Chapitre 11

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Une odeur de caféine s'engouffra dans la petite chambre d'hôtel. La sonnette d'un vélo longeant la ruelle brisa la douce quiétude qui régnait dans la pièce. Pippa ouvrit les yeux, n'osant pas se retourner. Elle savait que Tom se tenait allongé à ses côtés. Dénudé, tout comme elle l'était. Elle se glissa hors des draps et attrapa sa robe. Jamais, ô grand jamais, elle n'avait songé un jour qu'elle céderait aux avances de cet homme. Mais ce dernier s'était montré si entreprenant, si impatient même, qu'elle n'avait osé lui dire non. Ses mains s'étaient emparées de son corps avec une fermeté qu'une novice ne pouvait comprendre. Etourdie, écrasée par le poids de son corps, elle ne pouvait le repousser. Même si elle en avait très envie. Elle n'avait jamais espéré que les choses se passent ainsi. Rendre un baiser était une chose, passer à l'acte une autre. 

Ne sachant comment réagir face à la situation, elle s'était alors étendue sur le lit, laissant Tom s'emparer de son être. Elle ne pouvait nier les rumeurs qui enflaient à son sujet. Nul ne pouvait ignorer les excès de colère de Tom. Si elle le recadrait, là, tout suite, comment réagirait-il ?  L'éconduirait-il simplement ? Ou la frapperait-il ?  

Pippa n'eut pas le temps de se poser davantage de questions. Car cet ébat fut bref. Dénuée de gestes tendre. Elle, qui, s'était imaginée que cet instant serait aussi tendre que dans ses précieux romans.

Elle s'était fourvoyée. Et ce toutes ces années. 

Car Tom ne s'était pas seulement révélé pressé. Il s'était montré indélicat, brusque presque sauvage. Cette attitude avait conduit Pippa à se refermer sur elle-même. Non pas à cause de la douleur indescriptible qu'elle avait ressenti à ce moment-là. Non. Mais, car elle avait été considérée comme un objet dénué de sens et d'émotion.

A présent, elle n'aspirait qu'à une chose : quitter cette chambre. Prendre une douche, aussi, lui semblait nécessaire. Elle se sentait poisseuse dans sa robe bon chic bon genre, enfilée à toute hâte. En proie au doute, se sentant totalement ridicule, les pensées les plus sombres traversèrent son esprit. Longer la mer, peut-être même y prendre un bain et ne jamais en sortir. Cette nuit avait gâché sa vie. Et ce qui l'anéantissait le plus, était le fait qu'elle avait contribué à ce que les choses prennent cette direction...

Ses talons à la main, elle ouvrit la porte de la chambre et s'éclipsa sur la pointe des pieds. Lorsqu'elle s'installa à la terrasse du café du village, elle fut assaillie de regards circonspects. Elle comprit, alors, que ce n'était pas elle particulièrement qui suscitait leur attention. Mais ces panards. Sonnée, elle réalisa qu'elle avait fait le trajet pied nu. Et ce, sans ressentir la moindre douleur. 

Elle alluma une cigarette et dissimula ses yeux sous ses lunettes de soleil les yeux œil de chat. Le soleil était déjà étouffant pour un début de matinée. Elle s'empara de son dessous de verre pour se faire de l'air, se demandant si Tom dormait aussi paisiblement qu'à son départ. Regrettait-il cette fameuse nuit, lui aussi ? Peut-être même sa conduite ? 

— Cosa desidera ordinare, signorina ? la sollicita le serveur.

Pippa sursauta, se rendant, tout juste, compte de sa présence. Le jeune homme affichait un sourire gracieux, digne d'un Don Juan des temps modernes.

— Un caffè, grazie.

Elle écrasa sa cigarette puis en sorti une autre de son étui. Il lui en faudrait bien plus d'une pour espérer se détendre. Elle colla son dos contre le dossier de sa chaise et huma l'air tiède. Les rayons du soleil lui brûlait la peau mais elle s'en fichait. Au moins, il lui offrait un peu de répits.

Au moment où Pippa commençait à piquer du nez, le serveur lui apporta son café. Il empestait l'eau de toilette bon marché et ne cessait de faire des clins d'œil à l'épicière, une jeune fille rondelette à la poitrine généreuse. Pippa leva les yeux, exaspérée. Décidément les hommes étaient tous les mêmes...

Elle se détestait de raisonner de la sorte. Or, aujourd'hui, son humeur était morne. Elle se sentait épuisée par ces vacances en apparence idylliques. Elle pensait développer malgré elle des sentiments pour Tom mais cette nuit l'avait refreinée. Elle savait que les choses se passaient ainsi. Mais son expérience avait été si douloureuse qu'elle ne voulait pas prendre le risque de la réitérer.

Elle avala une goutte de son breuvage et se perdit dans la contemplation de l'horizon. Le bar était idéalement situé. Face au port, il permettait d'observer les nuances de bleu de la mer, tout en admirant les passants circuler sur le trottoir d'en face.

Une heure plus tard, Pippa se décida à quitter son refuge. Elle fouilla dans son sac et en extirpa son porte-monnaie. Elle l'ouvrit et en retira quelques pièces. Elle ignorait si Tom l'avait attendu ou, si vexé, il avait fini par mettre les voiles. Un nœud se forma au creux de son estomac à mesure qu'elle s'avançait vers l'hôtel. La Triumph Spitfire rouge s'était évaporée. Pourtant, un homme se tenait devant l'entrée pittoresque de l'auberge. Aucun doute n'était permis, il s'agissait bel et bien de Tom. Les bras croisés, il semblait suffoqué dans son costume en lin. Même sa paire de solaire ne suffisait pas à dissimuler sa mauvaise mine. Pippa avança à reculons. Elle craignait la réaction de Tom. S'être éclipsée ainsi était maladroit. Elle devait bien le reconnaître.

— Ah ! Vous voilà, s'impatienta-t-il. Où étiez-vous passé ?

Pippa baissa la tête. Elle réagissait comme une enfant mais elle redoutait l'affrontement. Son ton dédaigneux la dissuadait de poser les yeux sur lui.

— J'avais besoin de prendre l'air. Cette chambre était ... des plus...étouffante, articula-t-elle avec peine.

Tom se gratta le menton, décontenancé. Visiblement quelque chose le préoccupait et Pippa n'était pas étrangère à ses interrogations.

— Qu'en est-il de votre véhicule ? lui demanda-t-elle, mal à l'aise.

Les traits durs, Tom semblait sur le point de craquer. Et cela inquiétait grandement Pippa.

— Devrions-nous appeler un chauffeur ? poursuivit-elle.

Marcher sur des œufs n'était pas si simple, pensa-t-elle.

Tom maugréa, mais la jeune femme n'en déchiffra pas un mot. Pippa, au plus mal, tourna les talons dans l'espoir de trouver un peu de fraicheur à l'intérieur de l'hôtel. Tom en profita pour la retenir par le bras. Il la serrait avec une telle force que Pippa dû retenir un hurlement.

— Pourquoi êtes-vous partie ? murmura-t-il.

Pippa baissa les yeux sur sa main axée sur son avant-bras.

— Vous me faites mal, couina-t-elle.

Il relâcha son emprise. Pippa crut déceler un grognement.

— Vous n'assumez pas. Très bien. Mais sachez que vous vouliez tout autant que moi que ce qui s'est produit hier soir, arrive, acheva-t-il avec condescendance.

Non. Non. Et encore non. Elle n'avait souhaité qu'une telle chose se produise. Mais elle n'avait rien dit. De peur, sûrement, de le vexer, de subir bien pire, voir même, d'être humiliée.  

Pippa passa la porte de l'auberge et trouva refuge dans le hall d'entrée. Avec un peu de chance, Tom n'oserait pas rompre sa quiétude.  

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