XV - Avant-poste

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Le soleil était tranquillement en train de se lever quand Hermann sortit de sa cabane. Ici, le matin était toujours une réjouissance, car le soleil émergeait de l’autre côté du Fossé et la lumière se diffractait merveilleusement bien au travers des débris de verre. Quand il était encore assez tôt pour regarder l’astre sans sourciller, on assistait à un formidable ballet kaléidoscopique.

Hermann pensait ne jamais se lasser de ce spectacle, et il en profiterait jusqu’au bout. Quand était prévu l’effondrement critique ? Il ne savait plus trop, mais en même temps ceux de la grande ville ne le savaient pas trop non plus. C’était irrémédiable, c’était la seule certitude. Entre-temps, Hermann était très bien tout seul à contempler le fossé à longueur de journée. A voyager beaucoup, il n’avait jamais créé beaucoup d’attaches. Il préférait être seul aux premières loges plutôt que de participer à la grande psychose collective qui se jouait en ville. Et qui sait, peut-être qu’après le voyage reprendrait ?

Au loin, se tenait jadis les contrées reculées aujourd’hui vitrifiées qu’il avait tant aimé parcourir. La grande Jeylan, le mur de Raman ou encore les provinces occultées, il éprouvait quand même une tristesse à les savoir disparues. Mais tout cela n’était plus que souvenirs, une réalité devenue rêve qui n’avait peut-être même jamais existé.

Ce matin, Hermann était particulièrement joyeux. Il savait pourtant que la journée serait longue. Le Fossé avait gagné beaucoup de terrain ces derniers jours, et il devrait reculer sa cabane d’une centaine de mètres si il voulait être tranquille pendant une bonne dizaine de jours. Il n’était pas le plus mal loti, pour un bordurien. Son avant-poste traversait une belle campagne un peu boisée. Il essayait tant que faire se peut de rester à proximité d’une rivière qui coulait perpendiculairement à la bordure et se jetait dans le grand vide. Chaque jour, il se réservait un temps pour aller voir la chute d’eau sans cesse remodelée par l’avancé du Fossé. Parfois, un gros bloc du lit de la rivière en fin de vitrification se détachait et était emporté par le courant. Plus rarement, le lit se perçait et l’eau se mettait à couler au travers, provoquant un tourbillon bruyant. C’était le cas ce matin, et Hermann en était particulièrement ravi. Il aurait voulu pouvoir voler afin de voir ce spectacle sous tous les angles.

Une fois repu de la vision hypnotique de ce tourbillon sans fin, Hermann retourna à la cabane afin de préparer son déplacement. Un homme l’y attendait. Il était habillé comme ceux de la grande ville. Son visage n’était qu’effroi.

-Que veux-tu ? demanda Hermann.

-La ville, balbutia l’homme. Toute la ville s’est vitrifiée, et s’est effondrée.

-Le front sud l’a atteint ?

-Non, un nouveau front s’est ouvert sous le vide et elle s’est effritée en quelques minutes.

Hermann était inquiet. La fin approchait plus vite que prévu et sa vie de contemplation risquait d’être fortement abrégée. Tout cela était bien contrariant.

-Bon, et les autres, tes semblables ?

L’homme prit une grande inspiration.

-Ça a eu lieu la nuit. J'étais juste à la lisière de la ville quand c’est arrivé.

-Il n’y a que toi comme survivant ?

-Peut-être pas, mais à part vous je n’ai rencontré personne.

-Bien.

C’était moins pire que prévu. Hermann n’avait pas envie de finir sa vie entouré d’une bande de pleurnicheurs. Un seul, ça irait.

-Alors écoute, il y a assez de place dans ma cabane pour deux personnes. Tu m’aideras pour l’entretien et les différents travaux, mais à part ça, chacun fait sa vie, d’accord ?

Faire sa vie, voilà un terme qui semblait maintenant bien étrange à l’inconnu. Mais il accepta, conscient de ne pas avoir le choix.

-Je m’appelle Hans.

-Je n’ai que faire du nom des morts, dit Hermann d’un air distrait.

Cette réponse subjugua Hans qui eut un mouvement de recul. Hermann eut un éclat de rire.

-Je plaisante ! Moi c’est Hermann. Écoute, j’ai mon plan personnel jusqu’à la fin et je n’ai pas l’intention de te materner. Il va falloir que tu trouves une raison à tout ça, ou un dieu qui t’arrange pour ne pas trop partir en vrille les prochaines semaines. Je peux quand même te conseiller une chose. Va dans la rivière et plonge d’un coup. Cri, hurle, enrage, laisse tout ce que ton cœur vient d’encaisser exploser. Livre le au monde, et sans pudeur. Plus aucun humain ne te regarde. Quand tu auras terminé, tu viendras m’aider à déplacer la cabane.

Hans reprenait à peine ses esprits, mais comprenait les aspects pratiques. Son instinct de survie l’aida à reprendre pied.

Et il s’en alla vers la rivière. Il cracha toute sa rage, expulsa toutes les larmes de son corps pour rendre à l’eau froide de la rivière et au monde tout ce qui était trop lourd à porter. Quand enfin il eut le cœur plus léger, il s’abandonna aux flots. Le courant le porta au bord du monde d’où sa chute fut probablement une des plus poétiques des derniers instants de la civilisation.

Le seul spectateur fut Hermann, en retrait. Satisfait d’avoir offert une mort rapide et grandiose à cet homme qui n’était pas taillé pour le moment. Il aurait fait des histoires, Hermann ne connaissait que trop bien ceux de la grande ville. Alors il put rentrer à la cabane et commencer ce qui serait probablement son dernier déplacement.

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