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L'homme se leva tôt, bien avant l'aube. Il était rentré chez lui d'un pas vif, chaque foulée l'éloignant de la demeure du sorcier réduisant le mal-être qu'il y avait ressenti et qui perdurait depuis. Il avait rangé les objets auprès de sa couche, embrassant à peine sa femme et ses enfants avant d'aller se coucher. Il sombra presque immédiatement dans un sommeil sans rêves, et lorsqu'il se réveilla, il n'avait qu'une seule idée en tête : finir ce qu'il avait commencé.


Il récupéra l'arc toujours emballé comme le bois qu'il allait tailler et les emmena jusqu'à la grange. Là-bas, entouré par les animaux passifs et encore endormis, il aurait tout le loisir de travailler tranquillement. Il récupéra ses outils et s'en alla dans le froid, sous un ciel encore noir. Il rentra dans la grange et alluma une lampe, ignorant les animaux qui s'agitaient en se réveillant. A la lueur chiche, il examina le bois rouge ombre.


De nouveau, il avait le sentiment qu'il pouvait voir la flèche qu'il allait tailler, au coeur de ce morceau gigantesque. Il ne manquait plus qu'une main sûre et un esprit déterminé, ainsi qu'un peu de patience. Sans rechigner, il se mit à l'ouvrage dans une pénombre qui ne le dérangeait nullement.


Les heures passèrent. Le bois avait une consistance étrange qui l'avait surpris dès le premier coup de cisaille. Il y avait quelque chose d'incorporel, et chaque fois qu'il retirait un morceau, il croyait voir suintait un liquide rosâtre, mais jamais pouvoir le discerner vraiment. Pour le coup, il travaillait lentement, retirant couche après couche pour mettre à jour cette forme élancée qui s'imposait à son esprit. Il était complètement concentré sur sa tâche, ignorant tout ce qui l'entourait, en particulier sa femme qui vint vers les alentours de la mi-journée lui déposer un maigre repas auquel il ne toucha pas. Pour le coup, il ne vit pas non plus le regard inquiet qu'elle lui lança à la porte avant de s'en repartir.


Puis l'homme s'arrêta.


Il avait fini. Il le savait sans savoir pourquoi. Il avait en main une simple tige pointue, qui n'était d'ailleurs pas tout à fait droite. Il savait pourtant que lorsqu'il tirerait la flèche, elle filerait droit vers sa cible. Toutefois, avant d'en arriver là, il lui manquait encore les plumes de hibou. La flèche en devenir en main, il sortit de la grange, soucieux. Il ne fut pas surpris outre mesure par la nuit, tombée depuis longtemps. Le temps filait sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. En revanche, quelque chose d'autre attira son attention, perché dans un arbre face à lui, en bordure de forêt.


Un hibou gris le scrutait de ses yeux noirs.


L'homme s'arrêta net puis resta immobile, attendant la suite. Il n'esquissa pas le moindre geste, ne sentit venir aucune parole pertinente. Encore une fois, tout ceci le dépassait, il n'était qu'un simple véhicule pour une volonté supérieure incompréhensible. Ne restait qu'à voir ce qu'elle avait prévu.


L'oiseau écarta les ailes en silence puis tomba de la branche. En quelques instants, il fut sur l'homme, qui se protégea le visage de l'avant-bras par réflexe. Le hibou en profita pour y planter ses serres jusqu'au sang. Puis resta là, se posant en claquant trois fois ses plumes.


Ils échangèrent un long regard fixe.


Tout en douceur, l'homme leva sa main libre, l'approchant du volatile en veillant à ne pas l'effrayer. Mais l'oiseau restait imperturbable, ses pupilles noires vides de toute émotion sondant son âme. L'homme passa sa man sur les plumes, caressant le hibou. Puis, lentement, il agrippa une plume et tira.


Le hibou ouvrit grand le bec mais ne poussa aucun cri. Un soupçon de douleur et de violence apparut dans ses yeux, mais il redevint impassible aussi vite que cela lui était venu. L'homme répéta l'opération par trois fois, et chaque fois, l'oiseau écartait les ailes, s'apprêtant à s'envoler. Mais quelque chose le retenait là, et sans doute était-ce la même chose qui poussait l'homme depuis plusieurs jours. Ni homme ni bête ne pouvait lutter, semblait-il.


Tenant fermement les quatre plumes, l'homme abaissa son bras tout en maintenant l'autre à l'horizontale, cherchant toujours à ne pas déranger outre mesure le hibou. Ils ne s'étaient toujours pas quitté des yeux.


Puis quelque chose finit par se rompre, et le hibou, subitement, battit des ailes et s'envola, arrachant un autre lambeau de chair au bras de l'homme. En quelques secondes, il avait déjà disparu entre les arbres, ne laissant rien d'autre derrière lui que le silence et l'homme stupéfait. Il cligna des yeux plusieurs fois avant de se secouer. Il ne lui restait plus grand-chose à faire maintenant. Il pourrait bientôt se mettre en chasse, semblait-il. Il s'apprêta à faire demi-tour et s'en retourner vers sa maison lorsqu'il entraperçut quelque chose entre les arbres, malgré l'obscurité.


Au loin, ce qui ressemblait diablement à un cerf blanc l'observait.


Puis l'animal s'enfuit, et ne resta plus que les ténèbres.


Tremblant, l'homme retourna chez lui à pas lourds et précipités.

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