Chapitre 2

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L’homme toqua à la porte et attendit qu’une voix grave l’invite à y entrer.

Il tira sur la poignée et les laissa pénétrer dans une large pièce sombre remplie de bibliothèques et de tableaux luxueux en tout genre. Taeliya aimait l’art, plus particulièrement la musique et le dessin, ça lui permettait de s’évader un tant soit peu de la vie qu’elle menait.

De faibles éclairages donnaient un aspect lugubre au lieu et à la personne assise dans un large canapé en cuir sombre.

— Ce doit être la petite que vous êtes allé chercher ? s’exclama cette voix aussi grave et froide que le tonnerre. Comment va-t-elle ?

— La gorge inutilisable pour l’instant. Son état est inquiétant tout de même. Un ami m’a envoyé son dossier médical.

— Sa famille n’avait plus de quoi lui payer ses soins, continua l’homme imposant qui riva son regard droit dans celui de la jeune fille frigorifiée et apeurée. Le saviez-vous ma chère ?

Taeliya secoua négativement la tête, les yeux exorbités par l’incompréhension. L’homme lui dévoilait des informations dont elle pensait qu’il s’amusait à inventer pour lui faire peur, mais son regard était bien trop sérieux pour qu’il le fasse. Il se leva pour se diriger vers son large bureau en bois massif, attrapa un dossier dessus et le lui tendit avant de reprendre place sur le canapé.

Les quelques hommes présents détaillèrent la jeune fille qui tournait fébrilement les pages. Tout y était : les noms, prénoms de sa famille ainsi qu’elle-même. Dates de naissance, lieux, cursus scolaire, études, travail, relations, tout s’y trouvait, même son passé médical. Mais ce qui attira son attention fut les déclarations signées par sa famille sur une demande d’emprunt auprès du clan, le montant exact puis l’absence de remboursement, le délai octroyé, etc.

Les larmes coulèrent sur ses joues, dans un silence assourdissant. Son cœur lui faisait mal, sa bouche était sèche, son cœur brisé. Elle avait froid, sa tête lui tournait et elle avait la sensation que la terre s’ouvrait sous elle.

Tes parents et ton frère sont venus me voir quand tu es née pour demander une certaine somme qu’ils me doivent encore. Ton regard m’indique que tu n’en savais rien, mais vois-tu… Je n’aime pas prêter sans récupérer, et comme tes égoïstes parents ont écrit dans ce testament que tu me reviendrais au cas ou ils n’arrivaient pas à me rembourser intégralement. Sauf que qu’avec ta condition, tu ne me servirais pas à grand-chose. Toutefois, en fouillant dans ton dossier scolaire, j'ai pu avoir des informations qui ont pour le coup été très utile.

Taeliya releva la tête pour l’observer et chercher à comprendre où il voulait en venir. En quoi ses études pouvaient être utiles à un parrain de la mafia aussi puissant que lui ? N’avait-il pas déjà tout ce qu’il voulait ?

Elle attrapa la feuille et le stylo que Joe lui avait fournis et se mit à écrire, s’aidant du dossier pour ne pas percer la feuille :

« En quoi mes études peuvent vous être utiles ? »

— Astucieux, sourit-il la faisant frissonner jusqu’à la pointe de ses boucles miel. Tu es en faculté d’art et en discutant avec tes professeurs, ces derniers m’ont appris que tu avais travaillé avec des professionnels afin de parfaire tes talents ainsi que pour déterminer le vrai du faux. Vois-tu petite chose, je suis un adorateur d’art et j’aime marchander des œuvres. Toutefois, la dernière personne qui a tenté de me vendre un tableau français très rare, s’est avérée être un sale escroc qui voulait une compensation très importante pour un faux. Il en a payé le prix.

Taeliya se mit à frissonner en imaginant les pires tortures qu’avait pu subir ce pauvre homme. Mais avait-il vraiment eu envie d’escroquer un homme comme celui qui se tenait en face d’elle, tel un empereur régnant sur son empire sanglant ? N’avait-il donc aucune idée de la valeur de sa propre vie pour vouloir se frotter à une famille aussi importante de la mafia ?

La jeune fille se frotta les bras, totalement glacée.

— Pour reprendre, en me renseignant sur vous ma chère, vos enseignants n’ont pas tari d’éloges sur vous. Ils m’ont vendu beaucoup de vos qualités qui pourraient m’être très utiles dans mes affaires et m’éviter beaucoup d’erreurs. Votre condition de santé ne vous permet pas de travailler comme les autres qui occupent mes hôtels, mais votre beauté et intelligence pourraient faire des ravages auprès de mes clients et adversaires. Que diriez-vous de passer un petit test ? En fonction du résultat de celui-ci, nous aviserons de ce que je ferai de vous ensuite. Qu’en dites-vous ?

Taeliya voulait vomir.

Elle ne se sentait pas bien, mais comprit très vite qu’elle n’avait pas le choix. S’il lui offrait ce genre de proposition, peut-être lui permettrait-il de continuer ses études et ses traitements jusqu’à ce qu’elle ait payé les dettes de sa famille. En réfléchissant bien, elle n’avait pas beaucoup de solutions. Surtout que, si elle échouait à ce fameux test, il la tuerait sûrement à moins qu’il ne la vendrait à d’autres pour un prix plus intéressant ou au rabais.

Mais qu’est-ce que je dis… « au rabais »… Je suis tombée bien bas en quelques heures… pensa la jeune fille en regardant le dossier posé sur ses genoux.

Après quelques instants de réflexions, elle se saisit de son stylo et gribouilla quelques mots sur sa feuille qu’elle leva.

« D’accord, je n’ai pas le choix de toute façon. Mais si je réussis ce test, j’aurai deux conditions. »

Mais qu’est-ce qu’elle venait de faire ?! Était-elle folle de vouloir négocier avec un meurtrier ?

— C’est d’accord ! dit-il en souriant. Apporte-le.

Un des hommes assis sur un fauteuil, se leva et alla chercher, dans une salle adjacente, un homme bien amoché qui tenait contre lui un cadre en bois ciré.
Il trébucha sur un pan du tapis sombre et se retrouva à genoux devant l’assemblée que constituaient les quelques hommes de mains de Carlington. Tétanisé, il releva la tête vers elle, mais au lieu de l’implorer du regard pour lui venir en aide, ce dernier la toisa avec mépris.

— Vous avez engagé une gosse ?

— Voyez-vous ma chère, ce monsieur a tenté de m’escroquer et comme je vous l’ai dit, je n’aime pas me faire doubler. Seriez-vous en mesure d’authentifier l’œuvre ?

Taeliya gribouilla à nouveau :

« Je ne suis pas une experte, mais si c’est ça le test, je vais essayer. »

— Bien. Donnez-lui le tableau, ordonna l’homme d’affaires mais fut vite arrêté par la jeune fille qui fit signe à un de ses hommes de lui donner quelque chose.

— Tes gants, dit Sonia. Elle veut tes gants, pour ne pas toucher l’œuvre.

Taeliya hocha la tête pour confirmer l’information. Elle lui tendit sa petite main fine et glacée et malgré son aura inquiétante, il lui donna ce qu’elle voulait. Elle hocha la tête pour le remercier timidement.

Elle voulu prendre délicatement le tableau, mais l’homme accroché au cadre refusa de s’en séparer.

— Y pense même pas gamine !

— Ta gueule, on t’a rien demandé. Donne le lui si tu veux pas qu’on te prenne les bras avec.

Effrayée, Taeliya sursauta, finalement il le lâcha. L’homme debout derrière lui, sortit un long couteau incurvé.

Sonia prit le cadre et le posa sur l’accoudoir du canapé près de la jeune fille. Celle-ci prit une grande inspiration afin de se concentrer et se lança dans l’étude du tableau sous toutes ses coutures.

Durant dix bonnes minutes, le silence avait rempli le grand bureau, tous étaient dans l’attente du verdict de la jeune fille qui fronçait les sourcils par moment. Elle savait qu’une vie était en jeu, soit la sienne si elle échouait, soit celle de cet homme qui cherchait à se sauver. Mais quand elle ferma enfin les yeux, épuisée, elle montra un endroit sur la toile.

— C…C’est un f…faux… murmura-t-elle la voix encore enrouée et la gorge douloureuse.

— T’as quelle preuve ? demanda un des hommes.

— Je… cos… connais l’œuvre ori…gi…nale. On... l'a é…tudié… en cours… souffla-t-elle.

— Prends ton temps ma belle, lui dit Sonia.

Taeliya pointa alors un coin et expliqua du mieux qu’elle put le défaut et ce que comportait la vraie toile. Elle leur donna le nom et ils purent faire une recherche rapide sur leurs portables et le montrer au patron.

Elle leur fit un exposé passionné sur l’œuvre et ce qui avait été utilisé pour la faire ainsi que le cadre, etc. Au bout du compte, Carlington se dit qu’il avait bien fait de céder à ce marché sordide. Il perdrait de l’argent à la soigner, mais elle allait lui en faire gagner le double voir le triple.

Quand Taeliya s’arrêta, prise d’un vertige, elle se rappela que, ce qu’elle venait de faire, allait mener cet homme à une mort certaine. Oserait-elle assumer d’avoir causé la perte de cet inconnu, tout ça parce qu’elle tentait de sauver sa peau alors qu’elle ne voulait même pas se trouver ici ? Assumerait-elle que cet homme, bien qu’il soit un escroc, allait perdre sa vie à cause de son expertise ? Bien sûr que non, mais avait-elle le choix de toute manière ? Encore une fois, non.

Joe insista pour qu’elle se repose et Sonia la recouvrit du plaid, frottant ses bras pour tenter de lui apporter un peu de chaleur telle une mère avec son enfant. La jeune fille versa une larme en souvenir de sa mère qui avait, malgré tout, été là pour elle durant dix-neuf ans et qui lui avait apporté beaucoup d’amour. Son cœur se serra, mais elle dut se reprendre, car tout se jouait maintenant.

Carlington se leva, pistolet au poing. Il s’avança vers elle et demanda :

— Donc, je me suis fait escroquer de trois millions pour un faux ?

— Trois… trois millions ?!

Taeliya hoqueta de stupeur, elle jeta un regard horrifié à l’homme à genoux à côté d’elle qui avait la tête baissée. Mais alors que Carlington armait son flingue, Taeliya lui attrapa le bras, surprenant tout le monde.

— Je… S’il vous plaît, je ne veux pas voir ça…

L’homme menaçant plongea son regard violant dans ses yeux vairons, sa bouche se releva en un sourire machiavélique. Il baissa alors son bras et remit le cran de sécurité.

— Tu as de la chance, je ne veux pas voir ma pupille mourir tout de suite. Ma chère, vous avez réussi votre test. Comme accordé, je veux bien accéder aux deux conditions que vous avez cité plus tôt.

— Je… Je veux continuer mes études, se lança-t-elle.

— Et la deuxième concerne votre santé, n’est-ce pas ? Rassurez-vous jeune fille, je ne vais pas vous laisser dépérir après avoir enfin trouvé une perle rare qui va me rapporter gros.

— La deuxième est que je ne veux pas être marquée comme esclave ou appartenant au clan, souffla-t-elle.

Tous la dévisagèrent surpris, Carlington venait d’être pris de court et dû s’avouer vaincu pas ce petit bout de femme. Il partit dans un grand éclat de rire.

— Donc si je comprends bien, je vais devoir jouer au papa avec vous ?

— Ne… Pas besoin d’en arriver là, mais je dois régler les dettes de ma famille, et je ne veux pas finir sans savoir ni expérience. Alors si vous accéder à mes requêtes, je ferai ce que vous voudrez, déclara-t-elle non sans rougir.

— Bien, bien. Tout le monde est témoin de votre déclaration ma belle ! dit-il fier de lui. Sortez-la, nous nous reverrons au dîner. Il y aura des choses à dire. Chère demoiselle apprenez ceci : même sans marque, vous appartenez maintenant à ce clan. Que vous le vouliez ou non vous êtes maintenant dans l’organisation.

— Pitié… murmura-t-elle en détournant la tête sur le point de pleurer face à ce qu’elle venait de faire pour se sauver égoïstement.

— Sonia, Laurent, accompagnez-la dans sa chambre. Je vous ferai appeler plus tard.

La mafieuse s’inclina devant son maître, attendant que l’autre homme de main ne la rejoigne avant que tous les quatre ne quittent le bureau sous les cris outrés de l’escroc.

— Elle ment ! Elle ment, c’est pas un faux !!

— Bouche-toi les oreilles, petite… lui indiqua Laurent.

Fébrilement, elle obéit en posant ses mains à plat, masquant très mal les cris qui s’atténuèrent à mesure qu’ils quittaient le couloir. Sonia avait pitié pour cette jeune fille qui, en plus d’avoir été abandonnée et vendue, se trouvait être gravement malade et affaiblie par un manque d’entretien flagrant. Joe poussa le fauteuil vers une autre partie de l’hôtel réservé au clan quand il devait accompagner leur chef durant ses nombreux déplacements.

— Cette chambre est temporaire, lui indiqua Sonia en arrivant devant une porte.

— Je ne vais pas rester là ? demanda Taeliya dont la voix s’améliorait.

— Non, nous rentrons demain au manoir du Boss. Tu y auras ta propre chambre.

— J’ai peur…

— Tout ira bien, tu as assuré durant le test donc ne t’en fait pas, tout ira bien.

Laurent lui ouvrit la porte et ils pénétrèrent dans une vaste chambre qui puait le luxe, ce qui mettait la jeune fille dans un inconfort bien visible.

— Il… Il n’y a pas moins… voyant et plus petit ? demanda-t-elle en osant regarder autour d’elle.

— Malheureusement, le Boss nous a demandé de préparer celle-là. Tu auras tout le loisir d’aménager celle que tu auras au manoir, lui indiqua Laurent en refermant la porte.

Taeliya ne se sentait pas bien, elle allait vomir. L’adrénaline redescendait, ses dernières forces allaient la laisser inerte mais Joe fut le plus rapide à réagir. Il lui apporta une petite bassine qui se trouvait sous le fauteuil et la lui posa sur les genoux, Sonia lui retint les cheveux et caressa son dos. Laurent détourna le regard, non pas qu’il était dégoûté, mais cette petite lui avait fait forte impression malgré tous les drames qui s’étaient acharnés sur elle en si peu de temps.

— Merci… bredouilla-t-elle en prenant le linge humide que lui tendit Joe pour s’essuyer la bouche.

— Tu te sens mieux ?

— Quelle heure est-il ? Demanda-t-elle.

— Bientôt l’heure d’aller dîner.

— Je dois prendre…

— Je m’en charge, ne t’inquiète pas, lui dit Joe avec un petit sourire rassurant.

Elle hocha simplement la tête pour le remercier.

— Vous deux, vous sortez ! ordonna soudainement Sonia.

— Mais ?

— Pas de « mais », Taeliya a besoin d’un bon bain et je ne pense pas qu’elle ait très envie que vous la voyiez nue. Je vous appellerai quand on aura fini. Allez oust, dehors !

Elle les poussa jusqu’à la porte qu’elle ouvrit et la leur claqua au nez.

— Bon ! Il est l’heure de te laver ma belle ! s’exclama la mafieuse toute sourire.

***

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