Jour 0

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Je pense avoir passé une dizaine de jours avant que les premiers événements ne viennent briser ma routine. Un meurtre. Oui, un meurtre. Je me trouvais dans le bar de l’hôtel lorsque j’appris la nouvelle. Allant à la chasse aux informations, je fus avisé, par l’intermédiaire d’une femme de ménage, que la pauvre victime était un client de l’hôtel voisin. Cela faisait un mois qu’il était arrivé sur l’île de la Réunion, profitant de ses vacances pour découvrir la culture locale.

— Le pauvre homme, dit-elle, il n’était pas plus vieux que vous ! Qui sait s’il n’avait pas une famille et des enfants !

Je m’enquis de son avis sur l’identité du meurtrier.

— C’est une petite île après tout, répondis-je à son regard entendu.

— D’après les rumeurs, il ne s’agirait pas de quelqu’un d’ici, avoua-t-elle en minaudant. Un règlement de compte entre touristes est la solution la plus probable.

Je n’écoutais déjà plus ses lamentations à propos d’une vie gâchée. Je filai dans ma chambre pour vérifier si les médias s'étaient déjà emparés de l'affaire. J’allumai la télé avec entrain, appuyant frénétiquement sur les boutons de la télécommande. Malheureusement, je ne trouvai rien, ni sur les chaînes françaises, ni sur les chaînes locales. Après tout ce n’était qu’un petit fait divers. Rien de bien exceptionnel. L’information devait peiner à circuler dans cette cambrousse. Certainement apparaîtra-t-elle demain dans les journaux.

Fort de cette conviction, je décidai d’aller voir Jean, un saisonnier d’une cinquante d’années aux cheveux déjà blancs. Il m’avait proposé une randonnée pour me faire découvrir son île d’adoption. En sortant de ma chambre, j’eus, l’espace d’une seconde, une étrange sensation dans la nuque. Sans y prêter plus attention, je continuai mon chemin jusqu’au hall. Une fois à gauche, deux fois à droite. L’endroit était calme à cette heure de la journée. Il était dix heures lorsque, après avoir déambulé et cherché mon chemin dans le village, je finis par toquer à la porte de Jean. Je l’entendis se lever et venir m’ouvrir. Il m’accueillit avec un sourire.

— Je savais que c’était toi.

Il m’invita à entrer et je pus constater qu’il était en plein travail d’écriture.

— Ça ressemble vraiment à rien. À croire que je n’ai aucun talent !

— Ou alors l’île est si indescriptible que tu ne parviens pas à la décrire.

Un ricanement vint accueillir mon jeu de mot.

— Bon, allez va, je continuerai plus tard. Tu as de bonnes chaussures ?

Jetant un regard vers mes pieds, je répondis sans grande conviction :

— C’est du moins tout c’que j’ai.

Du vert. C’est tout ce qui s’offrait à mes yeux. Du vert, et parfois du bleu. J’avais perdu la notion du temps. Rien ne semblait aussi éloigné de la réalité que ce moment partagé avec Jean. Nous n’avions pas ouvert la bouche depuis que nous nous étions lancés sur ce chemin caillouteux. Chacun de mes pas résonnait dans ma colonne, et je rêvais du moment où ils se poseraient sur un tapis d’herbe. Parfois, mon ami s’arrêtait, prenant des notes avant de souffler d’un air contrarié. Je riais intérieurement de le voir si décontenancé devant un soi-disant manque d’inspiration.

Cela faisait quatre ans qu’il était venu se réfugier ici, abandonnant son poste d’informaticien et ses amis, pour se consacrer à sa véritable vocation, un projet de toute une vie : écrire. En quatre ans, ses textes avaient plus servi à alimenter son barbecue qu’à nourrir sa passion. Pourtant, il s’acharnait à écrire chaque jour avec plus de rage que le précédent.

De la rage, il en avait. A peine arrivé de l’aéroport, je l’avais vu se disputer avec le gérant d’un magasin pour touristes. Je n’ai pas saisi un seul de leurs propos, mais je pouvais sentir la violence qui se dégageait alors de lui.

— Tu as entendu parler du mec qui est mort ?

La voix de Jean me ramena à la réalité, et je remarquai alors que nous étions sans doute arrivés au bout du sentier. Une esplanade se dessinait plus loin, et je pouvais déjà apercevoir ce qui semblait être une étendue verte.

— Oui, apparemment c’est un touriste de l’autre hôtel. Mais je n’en sais pas plus.

Jean semblait déçu.

— Je te pensais plus commère que ça.

Je lui souris en guise de réponse. C’est vrai que j’aurais bien aimé avoir plus d’information. J’avais d’ailleurs prévu d’aller fouiner au bar du village dès ce soir. J’étais certain de dégoter quelques ragots à lui raconter le lendemain.

Le retour me parut plus bref que l’aller. En avançant vers le village, je croisai un homme de ma corpulence, vêtu des mêmes habits. Je n’eus pas le temps de l’examiner plus précisément qu’il avait déjà disparu derrière une boutique.

Exténué, je m’écroulai sur l’une des chaises de Jean. Il m’avait proposé un café avant de rentrer. Il était dix-huit heures à présent et j’attendais avec impatience la soirée qui se présentait. L’ennui qui me hantait depuis mon arrivée semblait être désormais un mauvais souvenir. Triste réalité que ce soit l’œuvre d’un mort.

— C’est quand même dingue, souffla Jean en regardant le vide.

— De quoi donc ? demandai-je en ayant compris de quoi il voulait parler.

— Ce meurtre, on se croirait dans une mauvaise série.

— C’est pas faux.

La discussion ne déboucha sur rien d'autre. Comme à chaque fois, nous préférions le silence à une conversation dénuée d’intérêt. C’est ce qu’il y avait de bien avec Jean, et sans doute la raison pour laquelle nous étions devenus amis au bout de quelques jours seulement.

— Tu viens ce soir ? demandai-je.

Je faisais référence au repas qui allait se dérouler dans le bar du village le soir-même, et où tout le monde était convié.

— Certainement pas. Il y a l’autre voleur qui vient montrer son gras, rétorqua Jean d’un ton ironique.

— Comme tu veux, dis-je en soufflant.

Je finis mon café et pris congé de mon hôte. Je suis certain qu’une fois que je fus parti, il s’était aussitôt remis à ses ratures.


J’empruntais la route qui menait à l’hôtel lorsque j’aperçus une voiture de police qui faisait le chemin inverse. Je ne pus retenir un regard vers ses passagers. Je fus déçu de n’apercevoir que deux policiers à la mine tirée. Je hâtai le pas. Une fois arrivé dans le hall, j’eus encore cette sensation dans la nuque. Cette fois, je pris soin de regarder ma main après l’avoir passé dans mon cou, espérant connaître la source éventuelle de cette gêne. Rien. Troublé je ne remarquai pas la directrice de l’hôtel et manquai de la renverser. Je rattrapai par miracle deux des dossiers qu’elle portait avant que les autres ne s’éparpillent par terre. Hébété, je présentai mes excuses qu’elle refusa d’un geste de la main.

— C’est moi qui aurais dû faire attention, déclara-t-elle.

Je posai les deux piles survivantes avant d’aider à rassembler le reste. Ce qui n'était pas une mince affaire.

— Ce sont les archives de l’hôtel ? questionnai-je en jetant un rapide coup d’œil au contenu des papiers.

— Oui. La police nous a demandé de les ressortir. Apparemment ils cherchent des informations en rapport avec le meurtre...

Je baissais de nouveau le regard sur le tas de feuille, un nouvel intérêt s’en dégageant.

— Sur le meurtre ? répétai-je pour moi-même.

La directrice hocha la tête.

— Vivement que cette sombre histoire se termine. C’est mauvais pour les affaires ! J’ai déjà eu trois annulations depuis ce matin.

Je ne compris pas tout de suite ce qui m’interpela dans ses propos. Puis mon cœur s’accéléra lorsque j’en saisis la source.

— Les informations en ont parlé ?

— Bien sûr ! Ça a tourné en boucle toute la journée sur la chaîne locale !

Deux fois à gauche, une fois à droite. Me revoilà enfin dans ma chambre. Je ne pus résister à l’appel de mon lit sur lequel je m’allongeai un instant. Je ne fermai pas les yeux. Je me serais sans doute endormi. Je me contentais de regarder le plafond pendant quelques minutes. Libre de toute pensée. Puis, ne résistant plus, je me redressai pour attraper la télécommande que j’avais laissé au pied du lit, et allumai la télé.

Les informations devaient être déjà passées car je ne parvins pas à trouver mon bonheur. En même temps, cet évènement ne constitue pour le moment qu’un simple fait divers. La police n’a sans doute pas pris le risque de laisser filtrer les informations importantes. Je laissai tomber au bout d’un quart d’heure et me dirigeai vers la salle de bain. Je pris une douche et enfilai quelques habits propres. Pour le moment, je devais me contenter de sources peu objectives. Mieux que rien, comme on pouvait dire. J’étais prêt pour partir à la chasse à l’information.

Une fois à gauche, deux fois à droite. Me voici dans le hall. Je croisai la femme de ménage de ce matin qui semblait se rendre elle aussi au repas. Je l’interpellai alors qu’elle s’apprêtait à franchir la porte. Elle se stoppa et sourit finalement à mon approche.

— Belle soirée n’est-ce pas ? dit-elle en faisant un geste vers l’extérieur.

J'acquiesçai d’un signe de tête.

— Vous vous rendez au bar ? demandai-je.

Elle rit avant de rétorquer :

— Je ne louperais pour rien au monde un bon repas de chez Boyer !

Nous fîmes ensemble le trajet jusqu’au bar. Elle en profita pour me raconter des souvenirs de son enfance que j’écoutai d’une oreille distraite. Le brouhaha nous accueillit chaleureusement. Plusieurs tables étaient réparties à l’intérieur comme à l’extérieur, les baies vitrées ouvertes pour permettre une libre circulation. Déjà l’odeur du rougail saucisse s’élevait dans la douce fraîcheur du soir et l’on se passait le macatia de table en table. Je pris la décision de m’assoir à la même tablée que mon accompagnatrice. Sans doute avait-elle le nez pour dénicher les ragots. Je fus bien vite fixé quand une vieille dame l’interpela pour lui conter les nouvelles. J’appris alors que le meurtrier n’avait toujours pas été retrouvé.

— Et le pire, dit-elle, c’est qu’il n’a laissé aucune trace ! C’est comme si le pauvre homme était mort. Simplement mort.

— Ah ça c’est bien vrai, renchérit une autre dame. On raconte même qu’il commençait à devenir fou. On a retrouvé tout un tas de choses étranges dans sa chambre.

— Quoi donc ? demandai-je la curiosité l’ayant emporté sur mon silence.

— Ah ça, ils ont pas voulu nous le dire, les policiers, mais je les ai entendu parler, moi ! Ils disaient d’ailleurs qu’ils n’avaient jamais vu ça !

Pas étonnant pour une île, pensai-je ironiquement. Elle continua, réajustant sa robe fleurie pour se donner contenance.

— Si vous voulez mon avis, cet homme s’est fait rattraper par son passé. C’est tout. On en saura pas plus.

— Vous disiez qu’il semblait être juste mort. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

À ce moment j’avais l’impression d’être dans un roman policier, aidant Sherlock à résoudre son enquête.

— Une amie femme de ménage a vu le cadavre. C’est d’ailleurs elle qui l’a découvert. Je n’ose pas imaginer si ça avait été moi ! J’aurais fait une syncope !

Elle semblait raconter une histoire.

— Elle m’a dit qu’au début elle pensait qu’il s’était juste endormi dans son fauteuil. Les volets étaient fermés, il faisait sombre. Elle l’a appelé trois fois avant d’allumer la lumière et de s’approcher de lui. Il avait les yeux révulsés et semblait être mort de peur.

— Peut-être qu’il a vu Sitarane ! la coupa sa voisine.

— Qui est Sitarane ? interrogeai-je.

La femme de ménage de mon hôtel se tourna vers moi et entreprit de me conter la légende.

— C’est une histoire qui date du début du XXe siècle. À cette époque la pauvreté sévissait sur l’île et il n’était pas rare que des personnes se consacrent au vol. Mais certains cambriolages paraissaient plus étranges que d’autres et accompagnés de meurtres sanglants. La panique a rapidement gagné la population qui n’a pas tardé à s’enfermer chez elle le soir venu. Cela commençait à prendre une tournure mystique quand un homme est parvenu à effrayer les malfaiteurs. La police est remontée jusqu’à eux grâce aux objets qu’ils avaient abandonnés sur les lieux. Ils étaient trois et s’appelaient Saint-Ange, Sitarane et Fontaine. On dit qu’ils pratiquaient des rites de magie noire. Saint-Ange fut exilé, Fontaine exécuté et Sitarane est mort au bagne vingt ans plus tard. Sa tombe se situe à Saint-Pierre.

Un silence suivit son récit. Je ne croyais pas à ce genre d’histoire satanique mais elle découlait apparemment d’un fait réel. Était-ce ce genre de détails que cherchaient les policiers dans les archives de l’hôtel ? Je pesais les probabilités d’un cambriolage qui aurait mal tourné quand une question me vint à l’esprit.

— A quel étage était sa chambre ?

Je ne m’étais pas rendu compte que la conversation avait dévié vers un autre sujet.

— Au rez-de-chaussée, me répondit l’une des femmes. Ne vous faites pas du mauvais sang pour rien, va ! Ils l’attraperont bientôt. Aucun Homme ne résiste bien longtemps au capitaine Hoareau !

J’entendis vanter les prouesses de ce policier pendant la suite de la soirée. Je ne me fondis pas dans les débats animés qui parcouraient la table, préférant rester enfermé dans mes pensées. Au bout d’un moment, je prétextai un mal de crâne pour quitter cet endroit surchargé. Le monde et le bruit ne m'étaient pas familier et je préférais aisément la solitude de ma chambre d’hôtel.

Deux fois à gauche. Une fois à droite. Je poussais la porte lorsque je sentis de nouveau cette sensation dans la nuque. Je décidais de prendre une douche. Une fois dans mon lit, j’allumai la télé, au cas où, mais rien ne parlait ne serait-ce que de la Réunion. Je m’endormis en espérant que le lendemain, les journaux seraient moins silencieux.

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