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Il posa le livre entre nous sur la table. Je fis un effort pour ne pas y toucher, mais c’était plus fort que moi. Je tendis la main pour en caresser la tranche.

— Que voulez-vous dire ? demandai-je.

— Je vais essayer de t’expliquer, mais c’est assez compliqué. Non, Vlad ! Ne touche pas à ce truc, tu as bien vu que c’est dangereux. Je n’ai pas besoin d’un deuxième problème.

Je regardai le Docteur Kitu. Il semblait sortir d’une transe. Bon, il semblait que j’étais un problème…

— Vois-tu, continua Jake, certains objets ont un pouvoir. Ils sont comme…

— Magiques ?

— Oui, on peut dire ça. Mais ce n’est pas de la bonne magie, c’est une énergie néfaste. Le souci avec ces objets, comme dans le cas de ton livre, c’est qu’ils peuvent créer un lien avec de rares personnes. Tu vois ce que je veux dire ?

J’acquiesçai. Oui, je comprenais maintenant pourquoi il n’y avait que moi qui avais développé des symptômes étranges à cause de ce bouquin. D’autres personnes l’avaient touché, mais il ne s’était rien passé.

— Je crois que je comprends, dis-je. Le livre a beau me faire du mal, je ne peux pas m’en passer.

— C’est exactement ça ! Tu es liée à ce livre et si on n’y remédie pas très vite, ton état ne fera qu’empirer.

— Et… comment peut-on faire ça ?

— Il n’y a que deux solutions, dit-il. Je crois que tu connais déjà l’une d’entre elles.

Cette fois-ci, je pris mon temps. J’avais l’intuition que ce qui allait m’arriver ensuite dépendait de ma réponse. Vu que j’étais censée connaître cette solution, c’était que je l’avais forcément déjà essayée. Ou, du moins envisagée. Mais jusqu’à maintenant, je ne savais pas qu’il fallait lutter contre l’influence du livre. Je n’avais donc rien fait de spécial sauf peut-être…

— Le feu, dis-je.

— Oui. Le feu purifie. Brûler le livre peut briser le lien.

— Alors, qu’est-ce qu’on attend ?! On y met le feu et je pourrai reprendre ma vie d’avant ! C’est génial ! Qui a un briquet ?

— Malheureusement, cela ne va pas être possible, fit Jake.

Le Docteur Kitu et moi le regardâmes avec étonnement.

— Mais… pourquoi ?

— Parce qu’il m’est nécessaire que cet ouvrage reste intact. Malgré le fait que ce soit une copie, ce livre reste tout de même très difficile à trouver et j’en ai absolument besoin pour des recherches.

— Et moi dans tout ça ? Vous aviez dit que vous pouviez m’aider !

— Calme-toi… Je t’ai dit qu’il y avait une deuxième solution.

— Je vous écoute.

— Il est possible de transférer le lien que tu as avec le livre à une autre personne. Comme ça, chacun sera satisfait.

— Mais, intervint le Docteur Kitu, la personne qui recevra ce… lien sera elle aussi affectée, non ?

— Pas si c’est moi, dit Jake avec un sourire. Le problème n’est pas le lien en lui-même, mais bien l’aura maléfique qui l’accompagne. Et Vlad, tu me connais. Tu sais que je peux m’en protéger.

— Oui, sans doute…

— Bon, repose ce livre sur la table maintenant, dit Jake avec un regard appuyé vers le médecin.

— D’accord, je recule, fit ce dernier.

Une fois l’objet loin de moi, j’eus de nouveau une envie irrésistible de tendre la main vers lui. Mais Jake m’en empêcha.

— Ne le touche plus, dit-il. Regarde-moi. Tu me fais confiance ?

Il pouvait m’aider alors je hochai la tête en essayant d’avoir l’air convaincue. Mais la vue du couteau qu’il sortit alors me fit reculer.

— Tiens, dit-il en me le tendant. Je ne te ferai pas de mal, c’est promis.

J’observai le petit poignard argenté entre mes mains. Je ne savais pas ce que j’étais censée faire avec alors je le lui rendis. Puis, je sentis une brûlure sur mon bras. Je regardai la fine entaille qui y courrait. Je n’avais rien vu venir, mais, avant que je ne puisse protester, je vis que Jake avait également entaillé sa paume. Il la posa sur ma blessure et ferma les yeux.

Et pour la première fois depuis sept mois, l’étau qui m’enserrait le crâne laissa la place à une sensation de flottement et de liberté. La brume se dissipa enfin.

Je jetai un coup d’œil au livre. Soudainement, il me parut banal et sans intérêt. Je ne comprenais pas pourquoi je l’avais emporté partout pendant tout ce temps. Ce n’était qu’un livre après tout…

— Tout va bien ? me demanda Jake.

— Oui, je crois… Je n’ai plus mal à la tête, mais les images sont toujours là.

— C’est normal, me rassura-t-il. Cela s’estompera avec le temps.

Je me rendis alors compte qu’il n’y avait plus aucune trace de coupure sur mon bras. Toute cette histoire me semblait tellement invraisemblable. J’avais l’impression de sortir d’un rêve, d’un cauchemar plutôt.

— En attendant, continua Jake, je veux que tu gardes ceci sur toi en permanence. Pour éviter que quelque chose de semblable ne se reproduise.

Je pris le bijou qu’il me tendait. C’était un petit pendentif argenté représentant une étoile dans un cercle. Je vis que Jake avait le même autour du cou. Était-ce pour ça que le livre ne lui avait rien fait ?

— Tu es une jeune fille particulière. C’est pourquoi le livre t’a choisi. Il n’aurait pas pu créer de lien si ton esprit et ta volonté n’avaient pas été aussi forts, ne l’oublie jamais.

Il se leva et rangea le livre dans sa sacoche. Il ne pouvait pas déjà partir ! Maintenant que mes pensées étaient libres, il me restait des tonnes de questions !

— Merci pour ton aide, dit le Docteur Kitu.

— Quand tu veux Vlad ! Allez, j’y vais. J’ai du travail qui m’attend.

— Attendez ! m’écriai-je. Est-ce qu’on… se reverra ?

Jake me regarda avec intensité. Il semblait peser le pour et le contre. Finalement, il sortit une petite carte de sa poche.

— Passe quand tu veux, me dit-il avant de quitter le cabinet.

Le docteur Kitu et moi restâmes silencieux pendant quelques instants.

— Allez, viens. Je te raccompagne chez toi, dit-il enfin. Je ne vais pas te laisser rentrer à pied avec ce blizzard…

— Merci. Dites…

— Oui ?

— Vous avez des amis bien étranges.

— Je sais.

Le trajet du retour se fit en silence. Le chasse-neige n’était pas encore passé et le véhicule avançait péniblement dans la poudreuse.

J’admirais le paysage. Cela faisait des années que nous n’avions plus eu de la neige en cette saison, la faute au réchauffement climatique. Et, vu que je me sentais en pleine forme, je comptais bien en profiter.

— Céline, ce serait bien que tu ne racontes pas ce qui s’est passé aujourd’hui à tes parents, me dit le Docteur Kitu une fois arrivés devant chez moi.

— Bien sûr. De toute façon, ils ne me croiraient même pas ! Cependant… Merci pour tout, vous allez me manquer.

— Toi aussi. Allez, file maintenant ! Profite de la vie.

La maison était déserte. On n’était qu’en début d’après-midi et mes parents étaient encore tous les deux au travail.

Je m’écroulai comme une masse dans mon lit et m’endormis immédiatement.

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