Le groupe

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Il est arrivé de gens en soi-disant patchwork qui n'avaient pour autre but que de s'occuper durant l'étrange temps que fut le confinement. C'était en mars 2020.

De tristes personnes désireuses d'oublier leurs pleurs en prétendant ne pas vraiment s'attacher d'abord. Le mensonge s'est vite estompé, les blessures de tous mises à jour et les mains tendues les unes en direction des autres. Le cercle a commencé à se former, à absorber son flot d'acteurs, à se refermer sur lui-même. Les liens ne se forment jamais avec tant de profondeur que dans la douleur pure, et surtout, partagée.

Nous avions sur le visage le sourire de la béatitude, chaque souffle semblait un jappement euphorique de joie, un arrachement passionné au dégoûtant reste. Au laid, à l'âpre, se substituaient tous les instants d'extase par milliers. Il y avait toujours une occasion pour se rencontrer, l'échappatoire d'une bicoque perdue qui n'attend que des visiteurs pour la vivifier. Le faux-fuyant d'une maison abandonnée, la couverture d'une dernière fois avant un peut-être jamais.

Ce n'était pas l'histoire d'une quotidienneté, c'était un monstre qui croissait chaque jour.

Le groupe dans ses tentacules coupait l'extérieur, tout lien autre, il resserrait constamment la gravitation. La cruauté était omniprésente, avec son lot de déni. Le conditionnement, le bourrage de crâne, l'adhésion aux membres, la soumission. La destruction de soi, la destruction des proches, la destruction de toute autre communauté.

L'histoire se construisait par salves de crises salutaires dans lesquelles le sacré n'était qu'un sombre bas permettant de faire société. La victime réconciliatrice, le bouc-émissaire contre lequel tous se liguent en cercle faisait partie de ces amas de rochers qui ne parvenaient plus à s'amalgamer aux astres qui orbitaient les uns par rapport aux autres.

C'est lorsque j'ai été exclue du groupe que je l'ai compris. La ronde n'est pas une construction anodine. Le cercle se referme et on le quitte sans réversion. Est-ce un hasard si les planètes se meuvent en cercle ? Pareille à la météorite arrachée à une planète, je suis sortie du cercle et, aujourd'hui encore, je n'en finis pas de tomber.

« Il y a des gens auxquels il est donné de mourir dans le tournoiement et il y en a d'autres qui s'écrasent au terme de la chute. Et ces autres (dont je suis) gardent toujours en eux comme une timide nostalgie de la ronde perdue, parce que nous sommes tous les habitants d'un univers où toute chose tourne en cercle. »

KUNDERA Milan, Le livre du rire et de l'oubli, Gallimard, Paris, 1978, p. 61.

Le 10 février 2023

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