Mardi 13 août

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Julie

Ce n'est que ma deuxième semaine et déjà Monsieur Pallon me confie le dossier d'un jeune auteur. Fière de cette confiance, je me remets doucement dans le bain sans compter mes heures. Je perds encore beaucoup de temps en recherches, mais je profite de ces quelques jours où les enfants sont chez leurs grands-parents pour m'investir à fond dans cette nouvelle vie.

Mes collègues, même s'ils ne sont pas tous revenus de vacances me paraissent sympas. Certains me regardent bizarrement, quand même. Mais je ne peux pas leur en vouloir. Je débarque de nulle part et en plus, le patron me fait des courbettes. Il va falloir que je montre rapidement mes compétences pour qu'aucun doute ne subsiste.

En fin de semaine Charlotte et sa famille rentrent de vacances et je ne sais pas si cette séparation est suffisante. Je n'en suis pas certaine. Surtout après le rêve érotique de la nuit dernière. Cette fois, l'homme qui m'embrassait n'avait pas vraiment de visage. Du moins, je suis incapable de m'en rappeler, mais forcément les émotions au réveil m'ont renvoyée à mes souvenirs dans les bras de celui qui a failli devenir mon amant.

C'est vrai que nous sommes attirés l'un par l'autre, c'est indéniable. Mais bon sang, nous n'avons plus quinze ans ! Nous devrions pouvoir rester raisonnables !

Ma complicité avec Charlotte me manque, ses rires également, sa simplicité et sa fraîcheur, tout comme son naturel et ses discussions parfois déplacées. Mais j'ai appris à faire avec et finalement, je trouve sa compagnie bien plus drôle que la plupart de mes autres amies. Le fait aussi que je puisse agir avec eux sans jamais faire semblant et inventer une excuse au retard de Tim ou à son absence me soulagent. Avec elle, je peux être simplement moi.

Je me réjouis d'être mieux organisée pour lui proposer quelques sorties. Mais pour l'instant, quand je rentre de Lausanne, je n'aspire plus qu'à une chose : me glisser sous une douche et prendre un livre ou regarder la télé. Je mange peu le soir, sauf un yaourt ou une salade. Alors que Tim, dès qu'il passe la porte, il se rue sur le réfrigérateur et l'armoire à biscuits. Désormais, je ne me donne plus la peine de cuisiner pour lui. Il se débrouille, gentiment, laissant parfois trop cuire certains aliments, mais il commence à s'en sortir. C'est un bon début. Ce qui me gêne le plus, c'est de ne jamais savoir s'il rentre ou non. Et si oui, à quelle heure.

Avant les vacances, il n'avait pas vraiment renoué avec la mère de son fils, espérant sans doute un rapprochement avec moi, mais dès notre retour, il m'a avoué entretenir une relation avec elle. Je n'ai évidemment pas sauté de joie, mais au moins il s'est montré honnête.

J'ai compris que la discussion chez ses parents n'avait pas été facile. J'ai même eu le sentiment qu'il m'en voulait de l'avoir obligé à être honnête. Mais merde, qu'il assume, c'étaient ses conneries et sa famille. Je n'allais pas lui mâcher le boulot quand même. Je m'étais déjà chargée de Tiphaine toute seule et de mes proches, je n'allais pas en plus lui faire des courbettes. J'en avais aussi pris pour mon grade quand j'étais allée rechercher notre fille le mardi soir. J'avais eu droit à ma leçon de morale. Mes ex-beaux-parents m'avaient promis au moins un week-end par mois sans les enfants pour nous permettre de nous retrouver, Tim et moi.

— Ça ne changera rien ! avais-je répliqué d'un ton pincé alors que les garçons étaient près de nous.

— C'est qu'une petite crise passagère. J'en ai parlé avec ta mère Julie. Elle pense comme moi. Vous vous aimez depuis tant d'années, il faut juste rallumer la flamme.

Je me suis retenue de lui dire que son fils avait agi comme un salaud. Mais intérieurement, je fulminais. Si ma maman ne me soutenait pas, que pourrai-je espérer de ma belle-mère ?

Ce soir, alors que Tim rentre à minuit moins le quart sans faire attention au bruit, laissant une porte claquer, je l'accueille froidement au milieu du salon. Je ne dors pas encore, mais le fait qu'il se croie à l'hôtel, qu'il rentre mine de rien, après avoir passé la soirée avec sa nana me rend folle. Je lui en veux. Je suis jalouse qu'il soit en couple alors que je suis seule, même si je ne désire personne dans ma vie, c'est plus fort que moi. J'aimerais qu'il soit aussi malheureux que moi. Et si à la maison, il fait la tête, je me doute qu'à l'extérieur, il rayonne d'être près d'elle. La veille, j'ai retenu mes mots, mais cette fois, je n'y arrive pas.

— Je me suis faite engueuler par ta mère. Encore ! claqué-je en guise de bonsoir.

— Je sais, j'ai eu un coup de téléphone, moi aussi. De quoi tu te plains ? Tu vas avoir un week-end par mois tranquille... sans penser à caser les enfants.

— Dans la logique, je devrais en avoir deux, je te rappelle... moitié-moitié ! Mais t'es pas encore prêt à t'en occuper tout un week-end, lancé-je ironique.

— Tu ne m'en crois pas capable ?

— Ne me tente pas Tim ! Parle-lui s'il te plaît, je ne supporte plus qu'elle pense que tout est de ma faute. Parce que son petit discours sur le fait de comment aguicher un homme, merci, mais j'ai passé l'âge.

Tim relève le visage sur moi et me dévisage longuement. Gênée par son regard, je referme le haut de mon peignoir et croise les bras pour l'empêcher de s'écarter à nouveau.

— Effectivement et en plus, tu sais parfaitement t'y prendre ! soupire-t-il.

— T'en es encore là !

Il faisait référence à la dernière nuit au camping. Nous avions mangé au restaurant et le vin en plus de l'apéritif et du cocktail en soirée m'avait rendue plus audacieuse. J'avais dansé jusqu'a l'extinction de la musique. Tim s'était chargé du coucher des enfants. J'en avais été agréablement surprise, mais en fait, il s'était arrangé pour pouvoir téléphoner à sa copine et les mots que j'avais entendus à mon arrivée m'avaient rendue folle. Je lui avais pris l'appareil des mains et avant de raccrocher au nez de cette pouffe, je lui avais dit que j'adorais baiser dans un camping... Moi ? J'avais bien prononcé le mot : baiser !

Encore aujourd'hui, je n'en reviens pas.

J'avais ensuite éteint son téléphone et lui avais fait un strip, me déhanchant et me touchant à certains endroits intimes. Je vacillais un peu sur mes pieds et je n'aurais sans doute pas pu suivre le rythme d'une musique langoureuse, mais le résultat ne s'était pas fait attendre. Une fois monsieur aussi chaud que sa miss au téléphone, je lui avais demandé de se caresser, de me montrer son envie. Sans s'approcher, sans me toucher, je l'avais rendu impatient, excité comme rarement, du moins avec moi, et juste avant qu'il ne me saute dessus, je l'avais baffé par des paroles froides.

— Tu peux bien baver, mais ce corps, plus jamais tu n'y toucheras !

Je m'étais ensuite emmitouflée dans mon peignoir et m'étais allongée dans le lit, sans l'inviter à me suivre. Il avait claqué la porte, pris une douche pour se calmer et n'était venu se coucher qu'une heure après.

— Bordel, Julie... j'ai bien cru qu'on allait baiser. Jamais tu ne t'étais comportée comme ça.

— Tu étais bien naïf, si tu pensais qu'entendre tes paroles obscènes prononcées à cette femme pouvait m'exciter. Tu sais pourtant que j'ai besoin de sentiments.

— Justement. Les vacances se passaient bien. Il me semblait même qu'on s'était rapprochés.

— Pauvre chou. C'est vrai que tu paraissais tellement amoureux de moi que dès que tu as eu cinq minutes tu as filé débiter tes saloperies à une autre. Comme depuis qu'on est rentré d'ailleurs. Tu me montres chaque jour qu'il n'y a que moi dans ta vie. N'est-ce pas mon amour ? minaudé-je en papillonnant des cils.

— Tu me fais chier !

— Et ce n'est que le début ! Surtout si tu ne mets pas un frein à ta mère.

Ça ne sert à rien de s'engueuler, je le sais. Mais c'est plus fort que moi. Me retrouver près de lui m'horripile. Et j'ai bien l'impression que la gentille Julie, toute douce, celle qui n'élève pas la voix s'est évaporée justement cette nuit-là. Mon audace et le pouvoir que j'ai ressenti au moment où j'aurais pu le faire ramper à mes pieds me grisaient mais en même temps m'effrayaient. Ce n'était pas moi, cette femme. Qu'avait-il fait de moi ?

— Laisse passer septembre, après tu auras eu ta première paie, tu pourras chercher ton appart et on clarifiera les choses, ça te va ?

— Tu promets ?

— Ouais !

— Mais que ça ne t'empêche pas de parler à ta mère.

— Tu devrais la connaître depuis le temps. Elle veut toujours tout régler, tout diriger, que tout se passe comme elle l'a décidé. Une séparation n'était pas vraiment prévue au programme.

— Parce que tu crois que moi j'avais envisagé une telle chose ? m'écriai-je soudain.

Je l'entends déglutir, avant de secouer la tête. Il pose une main sur la rampe de l'escalier, prêt à monter se coucher lorsque je lui lance une dernière pique :

— Tu veux bien aller te doucher, s'il te plaît, et suspendre ta veste dans ta chambre. Je supporte plus son parfum.

— Tu sais que tu es chiante ?

— Oui ! Et encore une chose : on avait dit qu'après vingt-trois heures tu restais dormir chez elle.

— Désolé, je ne jouis pas sur commande, madame ! tonne-t-il en montant à l'étage, furieux.

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