Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ?

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Damien ouvrit les yeux. Il avait un mal de crâne terrible, comme en lendemain de soirée. Pourtant, le jeune homme avait passé la journée chez lui, évidemment. Pas le choix, avec ce satané confinement.

Rester enfermé dans son propre logis, qui aurait cru que cette obligation serait un tel calvaire ? Enfin, « chez lui ». On ne pouvait pas vraiment dire ça. Damien ne reconnaissait pas les murs de la pièce où il se trouvait. Toutes ses fenêtres, tous ses meubles, toutes ses affaires avaient disparu, dès le premier jour du confinement. Le garçon n’avait plus rien mangé, rien bu. Sans téléphone, il ne pouvait contacter personne. Etait-il fou, était-il mort ? Impossible de le savoir.

En tout cas, Damien se sentait encore vivant. Il entendait son cœur battre, sa respiration bruyante siffler entre ses narines, et sa salive couler tout au fond de sa gorge. Et il pouvait toujours voir la réalité absurde qui l’entourait. Car chaque matin, le décor changeait. C’était au moins un aspect positif de son confinement. Contrairement au reste du monde, pour qui les jours passent et se ressemblent, notre protagoniste échappait à la monotonie d'un quotidien ennuyeux.

« Des miroirs ? s’étonna Damien en découvrant les murs de sa prison, ce jour-là. Drôle d’idée. »

L’étudiant se leva du sol où il avait passé la nuit, et fit face à son reflet. Le miroir lui renvoya une image familière, mille fois examinée sous toutes les coutures, et impeccable. Ce qui frappait chez lui, c’était son regard ; avec ses yeux bleus, profonds et moqueurs, le jeune homme avait des airs de James Dean.

« Je suis beau, quand même. »

Damien lâcha cette phrase avec nonchalance. Seul le silence lui répondit, et le garçon fut soudain traversé par un sentiment de mal-être. Il n’y avait personne d’autre dans cette pièce. Personne pour le complimenter, pour l’admirer. Tant et si bien qu’il s’était jeté des fleurs lui-même. Et on ne le lui avait pas reproché. Il était beau, mais seul.

Le garçon lâcha un petit rire, nerveux. Son sourire vacillant se peignit sur les bouches de tous les Damien qui l’entouraient. Flippant. Le jeune homme leva les yeux au plafond, et les reporta vers le sol, avant de réaliser qu’ils étaient aussi, tous deux, recouverts de miroirs. Il finit par plaquer ses mains contre ses yeux, et se recroquevilla sur le sol pour fuir leur présence.

Les paupières fermées, Damien se mit à espérer qu’au moment où il les rouvrirait, les miroirs seraient partis. Mais il n’avait jamais cru en Dieu, et se mettre à prier dans ce moment de panique aurait été idiot. L’obscurité aussi commençait à être angoissante. Des pensées irrationnelles envahirent son esprit. Que faisaient les autres Damien, emprisonnés dans leurs prisons de verre ? Ils devaient l’observer, le pointer du doigt, se moquer de lui.

Que voyaient-ils ? Un jeune étudiant brun, grand, élégant. Voilà l’idée parfaite que le parisien avait toujours voulu donner de lui. Et voilà que cette image qu’il avait façonnée, en lui faisant face et en le suivant des yeux, le terrifiait.

Damien osa enfin un timide regard à travers ses doigts tremblants. Son reflet le fixa droit dans les yeux. Prenant une grande inspiration, le garçon s’efforça de ne pas baisser le regard. Ce n’était que lui, après tout. Pas de quoi avoir peur, si ?

« Je ne suis pas quelqu’un de mauvais, assura Damien à son reflet. Je n’ai jamais rien fait de mal dans ma vie, et je ne sais pas pourquoi je suis ici. »

Silence. Le garçon se retourna, en quête d’un interlocuteur plus sympathique. A nouveau, deux yeux bleus lui firent face. Damien haussa les épaules.

« Alors, certes, je ne suis quand même pas parfait. J’ai mes défauts, comme tout le monde. »

Tiens, voilà qu’il faisait des confidences. Il en fut le premier surpris. Ce n’était pas son genre. Encore moins pour se dévaloriser. Admettre ainsi sa faiblesse était une grande première, pour Damien. Etrangement, le jeune homme n’en ressentit aucune honte. C’était plutôt libérateur.

« J’en ai même plusieurs, des défauts. Sans doute même plus que de qualités. Arrogant. Pédant. Radin. »

Damien sourit. C’était même plutôt amusant, comme balancer ses quatre vérités à quelqu’un que l’on n’apprécie pas beaucoup.

« Procrastinateur. Irascible. Jaloux. »

Le beau brun s’était levé désormais, et faisait les cent pas à travers la pièce, énumérant, avec de grands gestes de la main, ces adjectifs d’une voix de plus en plus assurée. De temps à autre, il s’arrêtait et lançait un regard complice à son auditoire, qui le lui retournait en un temps record.

« Je n’ai jamais eu de relation sérieuse, parce que je me suis toujours considéré au-dessus de tout. Personne ne me méritait. »

Il s’interrompit et prit un temps de réflexion.

« Finalement, c’est peut-être parce qu’on m’a toujours tout cédé. Quand Papa est mort, Maman s’est mise à me traiter en roi… J’étais devenu l’homme de sa vie. »

Damien ressentit soudain un pincement au cœur, et son regard se fit sombre.

« Je comprends mieux pourquoi j’ai décidé de faire des études de Lettres. Romain Gary y est certainement pour quelque chose. Moi aussi, j’ai été élevé par une Nina Kacewa. »

Le garçon ricana :

« Bon, ça ne veut pas dire que je deviendrai Gary. Enfin, on ne sait jamais. J’ai du talent, vraiment, j’écris bien. »

Croisant le regard dubitatif d’un de ses reflets, le garçon se gratta la tête.

« Enfin, pas trop mal. J’ai gagné un prix au collège. Depuis… c’est vrai que le syndrome de la page blanche me hante un peu. Et que je n’arrête pas de commencer des récits que je ne termine jamais. Et que je n’assume pas de publier mes textes sur des plateformes en ligne. »

Mine de rien, cet exercice était cathartique. Damien baissa les yeux, un peu penaud.

« Je suis un raté, en fait. Un nul. »

Cette réalisation, qui aurait dû l’achever, foudroyer son égo et réduire à néant sa confiance en lui, eut un effet tout autre. Damien se mit à rire à gorge déployée.

« Mais au moins, je suis beau. »

Dans les miroirs, tous les Damien, pressés les uns contre les autres en file indienne, rirent avec lui.

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