Chapitre 21

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Comme il avait pris l'habitude de le faire depuis plusieurs semaines, Tom Harris se gara devant le 41. Il enfila son manteau long en laine et s’extirpa du véhicule. La nuit était douce en ce début de mois de Mars. On pouvait même observer les étoiles.

Tom poussa la porte de l’hôtel et s’enregistra à la réception. Il regagna la chambre seize et attendit que le personnel lui apporte une bouteille de champagne. Il aimait cette nouvelle routine. Cela lui donnait l’impression d’être un homme nouveau. Bien loin de ce Tom colérique qui agissait sous l’impulsion.

Ne plus penser à Pippa lui offrait une certaine forme de sérénité. Le simple fait de trouver du réconfort dans les bras d’une autre femme suffisait à la satisfaire. Même si cela ne durait jamais bien longtemps. Car il ne pouvait chasser Pippa éternellement de ses pensées. Elle était l’amour de sa vie. Jamais, il n’avait ressenti un désir aussi vif pour une femme. Il lui arrivait, d’ailleurs, pendant l’acte, d’imaginer qu’il partageait cet instant avec son épouse. Cela l’aidait à atteindre l’orgasme plus facilement. 

Bien que Tom se soit toujours considéré comme l’homme d’une femme, se sentir désiré relevait de la nécessité. Il avait toujours agi ainsi. Il s’était forgé une réputation bien méritée, qu’il niait, toutefois, de but en blanc. Il refusait que sa réputation soit entachée de la sorte. 

Il se dirigea vers la salle de bain et défit sa cravate. Tout lui semblait étouffant. Bien que ces rencontres régulières lui apportassent de la satisfaction, la culpabilité finissait par le gagner. En s’évertuant à tromper Pippa, il ne voulait qu’une chose :  qu'elle souffre autant que lui. Il fallait que la pilule passe. Mais l’annonce du Dr Johnson hantait ses nuits. Il avait fui le domicile conjugal, tel un lâche. Pourtant, il n’avait pas la force d’affronter Pippa. Il la détestait. 

Un appel de la réception le contraint à quitter sa chambre. On le demandait. Il s’engouffra dans l’ascenseur et regagna le hall d’entrée. La moquette aussi douce que le coton, les menuiseries, toutes plus somptueuses les unes que les autres, lui procuraient une sensation de confort. 

Il regagna peu à peu l’entrée. Son regard s’arrêta sur cette femme qui jusqu’à dernièrement, n'avait jamais attirer son regard. Elle retira ses gants. Elle était belle dans sa robe Corolle lilas. Bien plus belle que la moitié des femmes séjournant au 41. Jill quitta son siège lorsqu'elle vit Tom avancer vers elle. Elle l'accueillit avec enthousiasme, lui offrant même ses deux joues.

— Allons dîner veux-tu ? lui proposa-t-il, avec douceur.

La jeune femme acquiesça, heureuse de le retrouver. Elle marcha sur ses pas, impatiente de passer un moment, seule, avec l'homme qui partageait ses nuits. Les couples se formaient et se séparaient. Ainsi allait la vie. Leur voyage en Italie marqua la fin d'une amitié, qui étrangement, la libéra. Elle jalousait Pippa. Aujourd’hui encore. Surtout lorsque Tom prononçait son nom en plein ébat. 

— Monsieur Harris, c’est un plaisir, le salua le directeur de salle. Je vous ai installé près du patio, à l’abri des regards.

L’homme à la silhouette longiligne lui adressa un sourire entendu. Il les guida jusqu’à leur table, sous les notes de Chopin, opéré à la perfection, par un pianiste ténébreux.

— Ce soir, nous vous proposons un écrasé de potimarron accompagné de son lieu noir à la truffe, poursuivit-il lorsqu’ils furent installés.

Tom déplia sa serviette puis commanda une bouteille de Château Desmirail.

— L’effet que tu as sur les gens qui t’entourent m’épatera toujours, s’émerveilla Jill. Tu es un homme surprenant Tom.

La jeune femme lui effleura la main.

— Pas ici, la raisonna-t-il. On pourrait nous surprendre. 

— Personne ne sait qui nous sommes, insista-t-elle avec douceur.

Elle serra sa main dans la sienne.

Mais Tom ne semblait pas partager son point de vue. Il s’insurgea, pointant son menton vers une table rassemblant une ribambelle d’hommes cravatés.

Tom énuméra le nom de chacun d’entre eux. Il les connaissait tous. 

— Lui, siège à la chambre des Lords, et lui, c’est son bras droit. Et tu vois le type à sa droite aussi sec qu’un coucou ? C’est le juge Orwell. Il nous arrive de jouer au bridge ensemble.

Jill ne trouva rien à dire. Elle, qui avait toujours le dernier mot sur tout, restait sans voix.  Elle réalisa que leur relation n’était, pour lui, qu’un passetemps. Subitement, elle se sentit sale. Elle, qui ne voulait qu'une chose : être respectée, était soudainement reléguée au rang de maîtresse. La réalité lui revenait en pleine face comme un boomerang. Tom ne lui appartenait pas. Elle se contentait de le partager avec une autre. Elle n’était qu’un pantin que l’on prend et que l’on jette. 

Jill eut envie de fuir. Savoir qu’elle passerait la nuit aux côtés de Tom, lui sembla bien fade. Comment pouvait-elle espérer qu’il la respecte si elle ne se respectait pas elle-même ?

La jeune femme n’était pas connue pour faire dans la dentelle. Et cette nuit-là en fut le parfait exemple. Elle bondit hors de son siège. 

Cette réaction inattendue attira l’attention d’un couple de septuagénaires, qui s’en délectèrent sans attendre.

— Que fais-tu ? souffla Tom, surpris.

— Je m’en vais !

Elle jeta sa serviette sur son assiette pleine et quitta le restaurant. Telle une furie, elle rejoignit le hall d’entrée du 41 et poussa ses portes. La fraicheur de cette soirée d’hiver lui brula la peau. Jill fouilla dans la poche de son manteau et en sorti un paquet de cigarettes. 

Alors comme ça, elle n’était qu’un pion sur un échiquier ? songea-t-elle, avec horreur.

Durant tout ce temps, elle ne vivait qu’un amour à sens unique. Elle s’était leurrée. Ces jeudis, passés sous les draps, n’était qu’une routine que Tom s’était imposé dans l’espoir d’oublier sa femme. 

Pourtant, elle ne souhaitait nullement oublier cette fameuse nuit où il la vit enfin. Alors qu’elle écoutait, Poppy, s'exprimer sur la place de la femme dans la société, Tom déboulait au pub. Bien qu’il fût déjà ivre, il continua de boire. Tout était sujet à ce qu’il leur offre une autre tournée. Lassée par son instance, Poppy jeta l’éponge et s’éclipsa sans prendre la peine de les saluer. Mais Tom, ne souhaitant pas que cette soirée prenne fin si vite, invita Jill à danser un twist.

Jill sursauta lorsqu’elle comprit qu’elle n’était pas seule.

— Vous auriez du feu ? lui demanda un homme d’une trentaine d’années au teint pâle. 

Elle lui tendit son briquet. Celui-ci s’approcha et inclina la tête. Il attendait qu’elle appuie sur la roulette. Une technique de drague vieille comme le monde. 

— Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu une nuit aussi claire, lança-t-il, sa cigarette entre ses lèvres. 

— Vous travaillez ici, lui répondit Jill, les yeux posés sur son tablier blanc.

—  C’est si facile à deviner ? 

— Votre tenue vous a trahi.

— Vous avez l’œil, reconnut-il. 

Il s’adossa contre le mur de l’hôtel. 

— Je vous connais, vous savez ? poursuivit-il, en tirant sur son filtre.

— Je m’en souviendrais, assura-t-elle.

— Tous les semaines, vous dinez avec cet homme charismatique. Il commande une bouteille de vin. Il vous propose un verre, que vous refusez systématiquement. Comme si vous cherchiez à rester maître de vos mots. De vos gestes aussi. Vous le regardez comme l’on rêverait tous d’être regardé. Mais pas lui. Vous savez ce que j’en pense ?

— Vous êtes culotté. De quoi vous mêlez-vous ?

— Je m’en mêle si je veux. Ce type ne vous mérite pas. Tracez votre route. 

— Espèce de …

Mais Jill n’acheva pas sa phrase. Epuiser son énergie pour ces donneurs de leçon du dimanche n’en valait pas la peine. Elle lui tourna le dos et heurta violemment Tom. 

— Qu’est-ce qui t’a pris ? hurla-t-il. A cause de ton petit spectacle, tout le monde sait pour nous, maintenant. Demain, toute la ville parlera de notre idylle. Tu sais ce que ça veut dire ? Que dès que Pippa l’apprendra, elle me quittera.

Tom avait laissé ses bonnes manières au placard. Furieux, son dialecte d’ordinaire irréprochable était proche de celui d’un homme de basse condition. Il parlait comme ses ouvriers communistes qui avalaient leurs mots et maudissaient le capitalisme. 

Elle haussa les épaules, indifférente. Ou presque. Car ses paroles raisonnaient en elle comme un coup de poignard que Tom lui assénait encore et encore.

— J’en ai assez, admit-t-elle. Comment ai-je pu être aussi stupide ? T’aimer depuis le premier jour fut la plus grosse erreur de ma vie. 

Elle traversa la place bien décider à ne pas faire marche arrière. Elle se jura, alors, de ne plus jamais se laisser aveugler par un homme. 

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