Chapitre 15

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Les Anderson s’apprêtaient à se coucher lorsque la réception toqua à leur porte. En pyjama, ils descendirent à vive allure les trois étages qui les séparaient du hall d’entrée. Clifford Anderson empoigna le combiné, fou de rage. 

— C’est à quel sujet ? brailla-t-il, mécontent d’avoir été dérangé à une heure si tardive. 

— Infirmière Abbott, à l’appareil, du St Thomas’s Hospital. Votre fille a été admise à l’hôpital ce matin. Je pense qu’il serait bon que vous veniez à son chevet.

Cliff devint livide, laissant son épouse pantoise.

— Que lui arrive-t-il ?

— Je ne peux vous le dire par téléphone, souffle-t-elle, comme si elle redoutait d’être prise sur le fait. Il est préférable que vous veniez.

— Nous sommes en vacances.

— C’est que nous a confié votre domestique. Je m’excuse pour mon insistante, mais, vous devriez rentrer.

Cliff grogna puis raccrocha, décontenancé.

— Qu’y-a-t-il ? s'inquiéta Olivia Anderson.

En retrait derrière son époux, elle ne savait que faire de ses mains. L’anxiété se lisait sur son visage. 

— Pippa est à l’hôpital.

— Comment ça à l’hôpital ?

Olivia tremblait des pieds à la tête alors que la température intérieure avoisinait les trente degrés. 

— Que s’est-il passé ? murmura-t-elle, abasourdie.

— Je n’en ai pas la moindre idée, bougonna-t-il. L’hôpital requiert notre présence c’est tout ! Fais tes bagages nous partons.

Olivia redoutait le pire. Se pouvait-il que ce qu’elle avait commis lors de cette fête d’anniversaire soit responsable de l’état de santé de sa fille ? Et si sur son lit d’hôpital, elle finissait par tout avouer à son père ? 

— Olivia ? Tu comptes rester ici encore longtemps ? s'impatienta Cliff, en montant l’escalier.

— J’arrive.

Elle quitta la pièce, incapable d'occulter de son éprit cette fameuse après-midi. 

Les Anderson s’éclipsèrent dans la nuit tels des fugitifs. Le coffre chargé, ils purent enfin prendre la route. Olivia constata que ses tremblements ne l’avaient pas quittée. Elle se pinça la main, essayant de reprendre le contrôle de ses émotions. Elle réitéra encore et encore son geste jusqu’à ce que sa peau arbore une teinte rouge écrevisse. 

— Ce doit être de famille, baragouina Cliff, sortant Olivia de sa torpeur.

— Quoi donc ? répondit-elle, intriguée.

— De vous arranger pour que l’attention soit tournée vers vous. Vous-même et votre famille avez toujours agi ainsi, et maintenant votre fille s’y met à son tour.

— Notre fille, le corrigea Olivia.

Elle ne dit rien de plus. Elle n’était pas d’humeur à se disputer. Clifford garda les yeux rivés sur la route, les mains fermement scotchées sur le volant. Il n’en perdit pas pour autant sa langue. Il semblait résolu à poursuivre cette conversation. Mais Olivia ne l’écoutait plus. Absorbée par ses souvenirs, elle se remémora cette journée qui avait changé sa vie.

*

13 octobre 1959

La première fois que Maximilian Donovan vit Olivia Anderson, il pleuvait à verse. Ses cheveux d’un blond tirant vers le roux, légèrement dissimulés sous un foulard en soie, semblaient imperméables aux trombes d’eau déferlant dans les égouts. Elle s’engouffra dans une librairie pittoresque, souriant avec grâce au tenancier de cette modeste boutique. Maximilian subjugué par la beauté de cette femme ne put s’empêcher de la suivre. Il quitta son abri de fortune, traversa la rue et poussa la porte du commerce. La cloche retentit et un petit homme chauve, posté derrière le comptoir, lui sourit poliment. Peu habitués à ce genre d’endroit, Maximilian s’empara du premier livre qui lui tomba sous la main : un recueil de recettes de cuisine. Il s’empressa de le reposer sur le présentoir craignant d’être démasqué.

— En quoi puis-je vous être utile ? lui demanda le libraire, les mains derrière le dos.

Il ne devait pas mesurer plus d’un mètre soixante-cinq, songea Maximilian, critique.

— Je regarde, merci.

Il ne tenait pas à voir son séjour interrompu. Il s’approcha de la vitrine sur laquelle reposaient quelques exemplaires. Il s’empara au hasard de l’un d’eux, feintant de lire la quatrième page de couverture.

— Dickens, l’interrompit une voix féminine. Sombre et pourtant si brillant. Les grandes espérances est de loin sa meilleure œuvre. Je vous le recommande vivement.

Maximilian ne pipa mot. Il ignorait comment poursuivre cette discussion sans passer pour un ignare. Oui, lui ce pauvre type qui n’avait jamais ouvert une page d’un bouquin !

— Bien sûr vous comprendrez mieux pourquoi cette histoire est remarquable dès lors que vous tiendrez cet ouvrage à l’endroit, le snoba-t-elle.

Elle tourna fièrement le dos et regagna la sortie, les mains vides.

— Attendez, l’interpella-t-il, redoutant de ne plus jamais la revoir.

— Je vous ai vu vous savez. Vous m’observiez depuis l’autre côté de la rue. 

Ils étaient tous deux à présent trempés. Lui, cet homme audacieux mais pourtant si maladroit et elle, cette femme de trente-sept ans à la beauté saisissante. Elle plongea ses yeux dans les siens. Maximilian ne détourna pas son regard, peu intimidé d’avoir été pris la main dans le sac. 

— Vous m’avez démasqué, reconnut-il. Comment vous appelez-vous ?

Olivia esquissa un sourire, séduite par son aplomb.

— Belle tentative rétorqua-t-elle. Mais voyez-vous mon cœur est déjà pris.

Elle agita sa main gauche pour lui dévoiler son alliance.

*

— Et comme d’habitude vous vous complaisez dans le silence, analysa Clifford d’un ton sec.

Olivia regarda le paysage défilé, incapable de faire face à son époux. Elle détestait le voir dans cet état. D’autant plus, lorsqu’il jouait les provocateurs. Leurs échanges dégénéraient continuellement et, finissaient souvent mal. Leur dernière dispute remontait à cette journée où les Anderson avaient été conviés à une partie de chasse chez les Harris. Clifford avait eu vent d’une fâcheuse affaire impliquant Olivia. Il avait tenté d’obtenir de plus amples informations qu’Olivia refusait de lui apporter. Elle refusait de mettre en péril son histoire avec Maximilian. Son aventure devait rester secrète. Mais ses arguments n’avaient pas convaincu Clifford. Entré dans une colère noire, il avait levé la main sur elle. Olivia savait que ce comportement n’avait rien d’anodin. Toutefois, la culpabilité qui la rongeait depuis plusieurs années ne cessait de lui répéter qu’elle l’avait bien cherchée. Depuis, elle fuyait le conflit. Car si Maximilian était au courant de ce que lui infligeait Clifford alors il passerait très certainement le restant de sa vie derrière les barreaux. Et cette éventualité la terrifiait. 

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