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Avril

Il faisait beau ce matin-là. Le soleil brillait et réchauffait le sol détrempé après l'averse de la nuit. Le printemps était enfin arrivé. Les arbres commençaient à peine à reverdir, leurs feuilles d'un vert tendre apportaient une touche de couleur dans les ramures sombres et nues. Une brise fraîche faisait bruire les branches et les oiseaux chantaient à tue-tête. J'étais heureuse.

Le marché aux puces se tenait tous les samedis. C'était l'un de mes endroits de promenade favoris et pas seulement parce que j'étais une étudiante fauchée en permanence. Non, j'aimais bien l'atmosphère qui se dégageait de ces objets anciens. Je touchais à tout et je m'imaginais qui avait bien pu tenir telle épée, utiliser cette lampe ou encore mettre cette robe de mariée. J'adorais inventer des histoires. Et, même si je n'achetais pas souvent, les vendeurs commençaient à me connaître et à sourire sur mon passage.

Mais ce que j'aimais par-dessus tout au début de la belle saison, c'était que l'endroit reprenait vie après les mois pluvieux et froids de l'hiver. De nouvelles personnes arrivaient avec leurs bibelots et leurs caisses et je ne pouvais m'empêcher d'aller y fouiller.

Ma mère n'appréciait pas trop mon passe-temps. Elle me répétait sans cesse que ce n'était pas un endroit approprié pour une étudiante, qu'il n'y avait que des vieux ici et que je ferais mieux de fréquenter des jeunes de mon âge. Mais cela ne m'empêchait pas de venir sur le marché chaque fois qu'il se tenait et ce jour-là n'était pas une exception.

Je flânais donc tranquillement dans les allées, regardant à droite, à gauche pour tenter de dénicher la perle rare, cet objet qui me permettrait de m'évader quelques instants. D'autres que moi avaient déjà trouvé leur bonheur. Je vis un homme qui portait une grande poubelle rouge, un autre avait acheté un tableau qui devait bien faire dans les deux mètres de long ! De nombreuses autres personnes profitaient de la matinée pour faire des affaires. Une femme aux longues tresses colorées achetait un extracteur de jus, une autre tentait de vendre des colliers et bracelets en plastique.

1€ dans les caisses, 1€! criait-elle. Quelqu'un essayait de négocier le prix. Non, 1€. C'est trop cher ? 50 centimes alors.

Je levai la tête en entendant un camion de pompiers arriver sirènes hurlantes. Les voitures de la rue s'écartèrent tant bien que mal de son passage. Deux vendeurs discutaient tranquillement à côté de moi. Un voleur vraiment ? Il est parti par où ? Oh, il est loin depuis longtemps. S'il revient, il est mort!

Je souris et continuai mon chemin. Un peu plus loin, je m'arrêtai pour admirer une superbe petite tortue en malachite avant de la reposer. J'écoutai distraitement une jeune mère et son petit garçon. Là, là ! Où ça ? Non, c'est une tondeuse là. On ne peut pas jouer avec ? Non, Max, il faut payer ce que l'on prend. Oui, il faut pas voler parce que si on vole chez les gens, ils sont tristes. J'admirai la maturité de l'enfant.

Je m'enfonçai entre les personnes agglutinées autour d'une table. Elle était recouverte d'un tas de chapeaux de seconde main et beaucoup de femmes y fouillaient en bavardant. J'ai commencé la collection avant de commencer la photographie, disait l'une d'entre elles.

Soudain, la luminosité changea. Un gros nuage noir se mit à déverser des trombes d'eau ! Les vendeurs se précipitèrent pour ouvrir les parasols et couvrir leurs objets avec d'épaisses bâches bleues. Recouvre vite les appareils! entendis-je dire en m'abritant aussi.

La pluie cessa après seulement quelques minutes. Un joueur de guitare se remit à chanter une vieille chanson italienne. Il chantait bien et je ne pus m'empêcher de lui offrir une pièce… avant de remarquer qu'il avait caché un magnétophone dans son sac ! Je continuai mon chemin dans la boue, évitant agilement les passants, leurs caddies et les flaques d'eau. L'odeur de la terre mouillée se mélangeait à celle des cigarettes et du vieux papier.

D'un coup, sans que je ne sache pourquoi, ce fut une image qui attira mon attention. Je regardais distraitement les articles disposés sur un tapis détrempé quand la couverture de cet ancien ouvrage me sauta aux yeux. Elle représentait une forêt d'arbres immenses, survolée par de drôles de créatures qui ressemblaient à des raies mantas. Je m'arrêtai brusquement et une femme pressée me bouscula sans même s'excuser. Je n'y prêtai pas attention et m'accroupis pour mieux voir, comme attirée par ce vieux livre de contes d'apparence banale.

Le texte, d'une belle écriture curviligne, disait : Hopper, Mon aventure extraordinaire chez les Lorans.

J'étais certaine de ne pas avoir entendu parler de cet auteur. Puis, une sensation de déjà-vu s'empara de moi. Comme si je connaissais déjà cette histoire. J'eus un léger vertige en posant la main sur le livre.

— Combien pour ceci ? m'entendis-je demander.

— Pour toi, jeune demoiselle, un prix spécial… Trente euros, c'est une affaire ! Ce livre est unique en son genre, tu sais.

J'en savais surtout assez pour me rendre compte que ce type essayait de se faire de l'argent sur mon dos ! Pourtant, je sortis les billets de ma poche et les tendis sans discuter. Mais que m'arrivait-il ? Je venais de dépenser l'argent qui aurait dû me servir à faire les courses de la semaine pour… un livre !

J'ai remercié le vendeur avant de mettre l'ouvrage dans mon sac et de m'éloigner de quelques pas. Et puis…

L'instant d'après, en tout cas c'est ce que je crus, j'étais allongée à la maison dans mon lit bien moelleux. C'était impossible, je ne vivais plus chez mes parents depuis longtemps. Je choisis de laisser le rêve durer quelques instants de plus. J'étais bien ici, je n'avais aucune envie d'ouvrir les yeux. Si seulement ce bruit répétitif avait pu s'arrêter, cela aurait été parfait. Mais les bips continuaient à résonner autour de moi.

Exaspérée, j'entrouvris un œil pour découvrir un plafond blanc. Tout était flou dans la pièce plongée dans la pénombre mais je pus distinguer la source du son qui m'avait perturbé en levant le regard. C'était une machine qui indiquait, entre autres, mon rythme cardiaque. Je suivis des yeux un tube qui passait devant l'écran. Le tube était attaché à une perfusion d'un côté et à mon bras de l'autre. J'en déduisis donc que j'étais à l'hôpital. Je tentai en vain de rassembler mes souvenirs avant de me rendre à l'évidence : je n'avais aucune idée de ce que j'avais bien pu faire pour arriver ici.

Je tournai la tête pour voir ma mère endormie dans un fauteuil à côté de mon lit. Plus loin, mon sac à dos beige dépassait d'une armoire entrouverte. Le smiley vert que j'y avais accroché semblait me sourire avec ironie. Je me demandai depuis quand je pouvais me trouver là et tentai de me lever pour en savoir plus.

— Céline ! Dieu merci, tu es enfin réveillée !

Ma mère, bien alerte à présent, s'agitait autour de moi avec inquiétude.

— Maman ? Mais qu'est-ce que…

— Attends, je vais appeler le médecin.

Elle partit en courant, me laissant seule avec mes questions. Cela ne dura pas longtemps. Elle revint, accompagnée du Docteur, un grand type barbu qui semblait mal réveillé. Et pour cause, selon l'horloge, il était trois heures du matin… Il vérifia mes constantes et agita une petite lampe devant mes yeux.

— Tu peux la suivre du regard s'il te plaît ?

Je fis ce qu'il me demandait.

— Sais-tu quel jour nous sommes ? demanda le médecin.

Je réfléchis un instant. La dernière chose dont je me souvenais, c'était que j'achetais un livre samedi matin… Mais ensuite ? Nous étions la nuit, donc logiquement…

— Dimanche ?

Je vis un pli se former entre ses sourcils.

— Non, mardi…

— Mardi ? Mais c'est pas possible ! J'ai dormi pendant deux jours ?

Au regard inquiet que me lança ma mère, je compris que oui. J'essayai de me calmer.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je doucement.

— Justement, me répondit le médecin. Nous comptions sur toi pour nous le dire. Des passants t'ont trouvée inanimée près du fleuve et ont appelé les secours. C'était samedi. Nous avons fait tous les tests possibles mais les résultats sont revenus normaux. Tu ne te souviens vraiment de rien ?

— Non… Je sais que j'étais à la brocante et puis… je me suis réveillée ici.

— Encore cette maudite brocante ! s'emporta ma mère. Combien de fois t'ai-je dit de ne plus y aller ? Ce n'est pas…

Le médecin la poussa fermement dehors en disant que je devais me reposer. Ils sortirent tous les deux, me laissant à nouveau seule.

J'essayai en vain de me rendormir. Je me sentais un peu faible mais pas du tout fatiguée ! Je rejetai les couvertures, il faisait trop chaud dans cette chambre. Tout était calme autour de moi mais un millier de pensées tourbillonnaient dans ma tête. Il y en avait une qui revenait souvent, l'image de la forêt avec ses animaux étranges. Mais cela n'expliquait pas ce qui m'était arrivé. J'avais toujours été en bonne santé et voilà que je venais de passer deux jours à l'hôpital sans le moindre souvenir de comment j'étais arrivée là.

Je me levai lentement en faisant attention aux fils et à la tubulure de la perfusion. Une fois devant mon sac, je sentis ma tête tourner. Je pris peur et reculai ma main. Et si jamais je faisais un nouveau malaise en touchant cet objet ? D'un autre côté, j'avais envie de savoir. Tout avait commencé quand j'avais vu ce livre. Il avait quelque chose de particulier, j'en étais certaine.

— Ce n'est qu'un livre après tout, dis-je tout bas.

Je le pris entre mes mains et il ne se passa rien. Je revins dans le lit et regardai la couverture écornée. Je n'arrivais pas à croire que j'avais dépensé trente euros pour un vieux livre qui sentait le moisi ! J'espérais au moins que l'histoire en valait la peine…

Je tournai quelques pages. Décidément, je m'étais bien faite avoir. Une bonne partie du texte était illisible et ce qui restait n'avait aucun sens… N'ayant rien de mieux à faire, je revins au début et en commençai néanmoins la lecture.

Je passai encore deux jours enfermée dans cette chambre lugubre, le manuscrit comme seule distraction. Puisque mes résultats étaient toujours normaux, on m'autorisa finalement à rentrer à la maison le vendredi matin. Ma mère me conduisit à mon petit appartement et me demanda mille fois si j'étais sûre que je n'avais besoin de rien.

La seule chose dont j'avais réellement envie, c'était de retrouver le vendeur de ce maudit bouquin et de le lui rendre. Peut-être qu'alors cette histoire sortirait enfin de mon esprit…

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