Bernie chez le toubib

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Bernie est un homme d'à peu près cinquante printemps, il est atteint d'une maladie incurable. Cette maladie rare décime tous les porteurs de son virus dans des délais plus ou moins rapides, tous les plus grands spécialistes demeurent impuissants devant cette inconnue des temps modernes et sont unanimes: Bernie va mourir aujourd'hui, où peut être bien demain, qui sait. Ce qui est certain, cest que Bernie n'a pas l'intention d'attendre patiemment la faucheuse allongé sur les draps pâles d'un lit d'hôpital. Alors Bernie a choisi de faire quelque chose qu'il n'a jamais encore fait durant toute sa vie: la vivre, lâcher le volant, foncer dans le mur et dire tout haut ce qu'il a toujours pensé tout bas.

Aujourd'hui, Bernie se rend à l'hôpital pour faire le bilan. Il y a du monde dans la salle d'attente, en majorité des gens comme Bernie sur un point, à savoir des gens flirtant eux aussi avec la mort, à savoir des vieux.

Bernie déteste les vieux.

Quand il travaillait encore, Bernie les cabinets de docteurs comme la peste. Les seules fois où il s'y était rendu, il était venu aux premières heures avant d'aller au boulot, comme le font tous les gens qui ont un travail, et s'était retrouvé à patienter avec une horde de morts vivants redoublant de temps libre venant renouveler leurs médocs pour pouvoir pisser plus clair ou chier plus dur, comme tous les vieux qui ne travaillent pas. Il a toujours pensé que cette race agissait ainsi dans le but d'emmerder une dernière fois la société avant de passer l'arme à gauche. Cependant, à l'heure où Bernie est assis dans cette salle d'attente, l'horloge indique 16h17. Il décréte donc que le problème est en réalité bien plus large: il y a trop de vieux sur cette foutue planête. Les vieux, c'est les genoux qui craquent, les raclements de gorge, l'odeur de la putréfaction et les visages pâles qui tiennent plus sur leurs supports, mais c'est globalement assez éteint et silencieux, c'est supportable comparé à un mioche mal éduqué prenant l'ascendant sur sa jeune mère dépassée. Bernie n'a pas d'avis tranché sur les enfants, il les a toujours considérés comme des êtres humains parasitant en atendant de devenir une valeur ajoutée à l'armée de sombres connards adultes qui peuplent le monde. Toutefois, certains de ces parasites montrent des talents précoces et une certaine maturité à manier l'art d'être un connard et c'est le cas de la petite tête à claque qui s'agite dans la salle d'attente aujourd'hui. Un mioche visiblement assez vieux pour pouvoir énumérer des insultes rappelant le répertoire argotique d'un tenancier de bordel mais bien trop jeune pour pouvoir les mettre à exécution, si on se réfère au nombre de fois où il menace sa mère de "l'enculer à sec". Cette dernière, âgée d'une vingtaine d'années, et qui s'est sans nul doute faite enculer à sec ou avec vaseline au sens sale comme au sens figuré du terme un paquet de fois dans sa vie, arbore un cocard abominable en guise de mascara, et deux mamelles dégoulinant d'un décolleté bien trop sérré pour uniques pendentifs. À chaque insultes réitérées par son rejeton la pauvre fille répond par la même répartie pitoyable en éclatant une bulle baveuse émanant de son chewing-gum.

Tout ce cirque dure depuis bien trop longtemps à présent et par ce fait, quelques vieux présents dans l'assemblée commencent à montrer des signes d'exaspération, mais comme se rappelant tout d'un coup que le temps avait fait d'eux des eunuques, ils se contentent les uns après les autres de se détourner du regard plein d'insolence de la jeune mère qui paraît les terroriser. Ce n'est pas le cas de Bernie qui au dernier Va te faire enculer balançé dans l'air par l'insupportable gamin s'adresse à la jeune femme:

Il aurait mieux fait de faire ça ce jour là.

La maman demeure surprise par cette intervention. Alors Bernie se montre plus juste.

Le mec qui vous a fracassé la gueule, il aurait mieux fait de vous enculer ce jour là.

Et il ponctue sa phrase en désignant le mioche d'un bref signe de la tête.

L'un des vieux à ces mots s'éprend d'une violente toux comme si l'une de ses pilules s'était coincée au fond de sa gorge. La jeune femme elle se contente de fixer Bernie avec l'intensité du regard d'une vache ruminant son brin d'herbe. Lasse et silencieuse, elle fait exploser une bulle à la place de ses inexistantes représailles. Après ça, le mioche continue de plus belle.

L'un des vieux présents dans la salle fusille Bernie du regard comme pour lui faire part de son entier mépris. Bernie, la riposte allègre, lui lève lentement son doigts d'honneur en mimant grossièrement la gestuelle d'un membre arthrosé qui aurait toutes les peines du monde à s'élever. À ce geste viennent se greffer des soupirs de mécontentement et quelques vieux outrés poussent alors tant bien que mal des bizarreries sonores, ce qui ne manque pas de faire rire la jeune chamelle sans soutien gorge et sa progéniture. Quelques instants après, on appelle la jeune femme. Celle ci se volatilise avec son gosse, laissant dans la salle un véritable silence de mort.

L'heure tourne. Quelques magasines de bagnoles éffeuillés, quelques vieux en remplaçant d'autres, et puis c'est au tour de Bernie. Un homme séduisant à la blouse toute aussi blanche que ses dents s'avançe dans la salle d'attente et crie son nom sans détourner une seconde les yeux d'un bloc note dans lequel il semble faire mine d'écrire, certainement un petit mot cru à l'intention d'une jeune infirmière interne qu'il compte culbuter vite fait entre une vasectomie et un touché rectal, pense Bernie. Il se lève et serre la main du Docteur Mamour à la mâchoire carré qui ne prend même pas la peine de le regarder.

Veuillez me suivre.

Ils passent devant l'acceuil, une secretaire qui mordille explicitement le bout de son stylo sourie bêtement au toubib au brushing Californien. Ce dernier se penche furtivement vers elle tout en marchant et lui chuchote en coup de vent quelques brèves messes basse. Elle éclate de rire pendant que les deux hommes entrent dans la salle de consultation.

Asseyez vous.

Chef oui chef!

Le doc sort le large dossier de Bernie. Booooon. Et bien ça n'est pas franchement réjouissant tout ça Mr Dupont! Sans blague. Il enchaine avec des termes médicinaux ennuyeux, c'est long, lisse et incompréhensible. Bernie perd rapidement le fil, se met à observer oisivement les diplômes accrochés au mur. Pendant ce temps le docteur continue son récital mortuaire dans la plus grande indifférence, votre taux de est de, ce qui n'est pas bon, je ne vous cache pas que, c'est très inquiétant, la vitesse à laquelle la maladie se propage nous indique que, Mr Dupont, je vais être franc, vous allez certainement...

Bernie entend vaguement les bourdonnements désagreables qui l'entourent mais semble ailleurs, comme appé par les cadres photo qui trônent sur le bureau.

Ce sont vos enfants?

Le docteur, surpris d'avoir été coupé dans son discours en Mandarin, lève pour la première fois depuis l'entretien les yeux vers Bernie et découvre les cataractes de cynisme débordant des deux fines lèvres en croissant de lune de Bernie. Décontenancé par l'attitude de son patient, le doc balançe un bref oui et se repenche sur son dossier.

Votre femme sait que vous vous tapez la secrétaire?

Pardon?!!

Puisque le docteur semble ne pas avoir entendu, Bernie lui réitère la question.

VOTRE FEMME SAIT QUE VOUS FOURREZ VOTRE SECRÉTAIRE???

Le docteur, certes indigné mais scotché, ne trouve pas les mots pour répondre.

Vous êtes un porc Mamour, j'espère que vous mettez aussi un gant au bout de votre queue quand vous enfilez les p'tites stagiaires à la chaîne, vous savez c'est bourré de bactéries un hôpital.

C'est la stupéfaction chez Mister blouse blanche, son stylo tombe, sa gorge se raidis.

Bref, en gros vous êtes en train de me dire que je vais crever, ce qui est en soit un truc que je savais déjà mais comme vous venez de le remarquer depuis quelques seconde je suis bel et bien en vie pour l'instant, et j'ai certainement autre chose à foutre que d'entendre le récital d'un putassier peu concerné récitant sa routine qui tente misérablement de justifier ses honoraires exorbitants. Alors je vais me lever et me barrer, et vous offrir un petit créneau pour aller renifler la culotte de votre secrétaire de chez Marc Dorcel.

Bernie met ses promesses à exécution.

Allez à la prochaine Doc, bonne bourre.

Et la porte se claque devant l'air ahuri du Doc dans les pommes.

Déambulant dans les couloirs aussi légèrement qu'une plume embarquée dans un courant d'air, Bernie sent alors tout son être jubiler d'un étrange sentiment. Submergé par un plaisir innommable, il ne peux s'empêcher de rire, encore imprégné du moment délicieux qu'il vient de vivre. Cela lui rappelle vaguement quelques saveurs, l'insouciance d'une enfance lointaine ou bien l'ivresse d'une vie égarée. Il se retourne une seconde. Bordel, j'y ai été un peu fort. Et puis traçe son chemin. Ouais, qu'ils aillent tous se faire enculer.

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