Deux promeneurs

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Un homme marche en ville.

Une femme marche en ville.

Chacun sur un trottoir différent, lui à droite, elle à gauche. Même vitesse, allure sympathique et bohème.

Il se tenait dans le portique d’un petit immeuble lorsqu’elle a traversé son champ de vision. Belle comme un cœur. Souriante. Il n’a pas pu faire autrement que de lui emboîter le pas. Elle rejette sa lourde chevelure brune par-dessus son épaule. Elle rit et s’écarte pour ne pas se faire éclabousser par un restaurateur qui la salut familièrement tout en arrosant une série de boîtes à fleurs bordant une terrasse. Elle semble heureuse; la vie lui semble facile et agréable. Peut-être pourrait-il faire semblant d’être perdu et lui demander des indications? Peut-être qu’il pourrait la convaincre de boire un café sur cette terrasse? Mais elle s’envole déjà plus loin et il ne peut que la suivre, buvant sa démarche et ses longues jambes.

Elle a acheté du pain frais, une botte d’asperges et un gâteau St-Honoré à la boulangerie. Elle passe devant Marc qui arrose ses géraniums rouges comme tous les lundis. Un autobus scolaire s’arrête à sa hauteur et une demi-douzaine de gamins débarquent en chahutant et manquent de faire tomber la boîte de gâteau. Elle gronde le plus vieux qui s’excuse d’un air penaud.

Il la voit ébouriffer les cheveux d’un gamin avec un cartable sur le dos avant de poursuivre, presque en dansant, sa boîte de carton blanc avec des rubans d’une main, un sac en plastique de l’autre. Il devine que la boîte contient une pâtisserie. Qu’est-ce qu’elle a donc à fêter? Il aimerait bien assister à cette fête. Elle jette un coup d’œil à sa montre et se met à avancer un peu plus vite. Il continue à la suivre et accélère à son tour pour ne pas la perdre. On dirait un bel oiseau et son sillage est parfumé de possibilités auxquelles il n’ose pas encore penser.

Elle n’est pas encore en retard, mais si elle veut prendre une douche avant d’aller à son rendez-vous, elle a intérêt à se dépêcher un peu. Elle est partie un peu plus tard du boulot à cause d’une petite fête en son honneur. Elle sourit en repensant à son succès. Elle a hâte d’en parler avec Simon ce soir. Son cœur bat la chamade lorsqu’elle pense à lui. Ils se fréquentent depuis trois ans et il a été la patience incarnée envers elle, toujours par monts et par vaux pour le boulot.

Il la voit s'engager dans une rue où s’alignent de gentils petits immeubles de brique, avec des balcons et quelques arbres. Les appartements y sont assez coûteux. Il n’y a pas d’endroits où se dissimuler. Elle a un rendez-vous, il le sait. Alors il attend, assis sur un banc, en rêvant à la façon de l’aborder quand elle ressortira de chez elle. Il ouvre le journal à une page qu’il a lue à plusieurs reprises. Mais il ne lit pas. Que va-t-il lui dire? De temps en temps, il touche le minuscule portrait placé dans le coin de l’éditorial. L’image est en noir et blanc et ne lui rend pas justice. Ne montre pas ses longues jambes. Ne donne aucun aperçu de son dynamisme. Elle a souri poliment et professionnellement pour la photo. En vrai, elle est bien mieux.

Elle fait sa toilette et se change. En mettant ses escarpins, elle sait qu’elle aura un peu mal aux pieds en arrivant chez Simon. Mais elle a vécu pire en Afrique du Sud, quand elle y est allée faire sa série de reportages. Et puis, ce soir, elle a envie d’être jolie. Simon et elle n’ont pas eu beaucoup de temps à eux depuis six mois et elle a envie de se reposer dans ses bras. Elle lui racontera les détails qui ne sont pas paraîtront pas dans ses articles. Ils ont déjà parlé ensemble du Pullitzer pour lequel elle est en nomination. Perdue dans ses pensées, elle manque d’oublier le gâteau. Au bout de la rue, elle hésite. Elle pourrait appeler un taxi. Ou elle pourrait avoir accepté son offre. Il la taquine de ne pas avoir son permis de conduire. « Bonsoir. » entend-elle.

« Bonsoir. » a-t-il dit. Il voudrait lui dire plus. Lui dire qu’il la trouve belle et séduisante, lui dire que son travail est admirable. Il voudrait pouvoir rester auprès d’elle. Elle a mis une goutte de parfum, et ses cheveux sont encore humides. Elle ne ressemble pas à la journaliste intrépide et garçon manqué qui a erré durant six mois en plein brousse. Elle porte une paire de souliers chics et pas des bottines. Ses longues jambes sont encore plus magnifiques de près.

« Oui? » dit-elle avec une pointe de curiosité et un sourire poli. Ce n’est pas la première fois qu’elle est accostée par un inconnu et ce n’est pas la première fois qu’elle récolte un soupirant sans avoir fait quoi que ce soit.

« Les articles que vous avez écrits sur les guerres africaines… »

Oh, c’est un admirateur. Son sourire devient plus sincère : « Celles au Maroc ou celles… »

« Les autres. »

« Eh bien? »

« Je les trouve très courageux. »

« Merci. »

« Certains ne les ont pas aimés par contre. » ajoute-t-il avec une pointe de regret.

« On ne peut pas plaire à tout le monde. Pour ma part, je n’ai aucun intérêt dans les potins artistiques ou le sport. Je préfère écrire sur les choses dont certaines personnes ne veulent pas entendre parler. Il faut les faire réagir. »

« Vous avez drôlement bien réussi. »

« Merci. Encore. Vous êtes gentil, mais j’ai un rendez-vous alors… »

« D’accord… je voulais simplement vous dire que j’étais désolé. »

« P… »

Il a sorti son pistolet et tire. Le coup est étouffé par le silencieux. La robe devient écarlate. Le gâteau tombe. Elle aussi. Il n’y a pas eu de bruit. Il dépose l’arme au sol et s’agenouille près d’elle. Elle a eu le souffle coupé. Il l’allonge plus confortablement au sol. Il a promis de la tuer et, en général, il fait ça de loin, dans la tête. Cette fois, c’est différent. Il n’a pas voulu abîmer son visage. Il voulait garder d’elle un souvenir propre. Il écarte une mèche de cheveux de son front.

Elle est sous le choc. Elle a froid. Elle n’arrive pas à parler. Elle songe de façon incongrue à sa robe et se dit qu’il sera impossible d’en faire partir les taches de sang. Il y a un bref instant où elle a le sentiment de tout comprendre et…

Ses yeux deviennent ceux d’une poupée de cire. C’est le signe. Elle est partie. Il dépose le journal sur elle, dissimulant ainsi sa blessure. Quand les policiers prendront des photos, elle aura l’air endormie. Elle mérite au moins ça.  Il s’en va en marchant lentement. Inutile de se faire remarquer. 

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Deux promeneursChapitre5 messages | 8 ans

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