et c'est triste…

— Et que s'est-il passé ensuite ? demandai-je avec curiosité, voyant que l'agent s'était à nouveau perdu dans ses souvenirs.

— Vous n'avez vraiment pas la moindre idée de qui était votre grand-père, n'est ce pas ?

— Non, pas du tout…

— Et c'est dommage. Laissez-moi vous dire que Marcus n'était pas un homme à se laisser faire aussi facilement. Plus son entourage rejetait Monique et plus il s'accrochait à elle, envers et contre tous. Cette situation ne pouvait perdurer éternellement… Après presque deux ans passés parmi nous, elle a fini par en avoir assez de l'attitude des autres à son égard. Mais cela ne l'a pas poussée à abandonner l'amour de sa vie, bien au contraire. Une nuit d'été, quelque chose s'est produit à Alma. Je ne saurais dire quoi étant donné que je n'étais encore né à ce moment-là. Des rumeurs étranges ont ensuite commencé à circuler. On racontait que Marcus avait réussi à franchir un portail entre les dimensions… dans l'autre sens, vers la Terre ! Des histoires insensées ! C'était tout bonnement impossible ! En tout cas, c'était ce que je croyais… jusqu'à aujourd'hui, termina-t-il en me fixant de ses yeux gris-acier.

— Euh… C'est où Alma ? osai-je finalement demander.

— C'est une île située à quatre jours d'ici. En distance terrienne, ça fait un peu plus de deux mille kilomètres. Nos modes de transport sont un peu différents, comme vous le constaterez.

Je réfléchis en silence. Quatre jours… Ce n'était rien par rapport aux trois années que je venais de vivre. J'irais à Alma. Il me fallait des réponses.

— Continuons, dit-il. Je ne suis pas étonné que la petite-fille de Marcus a fini par elle aussi faire le trajet jusqu'à Lor. Mais vous n'êtes pas venue seule à ce que je vois. Comment s'appelle votre fils ?

— Ian.

— D'accord. Et dis-moi donc Ian, comment es-tu arrivé jusqu'ici.

Je remarquai soudain qu'il s'adressait à l'enfant mais que c'était encore moi qu'il fixait. Mon cœur se mit à battre la chamade quand je pensai au poignard brisé enfoui quelque part dans mon sac. Je me souvins en un éclair de la nuit de l'incendie. Puis de la librairie. Sans savoir pourquoi, je me dis que ce genre d’actions ne devait pas être très bien vu à Lor. Ne pas trop hésiter… J'ouvris la bouche pour répondre mais Ian me devança.

— À travers un portail. Et puis on a vu des papillons géants et des raies, enchaîna-t-il sans laisser à l'agent le temps de répondre.

L'homme parut déstabilisé pendant un court moment mais se reprit rapidement. Le petit me jeta un coup d’œil. Je compris ce qu'il essayait de faire et m'efforçai de me calmer.

— Vous avez rencontré des strys ? demanda l'agent.

— Et heureusement ! m'exclamai-je un peu trop fort. Sinon, on serait encore en train de mourir de soif dans cette forêt !

— C'était trop bien ! On a volé sur leur dos jusqu'à la ville !

— Ton père n'était pas du même avis, souris-je, apaisée.

— Mais moi je n'ai pas le mal de l'air !

Nous éclatâmes de rire. Je savais que je devais une fière chandelle au garçon. Il m'avait sortie d'une situation bien embarrassante. Pourtant, je me dis qu'il nous faudrait avoir une petite discussion plus tard. Il était au courant de certaines choses, c'était évident. Et je ne voulais pas que Hopper se mette entre nous…

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