Chapitre 23

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Se hisser sur ses orteils dans le but de caser une charge lourde était fort délicat. Bien plus dangereux qu’il n’y paraissait. Sa chute avait bien failli lui valoir une entorse. Par chance, elle fut rattrapée en plein vol par deux mains salvatrices. Mais la jeune femme ne remarqua que les taches d’encre qui les maculaient. Jusqu'à ce que contrainte de se retourner, elle découvrit l’identité de son sauveur : l’homme de la cabine. Celui-ci relâcha doucement son emprise. Intimidée par cette proximité soudaine, les battements de son cœur s’accélérèrent.

— Je vais m’en charger c’est préférable, lui dit-il poliment avant de s’emparer de sa valise qu’il hissa au-dessus de leurs têtes.

— Je vous l’accorde, cela est plus judicieux, bégaya-elle, mal à l’aise. 

Leurs regards se croisèrent et pour la première fois, depuis bien longtemps, Pippa fut désarçonnée par la situation. Perdue dans ses yeux clairs, elle se demandait si sa mère avait ressenti la même chose lorsqu’elle avait fait la rencontre de Max. Cette attraction indéniable, inévitable même, à laquelle résister, était impossible.

Elle se laissa tomber sur la banquette, abasourdie. Tout en lui était propice à la luxure. Son élégance, ses cheveux aussi noirs que l’ébène et ses bonnes manières qu’il n’essayait pas de dissimuler.

— Je crois que vous êtes assise sur mes notes, lui fit-il remarquer. 

Pippa manqua de se composer et se fondit en excuses.

— Je suis confuse. Sincèrement confuse, répéta-t-elle alors qu’elle s’empressa de se relever.

Elle tortilla ses doigts, incapable de dissimuler son embarras.

— ça m’arrive aussi, lui confia-t-il.

La jeune femme arqua un sourcil, ne comprenant pas un mot à ce qu’il venait de dire.

— Quoi donc ?

— D’être plus tête en l’air que tête en l’air, répondit-il avec une évidence presque désinvolte.

— Je ne suis pas si étourdie, je peux vous l’assurer.

Elle releva fièrement le menton, incapable de reconnaître ses torts. Que lui arrivait-il ? Cherchait-elle réellement à impressionner cet homme ? Et ce, quitte à se perdre à son propre jeu ? Que lui arrivait-il ?

— Mais alors que faites-vous encore debout ? s'amusa-t-il.

Il s’empara de son manuscrit et s’assit face à la fenêtre. 

Machinalement, la jeune femme s’installa face à lui, sans quitter le manuscrit qu’il tenait fermement contre son torse. 

— Vous êtes éditeur ? lui demanda-t-elle.

Elle se contorsionna sur son siège, soudainement frappée par son indélicatesse.

— Pas tout à fait. Disons plutôt que je tiens la plume. Et vous ?

— Moi ? répondit-elle avec stupeur.

— Vous écrivez ? Cuisinez ? Que faites-vous de votre temps libre ?

— Etes-vous toujours aussi indiscret cher Monsieur ? le nargua-t-elle.

Il se pencha vers elle, sans que son regard ne lâche le sien. Son cœur s’emballa de plus belle.

— Devrais-je vous retourner la question ?

Touché, coulé, songea-t-elle. Cet homme avait une sacrée répartie !

—  Appelez-moi Callum. Callum Turner.

Pippa lutta pour ne pas bondir sur le champ. Mais, elle ne voulait pas prendre le risque de passer pour une hystérique ou une de ces jeunes fans écervelées, faisant des pieds et des mains dans l’espoir de rencontrer leur idole.

— Le Callum Turner ? L’auteur du Paradis des mouettes ?

Il acquiesça. 

— Et je suppose que ce que vous tenez fermement contre vous est votre prochain bestseller ? poursuivit-elle, piquée par la curiosité.

— Bel esprit de déduction. Toutefois il est encore trop tôt pour se prononcer sur la réussite de cet ouvrage. Ne pensez-vous pas ? 

— Vos romans sont de véritable chef d’œuvre. En quoi celui-ci serait-il différent des précédents ?

— Je pourrais avoir perdu toute inspiration.

— J’en doute sincèrement. Je maintien mes propos. Vos romans sont de véritable chef d’œuvre.

Il baissa les yeux et tritura du bout des doigts la corde sèche qui nouait entre elles les pages de son manuscrit.

— Personnellement, je ne connais pas plus d’une dizaine de romans qui méritent d’être qualifiés ainsi. Et aucun de mes textes ne figurent pas dans ce classement.

— Vous devez être bien difficile. Puis-je savoir quels sont les heureux élus ? insista-t-elle.

— Vous le dévoiler m’exposerait à votre jugement. Devrais-je en prendre le risque ?

Son ton devint plus taquin. Il prenait un malin plaisir à cette rhétorique.

— Je ne saurais prendre cette décision pour vous, rétorqua-t-elle.

Elle rougit, surprise par la longévité de leur échange. Sous le coup de l’émotion, elle retira ses gants. Son regard fut attiré par la pierre qui ornait son alliance. Elle la retira discrètement de son annulaire, dans l’espoir de chasser son passé de son esprit. Et plus particulièrement Tom. En vain. Cette bague avait eu en elle l’effet d’une bombe et la ramenait considérablement à la réalité. Lorsque Tom se rendrait compte de sa disparition, que ferait-il ? Se lancerait-il à sa recherche ?

Quoi qu’il en soit, Pippa était sûre d’une chose : son époux la ramènerait de force dans cette bâtisse délabrée. S’il elle souhaitait s’en sortir, une solution s’offrait à elle : préserver son identité. Sa seule et seule chance de s’en sortir.

— Pourquoi le Yorkshire ? l'interrompit Callum.

— J’avais besoin d’échapper au tumulte de Londres. Ici, j’espère y trouver une certaine tranquillité. Loin de toute obligation, des conventions et des us.

Elle aurait pu lui mentir, lui dire qu’elle rendait visite à sa tante. Ou à n’importe qui d’autre. Mais il avait fallu qu’elle joue la carte de l’honnêteté alors que l’ombre de Tom pesait sur leurs têtes.

— Flânée au sein de la petite ville de York est des plus revigorant, vous verrez. Les habitants y sont bienveillants et quelque peu charismatiques.

Il baissa la voix, s’inclina, noua le lacet de sa chaussure puis murmura :

— Un refuge idéal pour les âmes perdues. 

*

Le train décéléra, signalant son entrée en gare. Elle jeta un coup d’œil par la fenêtre. La pluie avait cédé sa place au soleil. Pourtant, Pippa ne fut que peu ravie de quitter le confort de sa cabine. Le temps lui était compter. Si elle ne trouvait pas rapidement un emploi, elle serait condamnée à dormir dehors.

Pourtant et contre toute attente, quitter cet homme l’effrayait davantage. En sa compagnie, le trajet avait été des plus divertissant. Ce Callum Turner parlait de littérature avec un dévouement qu’elle n’avait connu nulle part ailleurs. Lire, écrire n’intéressaient plus personne. Les Londoniens préféraient se délecter des tabloïds et autres torchons que de se plonger quelques heures dans un univers lointain. Jamais Pippa n’avait eu de débats aussi profonds. A ses côtés, elle se sentait entière. Cette osmose, qu’elle avait cru avoir trouvé auprès de Tom ce fameux été sur la côte italienne, elle la redécouvrait auprès de Callum. Là où Tom avait œuvré dans le but de la séduire, Callum, lui, parlait à cœur ouvert. Sans la moindre arrière-pensée.   

Le train s’arrêta dans un ultime crissement. Pippa se leva à contrecœur. Résignée, elle récupéra ses bagages, prête à faire une croix sur ce bel aparté.

— Un coup de main ?

Derrière elle se tenait un Callum prêt lui prêter main forte. Il s’était résigné à lâcher son manuscrit et sa valisette.

— Avec plaisir, souffla Pippa, peinant à agripper son imposante valise.

Elle s’écarta. Ce dernier s’empara de ces effets personnels sans la moindre contrainte.

— Vous avez faim ? lui demanda-t-il, le souffle court.

La jeune femme hocha la tête.

— Alors je vous invite. Je connais un très bon salon de thé près de l’Abbaye Sainte Marie.

Elle resta muette, heureuse d’échapper encore un peu à la solitude qui l’attendait.

— Avec un peu de chance, nous aurons même droit à un feu de cheminée.

Il lui proposa son bras pour poser un pied sur le quai, s’emparant de temps à autre de sa valise lorsque leur trajet s’avérait plus délicat.

— Où habite votre tante ? lui demanda-t-il alors qu’ils regagnaient les remparts, espérant lever le voile sur sa venue à York.

— Qui vous a dit que je séjournais chez ma tante ? s'étonna-t-elle.

— Mon intuition.

— Eh bien vous devriez revoir vos intuitions cher ami.

Elle le cherchait du regard mais sa frange emmêlée par le vent lui masqua la vue.

— Toutes les jeunes femmes qui partent en voyage se rendent toujours chez leur tante, affirma-t-il, sûr de lui.

Sa gorge se noua. Cette confiance lui rappela étrangement Tom. Lui aussi aimait faire de quelques cas une généralité. Cette constatation la peina. Et si elle se trompait sur cet homme ? Devait-elle fuir sur le champ ?

Alors d’un ton plus sec qu’il ne le devait être, elle ajouta :

— Vous venez de rencontrer la personne qui fait exception à la règle.

Callum pivota et se posta juste devant elle. Il plongea ses yeux dans les siens.

— Vous m’étonnez.

Il se tue quelques instants avant de reprendre :

— Je viens de réaliser que nous ne m'avez même pas dit votre nom.

Un silence s’installa entre les deux jeunes gens. Elle devait trouver un nom commun qui lui permettrait de s’en sortir son encombre.

— Pippa Strauss. Mais appelez-moi Pippa.

— Entendu Pippa.

Il lui tendit la main, laissant Pippa perplexe.

— N’est-il pas d’usage de se serrer la main ?

Son visage s’illumina. Occupée à comparer cet homme à Tom, elle en avait oublié les bonnes manières.  Elle retira les mains de ses poches et lui tendit à son tour la main.

— Ravie de vous connaître Mademoiselle Strauss.

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