Piastre

4 minutes de lecture

"Passer sous silence n'est pas mensonge." De Thomars Bernhard

Ironie.
- Aotrou, vous me voyez navrée que votre canne vous ai fait faux bond. Mais elle ne m’a pas dit où elle se rendait…
Déni.
- Êtes-vous certain de l’avoir bien prise ce soir ?
Suspicion.
- Car vous ne m’avez pas semblé souffrir de votre jambe en entrant ici même…
Moquerie.
- Quels pouvoirs a-t-elle sur vous pour ainsi vous empêcher de dormir ?
Honnêteté.
- Si je puis vous aider, soyez assuré que je le ferai sans hésiter.

La jeune femme en dit trop, ou pas assez. Piastre au fil des journées et soirées, commence maintenant à la connaître. Certes il est loin de tout savoir d'elle, fort heureusement, mais souvenez vous qu'un peu plus tôt, il avait fort bien déduit sa position de par son artisanat, conditionnant son quotidien. De fait, le vieil homme observe souvent plus qu'il ne parle. La nature nous a donné deux oreilles et une seule bouche. Piastre suit ce dicton vieux comme le monde à la lettre et c'est dans l'écoute et l'observation qu'on apprendre davantage qu'au travers des mots. La brune en question est loin d'être simplette. Joueuse, taquine, elle aime répondre, elle aime provoquer. Par ces mots certes mais aussi par ses actions. Nul doute qu'elle lui cache quelque chose et nul doute que ceci a un rapport avec la fameuse canne recherchée. Pour l'instant pourtant, il n'en devine pas plus, sinon qu'elle n'est pas tout à fait honnête, sauf sur la fin, quand elle lui promet assistance. Sa voix vacille au fil de ses questions mais se fait plus ferme, plus assurée quand elle termine. Aucun doute. Elle sait.

Le regard de l'Ecopé se fait insistant sur ses traits bien plus jeunes, au risque de la gêner d'insister autant. Il va devoir parler maintenant. Doit-il pour autant lui raconter la vérité ? Il peut sans difficulté lui raconter une grosse partie de l'histoire, ne serait-ce que pour contenter sa soif curieuse. Mais elle n'aura pas la finalité. Elle restera sur sa faim, elle crèvera la dalle d'en connaître davantage. Un grommellement rompt le silence quand enfin il se décide à entamer son récit. Qu'elle ne l'interrompe pas surtout ! Elle se doit de l'écouter, du début à la fin. Enfin du presque début à la fin. Du milieu à la fin disons plutôt. Le véritable début ne sera pas avoué. Pas tout de suite. Pas forcément plus tard.

- Cette canne, Madame, n'en est pas vraiment une. Vous avez vu juste et je ne le cachais pas en vérité, je n'en ai pas un besoin physique. Si j'en ai par le passé eu réellement besoin, il n'est plus le cas désormais. Cette canne est un souvenir, un rappel. En la prenant tous les jours avec moi, je me force de la sorte à me souvenir. Mais ne croyez pas qu'elle soit là sans raison surtout ! La bienséance m'empêche de baisser mes braies pour vous montrer l'énorme cicatrice qui barre ma cuisse mais ne doutez pas de son existence. Voilà plus de deux ans, j'ai mis quelqu'un en colère et son ire me fut fort douloureuse, à raison d'un coup de poignard dans le bas du ventre. Des soins reçus, j'eus droit à quelque complication inexplicable me valant une atrophie du muscle de la cuisse. Résultat, j'eus besoin d'une canne, pendant le long moment que fut mon rétablissement.

Petite pause méritée. Ode va déjà devoir assimiler les informations obtenues qui soulèveront, Piastre en est certain, de nouvelles questions. Sa curiosité la poussera même à vouloir voir les cicatrices, mais elle ne sera pas assouvie. Pas ainsi. Pas ici. Pas si tôt. Sa bouche est sèche. La brune manque à tout ses devoirs en lui proposant même pas une boisson. Il faut avouer que l'endroit ne s'y prête pas nécessairement. La langue vient alors titiller le coin des lèvres pour les décoller et reprendre.

- Aujourd'hui, je peux sans mal marcher comme vous pouvez le voir et l'avez constaté. Mais en société, j'adopte une toute autre posture. Et si vous vous demandez pourquoi je prends l'apparence d'un vieillard, d'un éclopé, questionnez vous de la sorte : craint-on un vieillard qui boite?

Nouveau silence. Plus long. Son esprit peut lui paraître tordu, mais la réflexion qu'il lui suggère l'amènera à mieux comprendre le vieil homme, à mieux appréhender ce mystère qui l'entoure et qui attise sa curiosité. Possible ensuite que la jeune femme ne lui trouve plus aucun intérêt et que cette curiosité se délite pour ne plus exister fatalement. Piastre n'en croit rien. Il a plus d'un mystère dans sa poche et sa demi-vérité ne suffira pas à rassasier ce besoin dont elle fait montre.

- Du coup, Madame, savez-vous où se trouve ma canne ?

Le recadrage est nécessaire. Il peut voir dans ses yeux le fil de ses pensées égarée sa présence vers l'insondable abysse de la réflexion. Pourtant c'est ici, avec lui, qu'il a besoin d'elle. Il a besoin de son attention et de la vérité. Chose qu'elle semble bien partie l'en priver.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Offberg ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0