Chapitre 7

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13 juin 1962

Essoufflée comme un bœuf, Pippa pédalait à vive allure le long de Kensington High street, le panier chargé de paquets. Midi sonnait tout juste, pourtant la chaleur inhabituelle pour un mois de juin brûlait la peau des Londoniens comme le ferait une chaude après-midi d’Août. Pippa lutta pour ne pas retirer son tailleur en tweed sur le champ. Mais, elle préférait prendre le risque de tomber dans les pommes que de s’afficher en tenue d’Eve. Elle était sûre de ne pas finir derrière les barreaux ou à la une du journal local. Et puis, elle était attendue. A peine Cliff avait-il entré les clefs dans le contact que Pippa s’était souvenue que les cadeaux se trouvaient au bureau de poste. Furieux, les Anderson avaient démarré sur les chapeaux de roues, laissant leur fille sur le bas-côté. Alors, Pippa en avait profité pour acheter quelques bricoles. Les vacances d’été approchaient à grands pas et bientôt elle n’aurait plus le temps de déambuler dans les rues. Ses amies l’accaparaient, tout comme Tom, qui s’invitait très régulièrement dans leur maison bourgeoise. Nul ne pouvait ignorer à quel point Tom était épris de la jeune femme. Au plus grand dam de Milldred Harris. 

Pippa jeta un œil à sa montre. Midi trente. Avec un peu de chance, personne ne se rendrait compte de son absence. Elle posa son vélo contre le muret aussi blanc que la chaux, recoiffa ses cheveux emmêlés par l’effort et se hâta vers le jardin. Ses talons s’enfoncèrent dans la pelouse fraichement arrosée. 

Quel gâchis !

Cocktails et petits fours, ensembles poudrés et bibis émergeaient de la foule rassemblée autour de la terrasse. Une jolie cacophonie ! Les invités s’éventaient avec leurs dessous de verre tandis que les enfants se cachaient sous le buffet. Pippa sourit. Cela lui rappelait sa tendre enfance. Elle aussi aimait se faufiler sous la nappe blanche pour échapper à toutes ces mondanités. Il était bien plus amusant d’espionner ! 

Un garçon, à la chevelure incandescente et haut comme trois pommes, se rua sur Pippa, s’agrippant à ses jambes tel un chimpanzé. Tous les regards étaient braqués sur elle. Merveilleux, songea-t-elle. Il ne lui restait plus qu’à se jeter dans la piscine à boules.

— Pippa, nous ne vous attendions plus, claironne Edith Thompson, en mâchouillant bruyamment son chewing-gum.

Pippa lui adressa un sourire poli. Elle n’appréciait que peu la maîtresse des lieux. D’ailleurs, elle n’était pas la seule, son père aussi. Ses grands airs le rebutaient, tout comme son manque de discrétion et de diplomatie. Mais, il ne pouvait décliner ses invitations. Après tout l’époux d’Edith n’était nul autre que son patron. Il ne voulait pas prendre le risque de perdre son poste. Car les réfractaires perdaient leur poste à peine leur contrat avait-il commencé. 

Edith s’avança vers Pippa, munie de deux coupes de champagne. Elle resplendissait dans sa robe sur mesure, aussi chic que raffinée. Le bleu ciel lui sciait à merveille. Que ce soit au teint comme à son carré cendré.

— Tenez, lui dit-elle en lui tendait l’une des deux coupes, avec entrain. 

Pippa l’accepta et le sirota lentement. 

—  Tom n’est pas avec vous ? poursuivit-elle, avec insistance. 

Pippa lui adressa un regard interrogateur.

— Reconnaissez que vous êtes inséparables ces derniers temps. Vous êtes les nouvelles coqueluches du tout Londres. 

— Vous êtes mal renseignée Edith, bafouilla Pippa, décontenancée.

Il est vrai qu’elle devait partir prochainement en vacances en compagnie de Tom. Mais en présence de leurs amis, bien sûr !

— Bien, suivez-moi chère amie. Je vais vous présenter.

Pippa accepta volontiers, contente d’amorcer le sujet. Et ce, bien qu’elle connût la moitié des convives présents ce jour.

Tous affichaient un sourire coincé.

— Oh ! J’ai appris pour votre petite escapade. Dommage que Felicity ne soit pas de la partie, ajouta-t-elle d’un ton incisif.

Nous y voilà ! Pippa comprenait mieux son insistance. Pauvre Felicity ! 

Felicity ?

Zut ! 

Mais où avait-elle la tête ?  Dans la précipitation elle avait laissé son cadeau dans son panier. Comment pouvait-elle venir à un anniversaire sans présent ? Pire, comment pouvait-elle faire ça à une si vieille amie ? Même si leurs chemins s’étaient séparés le jour où Felicity était entrée à l’université, elle manquait à tous ses devoirs. Elle songea un court instant à s’éclipser pour regagner l’entrée de l’imposante demeure. Avec un peu de chance, elle pourrait réparer discrètement son erreur. Mais tous désiraient entraver sa route. Il faut dire que les convives faisaient tout pour ne pas porter leur attention sur le lierre sombre longeant les briques rouges de la bâtisse. Cette plante grimpante détonnait étrangement dans ce quartier pavillonnaire idyllique. Et en rebutait plus d’un. Pippa leva les yeux vers la fenêtre donnant sur le grenier. Un hublot aussi large qu’un tonneau. Elle reconnût les traits fins, doux et innocents de cette chère Felicity. Aussitôt, Pippa porta l’ongle de son pouce à sa bouche. Elle mourait d’envie de la rejoindre et de regagner l’apparence de la petite fille qu’elle était autrefois. Au moment où elle s’apprêtait à fouler le sol en mosaïques étoilées, elle sentit une main effleurer le creux de ses reins. Embarrassée, elle ne bougea pas. Sauver les apparences, se répéta-t-elle. Ce geste lui rappela instantanément cette fois où Tom avait dépassé les bornes. Sauf que ce coup-ci, il n’y était pour rien. D’ailleurs, il ignorait qui était les Thompson.

— Excusez-moi Monsieur Smith. Un appel pour vous. Si vous voulez bien me suivre, bégaya un serveur portant la moustache et la queue de pie avec élégance. 

Le vieillard retira sa main du bas du dos de Pippa, sans prendre la peine de masquer son mécontentement. Il s’engouffra dans le hall d’entrée plutôt étroit avant de disparaître dans le petit bureau. Une occasion en or pour la jeune femme de s’éclipser incognito. Elle se dirigea à toute hâte vers le premier étage. L’escalier biscornu lui donnait le tournis. Et dire qu'il lui restait trois autres étages à monter... Elle s'arrêta et pivota lorsqu’une voix familière émana d’une des chambres d’amis. Pippa s’avança le long du couloir et pressa son oreille contre la porte. Si elle avait eu des oreilles à rallonge, elle s’en serait emparée immédiatement. Cette situation lui semblait invraisemblable. Pas ici, pas comme ça. Non !  Jamais, il ne se permettrait de faire ça publiquement. Ou du moins, c’est que Pippa avait toujours cru. Un gloussement remplaça les éclats de voix. La jeune femme se pencha vers le trou de la serrure, emportée par la curiosité. Elle ne vit rien, sauf les ombres de deux individus reflétant à la lumière. Pourtant elle aurait pu jurer entre mille que sa mère se trouvait dans sa pièce. Des bruits de pas se firent entendre et Pippa plaqua à nouveau son œil contre la serrure. Une femme, pieds nus, reboutonnait sa chemise. 

— Reviens par ici, l’implora une voix masculine. Je n’en ai pas fini avec toi.

— Je ne peux pas, répondit-elle. Si mon mari se rend compte de mon absence, tu sais très bien ce que j’encours.

— Quitte-le. Il ne te mérite pas. 

Sous la surprise, la femme aux cheveux blond lâcha ses escarpins. Ceux-ci tombèrent à même le sol dans un énorme fracassement.

— Je ne peux pas, balbutia-t-elle.

— Ah oui ? Et tu comptes le laisser te torturer encore longtemps ? continua-t-il.

— Je n’ai pas le choix.

— Bien sûr que si !

Sa voix se cassa.

— Tu ne peux pas comprendre.

— Qu’est-ce que tu fais ? demanda une voix féminine.

Pippa sursauta avant de se retourner délicatement. Felicity se tenait derrière elle, sourcils dressés.

— Rien, rétorqua-t-elle.

— On ne t’a jamais dit ne pas écouter derrière les portes, poursuivit Felicity, amusée.

— Je n’écoutais pas.

— Et moi, je suis la reine d’Angleterre, s’esclaffa-t-elle.

Pippa rougit. Elle venait d’être prise la main dans le sac et elle était incapable de mentir. Elle savait très bien qui se trouvait dans cette chambre. Et l’idée que quelqu’un d’autre le découvre lui ôtait les mots de la bouche. 

— Alors, vas-tu me dire ce que tu faisais ?

Un cliquetis émana de la serrure et Madame Anderson sortit de la chambre, son chemisier mal boutonné et froissé. La bouche de Felicity forma un o harmonieux puis l’amusement se dessina à nouveau sur son visage. 

— Comme ça on espionne ses parents ? Petite cachotière, lui chuchota-t-elle. 

Elle lui adressa un clin d’œil.

— Bonjour Madame Anderson.

— Felicity ! Pippa ! Que faites-vous ici ?

— Nous avions besoin d’un peu de fraicheur, s’empressa de répondre la jolie blonde. Cette canicule va avoir notre peau.

— Eh bien vous ne devriez pas rester ici. Surtout toi, Felicity... Tout le monde t’attend.  

— Personne n’a remarqué que je n’étais pas là, sourit-elle tristement.

— Que se passe-t-il ici ? lança une voix masculine depuis la chambre.

Olivia Anderson resta stoïque. L’homme fit son apparition dans l’embrasure de la porte. Bien que son nœud papillon soit défait, il était charmant. Felicity n’eut nul besoin d’un dessin, ni de mots pour comprendre ce qu’il venait de se produire. Le cœur lourd Pippa tourna les talons. Ça en était trop pour elle. 

— Pip’ ! Attend ! brailla Felicity.

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