Chapitre 10 - Grandeur et décadence

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Le soleil perce la ligne d’horizon en un arrondi rougeoyant. Comme un disque sortant d’une mer en fusion, l’astre inonde la plaine de ses rayons bienfaisants. La lumière révèle sur la piste asséchée des fourmis noires alignées dans un labeur ininterrompu.

Au loin, un bruit, une clameur constante s’élève de cette savane éveillée par l’appel de l’aube. Le chant joyeux des oiseaux exotiques se mêle aux coassements sévères d’énormes crapauds. La mélodie enivrante cesse, une cloche retentit, celle de la classe. L’heure de la leçon résonne et les enfants se ruent vers les bancs. La soif de savoir irradie au travers de leurs yeux rieurs comme si apprendre entrouvrait les portes de l’espérance.

Un nouveau mentor a pris possession des lieux. Un homme aussi bon que le professeur précédent. Accompagné de mon épouse, moi, Abioni, j’enseigne. J’enseigne les lettres, les phrases comme si chaque mot avait le pouvoir d’élever les abandonnés hors du gouffre de l’oubli. Du bout des yeux, j’observe Abayomi. Ses yeux amandes suffisent à réparer les blessures et à recoller les bris. Ensemble nous avons ressorti des cendres les fondements de cet établissement. Le papier de verre a poli, les ciseaux à bois ont affiné et les pinceaux ont recouvert le souvenir de la sauvagerie. Les impacts de balles ont disparu mais au creux de mon être, des cicatrices persistent, de celles qu’aucun vernis ne dissimulera jamais.

Les pneus crissent dans la cour et mon cœur se serre… comme à chaque fois.

Abayomi me transperce en un regard. Je baisse les yeux... comme à chaque fois.

Sans parler, mes pas me mènent dans la petite pièce polyvalente, celle où jadis je dormais entre les outils et les objets brisés. Je contourne mon bureau où sommeille une vieille machine à écrire. Mes mains s’emparent des papiers et vérifient l’ordre par habitude.

Il entre. Son sourire est aussi insolent que sa montre en or et sa crête crépue. Il se contente d’ouvrir une mallette dans laquelle je dépose mon dernier roman. Je ne remplis plus des bassines, mais des dossiers. Comme beaucoup, je passe mes jours à noircir des pages pour le profit d’un autre. L’homme n’est pas décadent de par sa grandeur. L’homme est décadent depuis qu’il écrase son propre frère pour se grandir et ce… depuis la nuit des temps. Pour moi les espoirs sont inutiles et vains.

Par chance il me reste Abayomi, par chance, il me reste ma classe et tous ces enfants. Je pense au ventre qui bientôt s’arrondira. L’espoir existe pour les enfants de demain. Alors je transmettrai, oui je transmettrai, je donnerai mes mots et partagerai ma joie de vivre. De sourire et d’écrire jamais je ne cesserai. Mais aujourd’hui, aujourd’hui, je me rends à l’évidence. Aujourd’hui, il est là pour me rappeler à l’ordre, me dire que pour moi, il est trop tard. La mallette se referme dans un claquement sec comme le tranchant d’une guillotine. Il me salue. Sa voix est sans chaleur, son regard est glacé, nos liens sont morts et pourtant il me dit :

- Merci petit frère.

FIN

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